Joice Mujuru, vice-présidente du Zimbabwe depuis 2004, est accusée d'avoir ourdi un complot visant à assassiner Robert Mugabe.
Le Zimbabwe en quelques dates
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1980 (18 avril) : après plusieurs années de guerre civile et une déclaration de cessez-le-feu conclue en décembre 1979 (accords de Lancaster House), le Zimbabwe – Etat d'Afrique australe connu depuis 1965 sous le nom de Rhodésie du Sud – accède à l’indépendance vis-à-vis du Royaume-Uni.
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1980 (25 août) : le Zimbabwe est admis au sein de l'Organisation des Nations unies (ONU).
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1987 : la fusion des partis de Robert Mugabe (ZANU) et de Joshua Nkomo (ZAPU – « Zimbabwe African People’s Union »), autre combattant de la guerre d’indépendance mort en 1999, aboutit à la création de la ZANU-PF. Le 31 décembre, Robert Mugabe est investi président (avec pouvoirs exécutifs), après sept années passées au poste de premier ministre. Il sera réélu en 1990, 1996, 2002, 2008 et 2013.
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2006 : le taux d’inflation s’envole, dépassant la barre des... 1 000 %.
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septembre 2008 : un accord de partage du pouvoir est conclu entre la ZANU-PF de Robert Mugabe et le Mouvement pour le changement démocratique (MDC) de l’opposant Morgan Tsvangirai.
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2008-2009 : une violente épidémie de choléra frappe le pays, faisant plus de 4 000 victimes.
Grace Mugabe, de l'ombre à la lumière
Agée de 49 ans, Grace Mugabe, née à Benoni (Afrique du Sud), a travaillé au sein du service dactylographique de la présidence zimbabwéenne dans les années 1990. C’est là que Robert Mugabe l’a repérée. Elle l’a épousé en secondes noces en 1996 lors d’une fastueuse cérémonie catholique et lui a donné trois enfants. Sa récente « promotion » en tant que présidente de la ligue des femmes de la ZANU-PF devrait être confirmée lors du congrès du mouvement. Ses opposants, qui la surnomment tantôt « DisGrace » (disgrâce) tantôt « First Shopper » (la première acheteuse) en raison de sa frénésie consumériste, y voient un tremplin pour satisfaire ses ambitions présidentielles.
Zimbabwe : purge politique en vue de l'après-Mugabe
30 novembre 2014
Dans toute autocratie, les compagnons de route d’antan peuvent subitement basculer dans le camp des réprouvés. La vice-présidente du Zimbabwe, Joice Mujuru, en fonction depuis 2004, vient d’en faire l’amère expérience. A 59 ans, cette fidèle de Robert Mugabe – au pouvoir depuis l’indépendance, acquise en avril 1980 aux dépens du Royaume-Uni – a ainsi été écartée, mercredi 26 novembre, de l’organe suprême de la ZANU-PF (Union nationale africaine du Zimbabwe-Front patriotique). Une décision brutale, mais pas inopportune : du 2 au 7 décembre doit se tenir un important congrès du parti dirigeant censé entériner la nouvelle composition du bureau politique ; composition sur laquelle M. Mugabe a désormais la haute main après la réécriture à la hussarde des statuts internes du mouvement.
D’après les informations relayées par les médias zimbabwéens, notamment The Herald, Mme Mujuru, qui a combattu pour l’indépendance de l’ex-Rhodésie du Sud dans les années 1970 sous le nom de guerre « Teurai Ropa » (« faire couler le sang »), doit cette mise au ban aux autorités du Mashonaland, sa province natale. Sa candidature à un siège au sein du comité central a été rejetée au motif qu'elle aurait été impliquée dans un complot ourdi pour assassiner M. Mugabe ; des allégations récusées avec force par l’intéressée. Plusieurs alliés de Joice Mujuru, dont cinq ministres, ont, eux aussi, été frappés par cet ostracisme soudain.
Cette purge interne, la plus importante qu’ait connue la ZANU-PF en vingt-sept ans d’existence, paraît d’autant plus inattendue que Mme Mujuru, veuve d’un ancien général mort en août 2011 de manière mystérieuse, semblait jusqu'ici jouir des faveurs du maître du pays. D’aucuns voyaient même en elle une postulante très sérieuse à la succession de M. Mugabe qui, à 90 ans, est aujourd’hui le plus vieux chef d’Etat en exercice du continent africain. C’était compter sans l’animadversion de la première dame.
Depuis plusieurs mois, Grace Mugabe s'applique, avec le concours des médias contrôlés par l’Etat, à torpiller les aspirations présidentielles de Joice Mujuru, qu’elle a successivement accusée de « corruption, de manœuvres visant à attiser le sectarisme au sein du parti et de trahison ». Loin de se laisser abattre par cette cabale personnelle, celle-ci a répliqué dans une lettre ouverte publiée le 16 novembre par des organes de presse privés. Elle y dénonçait des attaques « malveillantes, diffamatoires et irresponsables ».
Reste que son avenir immédiat semble mal engagé. D’autant que Grace Mugabe a pris fait et cause pour Emmerson Mnangagwa, le puissant et riche ministre de la justice (il dispose de vastes intérêts commerciaux dans le pays ainsi qu’en République démocratique du Congo). Ex-responsable de la police secrète et de l’armée, l’homme passe pour un individu froid et impitoyable. D'où le surnom peu amène de « crocodile » qui lui colle à la peau depuis de longues années.
Face à ce rival à l’appétit politique aiguisé, Joice Mujuru est-elle irrémédiablement condamnée au statut de victime et à l’oubli ? Le politologue zimbabwéen Brian Raftopoulos se garde de toute opinion tranchée : « Compte tenu des soubresauts qui agitent la ZANU-PF, on ne peut pas dire que la carrière de Joice Mujuru soit terminée. Il est probable qu’elle ne décrochera pas la présidence (...), mais cela ne signifie pas nécessairement qu'Emmerson Mnangagwa ait gagné. Robert Mugabe, en effet, est plein de surprises », relève-t-il. Et d’ajouter : « Il a l'habitude de rétrograder les gens, de les punir mais aussi de les garder à portée de main pour les faire revenir sur le devant de la scène ultérieurement. »
Pour la plupart des observateurs, d’ailleurs, le président, en habile stratège, pourrait avoir lui-même orchestré en coulisse l’opération. C’est ce que pense notamment Ibbo Mandaza, un ancien haut cadre de la ZANU-PF, qui a quitté le mouvement il y a six ans : « Mugabe sait très bien que tout le monde, partout, veut qu’il s'en aille. Mais il ne peut imaginer sa vie en dehors du pouvoir. C’est pourquoi il a procédé à cette vaste manipulation. » Une manière pour lui de garder sous sa coupe le parti – et, ipso facto, le pays – tout en détournant l’attention des problèmes de fond auxquels celui-ci est confronté.
Bien que son sous-sol regorge de richesses (diamants, or, platine, charbon), le Zimbabwe souffre en effet du délabrement de son économie, largement sous perfusion de la Chine. La plupart des sanctions occidentales ont certes été levées, mais les investisseurs, échaudés par la politique « d’indigénisation » (favorable aux Noirs) promue par le pouvoir – prétendument pour corriger les inégalités héritées du passé colonial –, ne se bousculent pas pour créer de l’activité dans le pays. Corollaire : le taux de chômage avoisine les 80 %. Sevrés de perspectives, beaucoup de citoyens, notamment les plus éduqués (médecins, enseignants, ingénieurs), partent tenter leur chance à l’étranger.
Dans un rapport paru en septembre, l’International Crisis Group dresse un sombre panorama de l’évolution du pays. Et sa conclusion est assassine pour le régime : du fait « d’échecs de gouvernance endémiques » et « d'une lutte de pouvoir débilitante au sein du partir au pouvoir », « le Zimbabwe est un Etat insolvable et failli, dont les institutions s’érodent et l’économie autrefois florissante devient moribonde ».
Mise en orbite politiquement par son mari, Grace Mugabe a-t-elle des chances de prendre la relève le moment venu et, surtout, en a-t-elle l’étoffe ? Cité par le Guardian, l’analyste politique zimbabwéen Vince Musewe répond sans ambages par la négative : « A mon sens, Grace n’est qu’un pion. Elle ne saurait en aucune manière devenir quelqu’un une fois que Mugabe ne sera plus là. Elle n’a pas reçu une éducation adéquate et elle ne saisit pas toutes les complexités du pays pour permettre à celui-ci d'avancer. Elle appartient peut-être à l’élite, mais jamais les hommes des services de sécurité ne l'accepteront comme chef d'Etat. Elle ne possède pas le sérieux nécessaire pour diriger le Zimbabwe. »