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Des Nigérians manifestent à Abuja, la capitale fédérale, en signe de soutien aux lycéennes enlevées par Boko Haram, le 17 octobre 2014. Sur la banderole, on peut lire : « Ramenez-nous nos filles. Le temps presse » (Afolabi Sotunde/Reuters).

 

 

Que signifie Boko Haram en langue haoussa ?

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La traduction la plus répandue est « l’éducation occidentale est un péché ». Mais il y a débat entre les spécialistes. Pour Gilles Yabi, ce n’est pas tant l’éducation occidentale en tant que telle qui est visée par les sicaires islamistes que les effets de l’occupation britannique, qui débuta en 1861 avec l'établissement de la colonie de Lagos et dont le Nigeria s’affranchit en devenant indépendant, le 1er octobre 1960. « Les membres de Boko Haram entendent surtout dénoncer le fait que les valeurs religieuses traditionnelles de l’islam, qui a été importé au Nigeria – comme partout en Afrique de l’Ouest – il y a plusieurs siècles, ont été remises en cause par la colonisation », souligne-t-il.

 

 

Nigeria : le sort incertain des lycéennes de Chibok

 

19 octobre 2014

 

Les atrocités perpétrées par le prétendu « Etat islamique » sur le champ de bataille irako-syrien, au nom d'une idéologie obscurantiste, et l'inquiétante progression du virus Ebola en Afrique de l'Ouest avaient presque fait oublier un autre drame : celui des lycéennes de Chibok (nord-est du Nigeria). Jusqu’à ce que, vendredi 17 octobre, les autorités nigérianes annoncent de manière inattendue que les 219 jeunes filles toujours retenues captives par Boko Haram pourraient être bientôt libérées dans le cadre d’un accord de cessez-le-feu conclu avec le groupe islamiste. D’après le Tchad, qui, sous l’égide de son président, Idriss Déby, a joué un rôle actif de médiateur, cet accord prévoirait en échange la libération de certains membres de Boko Haram, actuellement emprisonnés dans les geôles d’Abuja.

 

Petit rappel des faits : à la mi-avril, 276 adolescentes âgées de 12 à 17 ans étaient enlevées dans le dortoir de leur lycée de Chibok, déclenchant une vague d’indignation au niveau mondial. Très vite, une campagne virale avait été lancée sur Twitter, sous le nom « #BringBackOurGirls » (« Ramenez-nous nos filles »). Même la « First Lady » américaine, Michelle Obama, pourtant portée vers d'autres combats, s'était jointe au chœur des protestations et avait clamé sa « révolte et son chagrin » face à cet acte « insensé ». Mais, au fil des semaines, la colère et la tristesse ont subrepticement déserté la scène internationale, laissant les familles de victimes seules face à leur désarroi. Une détresse d’autant plus grande que le pouvoir nigérian ne leur distillait des informations qu’avec extrême parcimonie...

 

Accueillie avec une joie mêlée de soulagement, l’annonce faite vendredi en grande pompe par le gouvernement nigérian n’a cependant pas totalement effacé les doutes des proches des lycéennes. Et pour cause : le porte-parole des services de sécurité nigérians, Mark Omeri, a affirmé peu après qu’aucun accord n’avait été scellé... A cela s’ajoute une autre zone d'ombre concernant celui que Hassan Tukur – le premier secrétaire de la présidence, apparemment impliqué dans les pourparlers – présente comme son interlocuteur au sein de Boko Haram.

 

Danladi Ahmadu, en effet, s’est targué, dans un entretien au service en langue haoussa de Voice of America, d’être le « chef de la sécurité » du groupe islamiste. Or, l’homme demeure inconnu des spécialistes. « Je n’ai jamais entendu parler de ce monsieur et si Boko Haram voulait déclarer un cessez-le-feu, cela viendrait de leur chef, Aboubakar Shekau », a ainsi déclaré Shehu Sani, qui a lui-même, par le passé, négocié avec le mouvement pour le compte du gouvernement.                  

 

Dans ce contexte pour le moins confus, le sort des lycéennes demeure en balance. Ont-elles été vendues « comme esclaves » ou « mariées de force » comme l’avait promis en mai Aboubakar Shekau, dans une odieuse mise en scène ? « Après six mois de captivité, il est plus que probable qu'elles aient été déplacées et ne se trouvent plus regroupées au même endroit. Peut-être même certaines d’entre elles ont-elles été transportées de l’autre côté de la frontière avec le Niger ou le Cameroun », estime Gilles Yabi, ancien directeur du projet Afrique de l’Ouest de l’ONG International Crisis Group.

 

« Leur recherche est rendue plus complexe par le fait que Boko Haram a accru son emprise sur certaines régions du nord-est du pays [notamment les Etats d’Adamawa, de Borno et de Yobe, placés sous état d’urgence depuis mai 2013], qui sont particulièrement difficiles d’accès, avec des forêts denses qui lui offrent de nombreuses possibilités de cacher ses bases et ses otages », précise le chercheur indépendant. De fait, malgré les moyens sophistiqués déployés par les armées américaine et britannique, notamment des drones, Boko Haram jouit indubitablement de l'avantage du terrain ; une zone immense (les trois Etats susmentionnés couvrent à eux seuls une superficie de plus de 150 000 km2).

   

Si d’aventure les jeunes filles recouvraient la liberté d’ici peu, cela ramènerait-il la paix au Nigeria, pays de 170 millions d’habitants devenu, au printemps, la première économie d’Afrique, devant l'Afrique du Sud ? Cette perspective optimiste paraît peu plausible, eu égard à la persistance des clivages ethniques et religieux – terreau dont se nourrit Boko Haram pour prospérer.

 

Pour Gilles Yabi, les défaillances de l’armée et les divisions politiques constituent également un frein à toute avancée après cinq années d’insurrection qui ont fait plus de 10 000 morts : « A l’heure actuelle, il n’y a ni solution militaire en raison de l’état même des forces nigérianes, handicapées par de gros problèmes de coordination, de direction et d’équipement, ni solution politique. En effet, à l’approche des élections présidentielles et législative, les principaux acteurs sont en compétition pour le pouvoir », analyse-t-il.

 

Cela explique sans doute les atermoiements du chef de l’Etat, Goodluck Jonathan – un chrétien originaire du Sud, au pouvoir depuis 2010 –, à qui beaucoup ont reproché dernièrement son attentisme et ses promesses d’intervention sans lendemain. « A ses yeux, la situation des lycéennes de Chibok, quoique préoccupante, n’a jamais représenté la priorité, qui est d’assurer coûte que coûte sa réélection, en février 2015 », conclut Gilles Yabi.      

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