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Choe Ryong-hae (à droite), l’un des plus proches conseillers du dirigeant nord-coréen, Kim Jong-un, rencontre le président russe, Vladimir Poutine, à Moscou, le 18 novembre 2014 (KCNA).

 

REPÈRES CROISÉS

 

 

RUSSIE (nom officiel : Fédération de Russie)

 

  • Superficie : 17 millions de kilomètres carrés (soit près de 31 fois la France).

 

  • Population : 143,7 millions d'habitants.

 

  • Capitale : Moscou (11,5 millions d'habitants).

 

  • Monnaie : le rouble.

 

  • Fête nationale : le 12 juin.

 

  • Communautés religieuses : orthodoxes (41 %), musulmans (7 %), chrétiens (4%), bouddhistes (0,5 %), hindouistes (0,5 %).

 

 

CORÉE DU NORD (nom officiel : République populaire démocratique de Corée)

 

  • Nature du régime : régime dictatorial à parti unique. Kim Jong-un est le dirigeant suprême du Parti des Travailleurs, de l’Etat et de l’armée et premier président de la Commission de défense nationale ; Kim Il-sung, son grand-père (et fondateur du régime, mort le 8 juillet 1994), est le "président éternel", d'après la Constitution.

 

  • Superficie : 120 500 kilomètres carrés. 

 

  • Population : 24,9 millions d'habitants.

 

  • Capitale : Pyongyang (2,8 millions d'habitants).

 

  • Monnaie : le won nord-coréen.

 

  • Fête nationale : le 9 septembre.

 

  • Communautés religieuses : selon l'article 68 de la Constitution, "le citoyen jouit de la liberté de religion", mais "il est interdit de [s'en servir] pour introduire des forces étrangères ou perturber l'ordre étatique et social". En réalité, cette liberté, très encadrée, n'est que théorique.

 

 

 

Russie - Corée du Nord : une forte « empathie idéologique »

 

20 mars 2015

 

Depuis un an, la Russie, à laquelle les puissances occidentales battent froid en raison de la crise ukrainienne, s’attache à resserrer les liens qui l'unissaient à la Corée du Nord sous l'ère soviétique. Alors que le dirigeant de la République populaire démocratique de Corée (RPDC), Kim Jong-un, a été convié à se rendre en Russie en mai, à l’occasion des célébrations du 70e anniversaire de la « libération de la Corée » et de la « victoire dans la grande guerre patriotique » [nom officiel russe de la Seconde Guerre mondiale], Moscou a annoncé le 11 mars le lancement d’une « année de l’amitié » avec la Corée du Nord.

 

Quelles sont, de part et d'autre, les motivations intrinsèques de ce rapprochement ? Est-il appelé à durer et pourrait-il avoir une influence sur la relation particulière forgée entre Pékin et Pyongyang ? Historien et ancien diplomate en poste à Séoul (en 1997, puis de 2001 à 2006), Pascal Dayez-Burgeon, auteur de plusieurs ouvrages de référence sur la Corée du Nord (1), livre des clés de décryptage sur ce réchauffement bilatéral et esquisse quelques pistes pour l’avenir.

 

>> D’un point de vue historique, quels rapports unissent la Russie à la Corée du Nord ?

 

Pascal Dayez-Burgeon : Il s’agit, en quelque sorte, d’un compagnonnage idéologique. A l'origine, Kim Il-sung [fondateur et premier dirigeant de la Corée du Nord, de 1948 à 1994] s’était imaginé un destin russe : il avait pris un nom russe et il était même question qu'il devînt général de l’armée soviétique. Puis, en 1945, il a été propulsé à la tête de la Corée du Nord. Il a donc été un allié, voire une « créature » des Russes. Du moins au départ, car il a très vite compris que, pour ne pas être complètement prisonnier de cette alliance, il lui fallait jouer la carte de Pékin contre celle de Moscou. Depuis 1949, c’est-à-dire depuis que la Chine est communiste, toute la politique nord-coréenne est fondée sur ce paradigme – et sur le pari du rapprochement avec le plus offrant. 

 

>> Quel est l'état de cette relation aujourd'hui ?

 

Elle est assez bonne. Mais cela n’a pas toujours été le cas. Sous l’ère Gorbatchev, marquée par la perestroïka [restructuration de l’économie], elle s’était sensiblement détériorée. L’arrivée au pouvoir de Vladimir Poutine, en 2000, a changé la donne car elle a créé une forte empathie idéologique entre Pyongyang et Moscou. Les hiérarques nord-coréens, en effet, sont convaincus que, d’une certaine manière, la dictature est la démocratie, le dictateur représentant la volonté du peuple. En revanche, ce que nous, Occidentaux, considérons comme la démocratie n’est rien d’autre à leurs yeux qu’une captation bourgeoise du pouvoir. 

 

La mort de Kim Jong-il, en décembre 2011, l’intronisation subséquente de son fils Kim Jong-un et surtout l’élimination de l’oncle de ce dernier, Jang Song-taek, dont le tropisme pro-Pékin était connu, atteste la volonté de la RPDC de se détacher en partie de Pékin. D’autres signes accréditent cette thèse : le fait que le président chinois Xi Jinping se soit déplacé en Corée du Sud, et non en Corée du Nord – ce qui est tout de même incroyable – et le fait que Kim Jong-un lui-même ne se soit pas rendu à Pékin en tant que dirigeant (il y était allé lorsqu’il n’était encore que « prince héritier »).

 

Il convient aussi de souligner que, derrière ce réchauffement russo-nord-coréen, il y a un intérêt économique. De fait, les Nord-Coréens prêtent leurs prisonniers à la Russie pour l’exploitation des vastes forêts de Sibérie. Cela rapporte à Pyongyang de nombreuses devises.

 

En s'éloignant de la Chine – au point d’avoir mené en juillet 2014 un essai balistique, non pas depuis la côte de la « mer orientale de Corée » (la mer du Japon), mais depuis la frontière chinoise, ce qui a provoqué le courroux de Pékin –, Kim Jong-un se rapproche mécaniquement de la Russie. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle il a été convié à Moscou en mai par Vladimir Poutine et qu'il va sans doute honorer cette invitation. Son père, Kim Jong-il, s’y était rendu à deux reprises en prenant le train ; traversée qui avait pris plusieurs jours et fait couler beaucoup d’encre. Elle a même, dit-on, inspiré le cinéaste sud-coréen Bong Joon-ho, qui a réalisé Snowpiercer, le Transperceneige...

 

>> Au-delà de l’aspect économique, y a-t-il, selon vous, d’autres motivations expliquant ce rapprochement ?

 

Je pense qu’il s’agit, pour la Corée du Nord, de contrer un nationalisme chinois de plus en plus affirmé, qui hérisse l’ensemble des acteurs de la région – Américains, Japonais, Sud-Coréens... Je me demande également si le resserrement des liens avec Moscou n'est pas le préambule – cela peut paraître surprenant – d’un rapprochement avec le Japon, ennemi atavique, là aussi pour contrebalancer l’influence chinoise.

 

>> La volonté de la Russie de se tourner vers la Corée du Nord n’est-elle pas liée aux sanctions occidentales visant Moscou ?

 

Oui, peut-être, mais je ne crois pas pour autant que Moscou voie en Pyongyang un allié de premier ordre. Pour les Russes, la RPDC n’est certainement pas à mettre sur le même plan que l’Union européenne et, surtout, l’Ukraine. De mon point de vue, cette réorientation est davantage liée à la politique que poursuit la Russie en Extrême-Orient et qui consiste à s'affirmer comme une puissance de la région ; objectif pour lequel elle a besoin de la Corée du Nord, tout comme les Américains ont besoin de la Corée du Sud.   

 

>> Pensez-vous que cette réorientation soit appelée à durer ?                

 

A mon sens, c’est un tournant stratégique fondamental pour Kim Jong-un qui, comme je l’ai dit précédemment, veut contrecarrer l'influence de Pékin. La seule manière d’échapper (un peu) à l’emprise de la Chine, sur laquelle repose à 88 % l’économie nord-coréenne, c’est de se rapprocher durablement de la Russie. La Corée du Nord veut s’inscrire, me semble-t-il, dans une sorte de confraternité dictatoriale avec Moscou et s’offrir ainsi une sorte de ballon d’oxygène économique et idéologique.

 

>> Quelles sont les limites de ce rapprochement ?

 

Tout d’abord, il existe un très large fossé culturel entre les deux pays. La RPDC est beaucoup plus sinisée qu’elle n’est russifiée. Kim Il-sung parlait peut-être la langue de Tolstoï, mais son petit-fils Kim Jong-un n’en a pas la moindre notion.

 

Ensuite, vue de Corée du Nord, la Russie demeure une puissance occidentale, alors que la Chine est la puissance sororale sur le plan culturel – d’où la difficulté de s’en démarquer. Il ne faut pas oublier que 75 % du vocabulaire coréen vient du chinois. Les deux pays, pour autant, ont leurs divergences, notamment sur la conception du pouvoir. La RPDC, en effet, est favorable à une dictature durable, voire héréditaire. Bien loin du système chinois, qui, lui, prévoit une alternance tous les dix ans à la tête de l’Etat.

 

>> Est-il envisageable que la Russie puisse vendre des armes au régime nord-coréen, contournant ainsi l'embargo international ?

 

Pour l’heure, il n’en est pas question car ce serait, pour Vladimir Poutine, prendre le risque d’ouvrir un nouveau front avec les Etats-Unis, mais aussi avec la Chine. Cependant, on ne peut pas totalement l'exclure. Il est vrai que les Russes ont toujours aidé les Nord-Coréens, pendant et après la guerre de Corée (1950-1953).

 

Je crois qu’au fond, les Russes veulent participer au « match à quatre » qui se déroule autour des deux Corées (aux côtés de la Chine, des Etats-Unis et du Japon), mais sans provoquer de casus belli avec Washington ou Pékin. C’est un jeu idéologico-culturel. Ils essaient de se positionner plus qu’en simples termes militaires, de faire valoir leur « soft power » [concept géopolitique prônant l'influence par des moyens non coercitifs].   

 

>> La Russie pourrait-elle à terme supplanter la Chine comme premier partenaire commercial de la Corée du Nord ?     

 

Cette perspective me paraît peu réaliste, eu égard à la proximité géographique entre la RPDC et la Chine. Quand je dis la Chine, je veux surtout parler de la Mandchourie, qui est une continuité de la Corée du Nord. En témoigne le fait que les ressources minières et les cultures y sont identiques. Même la Corée du Sud se trouve beaucoup plus sous influence chinoise qu’américaine. Kim Jong-un ne cherche pas à rompre avec la Chine, seulement à avoir davantage « d’espaces d’autonomie » ; pour la Corée du Sud, il s’agit des Etats-Unis et de l’Europe ; pour sa voisine du Nord, de la Russie.     

 

>> Vladimir Poutine et Kim Jong-un sont-ils susceptibles de nouer des liens personnels  ?

 

Depuis son arrivée au pouvoir, Kim Jong-un ne s’est pas déplacé une seule fois à l’étranger, respectant en cela la traditionnelle durée confucéenne du deuil, qui est de trois ans. A présent que cette période est écoulée, il peut se rendre à Moscou. Mais le fera-t-il ? In fine, je pense que tout cela relève du manège politique. Vladimir Poutine et Kim Jong-un ne se connaissent pas encore et je vois mal comment ils pourraient s’entendre. Le jeune dictateur nord-coréen est américanisé : il parle l’anglais (et un peu le français), pas le russe. Je ne les imagine pas sympathiser. Cela ne les empêche pas, en revanche, d'avoir des convergences idéologiques.     

 

Propos recueillis par Aymeric Janier               

 

(1) Dernier livre paru : La dynastie rouge, Editions Perrin, octobre 2014, 320 pages.

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