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Des combattants de l’Armée syrienne libre (anti-Bachar Al-Assad) nettoient leur AK-47 à Alep, le 19 octobre 2012.

 

 

 

Des membres du groupe d’extrême droite japonais Ganbare Nippon participent à une marche de protestation à propos des îles Senkaku (Diaoyu en chinois), le 23 janvier 2013 (crédit : Al Jazeera English).

 

 

 

Des soldats français en route pour l’opération « Serval » au Mali contre les islamistes d’Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI).

 

 

2014 : l'équation géopolitique à inconnues multiples

13 janvier 2014​

Du Moyen-Orient tourmenté, battu par des vents confessionnels contraires, à l'Asie de l'Est, théâtre de rivalités territoriales grandissantes, en passant par l’Afrique, toujours en proie à l’hydre islamiste et à des crispations identitaires sournoises, 2013 a prouvé qu’à travers le monde, les zones de crise demeuraient, hélas, nombreuses. Que nous réserve 2014 ? En ce mois de janvier, « Relations internationales : États critiques » dresse un bilan de l’année écoulée et se livre à un modeste exercice de prospective. Tour d’horizon (non exhaustif) des « points chauds » à surveiller.

MOYEN-ORIENT

 

Minée depuis la mi-mars 2011 par un conflit à l’issue incertaine, la Syrie demeure la principale ligne de front – et de fracture – de la région. En 2013, le tribut payé par les citoyens, et notamment les enfants, à la sordide guerre d’usure entre loyalistes et opposants au président Bachar Al-Assad, n’a cessé d’augmenter, jusqu’à atteindre des proportions tragiques. D’après les organisations humanitaires, près de 6,5 millions de personnes auraient été déplacées à l’intérieur des frontières du fait des combats et 2,3 millions auraient quitté le territoire, cherchant refuge dans les pays voisins (Liban, Turquie). A cette aune, 2014 s’annonce sous des auspices peu favorables. Certes, à l’instigation de la diplomatie russe, le pouvoir syrien a consenti à démanteler son redoutable arsenal chimique. Mais Bachar Al-Assad, au pouvoir depuis juillet 2000, n’a manifesté aucune intention de déposer les armes, encore moins d'aller à Canossa. Poussant le cynisme à son acmé, il a même affirmé à l’automne qu’il serait candidat à l’élection présidentielle de 2014 « si le peuple le voulait ». Sur le terrain, parallèlement, la donne promet de se complexifier à mesure que s’exacerbent les tensions entre insurgés et djihadistes, désormais à couteaux tirés.

 

L'année 2014 sera également l'occasion de lever une partie du voile sur les desseins d'un acteur majeur du Moyen-Orient : l'Iran. Officiellement investi président de la République islamique le 4 août, le « mollah diplomate » Hassan Rohani a, ces derniers mois, troqué les envolées jusqu’au-boutistes et les philippiques dont se délectait son prédécesseur, Mahmoud Ahmadinejad, pour le rameau d’olivier. Un choix judicieux, puisqu'il a abouti, le 24 novembre, à la signature d'un accord intérimaire à Genève sur l’épineuse question du nucléaire, en souffrance depuis 2002. Celui-ci sera appliqué à compter du 20 janvier. Mais ce n’est là qu'un premier pas, qui doit encore être confirmé. Israël, par ailleurs toujours englué dans d'âpres négociations de paix avec les Palestiniens, ne croit pas aux gages de bonne volonté donnés par Téhéran – pas plus, d'ailleurs, que l’Arabie saoudite sunnite, soucieuse de contenir à tout prix l'extension du croissant chiite (Syrie, Irak et Hezbollah libanais). La prudence, de fait, s’impose. Dans le cas de l’Iran, l’histoire, en effet, a déjà prouvé qu'entre belles promesses et pieux mensonges, la frontière était parfois ténue, pour ne pas dire inexistante.

 

Par-delà la frontière iranienne, justement, se tisse une autre toile fort sombre. Plus de deux ans après le retrait des troupes américaines, scellé en décembre 2011, l’Irak n'a rien d'un pays pacifié. Les violences interconfessionnelles y perdurent quotidiennement, attisées par le feu sournois du sectarisme. Un terreau fertile sur lequel fleurissent les noirs étendards de l’Etat islamique en Irak et au Levant (EIIL), émanation d’Al-Qaïda aux revendications régionales assumées. S’il veut empêcher la balkanisation accélérée de son pays et rassembler un large front anti-djihadiste, le premier ministre chiite, Nouri Al-Maliki, devra se montrer plus conciliant avec la communauté sunnite qu’il ne l’a été jusqu’ici. Mais le veut-il et, surtout, le peut-il, alors que d’aucuns l’accusent régulièrement de n’être rien de plus qu’une « marionnette » entre les mains de l’Iran ? Pas sûr.

 

Le général Abdel Fattah Al-Sissi, lui, n’a pas ce genre de pudeur : depuis la destitution du président Mohamed Morsi, le 3 juillet, il règne en maître sur l’Egypte, au prix d’une répression féroce contre les Frères musulmans, dont est issu l'ex-chef de l'Etat. Du jamais-vu depuis le règne de Nasser (1954-1970). Ebranlée par les coups de boutoir répétés de l'armée, la Confrérie islamiste fondée en 1928 par l'instituteur égyptien Hassan Al-Banna, qui a été déclarée « organisation terroriste » à la fin de décembre en raison de son implication présumée dans les récents attentats perpétrés au Sinaï, traverse une période délicate, voire critique. Pour autant, elle tient toujours tête au pouvoir militaire, promettant de continuer à manifester malgré son interdiction.

 

Le procès de l'ancien raïs pour « incitation au meurtre », ajourné au 1er février, laisse augurer un nouveau bras de fer. Débouchera-t-il sur une flambée de violences comme à l'été, lorsque les rassemblements organisés par les Frères sur les places Rabiya Al-Adawiya et Nahda du Caire avaient été réprimés dans le sang (plus d'un millier de morts) ? Une lourde condamnation ne ferait en tout cas que cristalliser un peu plus l'antagonisme entre pro- et anti-Morsi, ce qui plongerait le plus grand pays arabe dans un chaos potentiellement dévastateur, avec des conséquences néfastes pour l'ensemble de la région. Seul point positif : l'économie nationale, bien que toujours chancelante, montre des signes timides d'amélioration, grâce au soutien des monarchies du Golfe (Koweït, Arabie saoudite, Emirats arabes unis) et de leurs précieux pétrodollars. Mais pour combien de temps ?

 

ASIE-PACIFIQUE

 

Au-delà du Moyen-Orient, creuset d'incompréhensions et de tensions ataviques, l'Asie-Pacifique soulève également des inquiétudes légitimes. Entre le Chinois Xi Jinping, officiellement intronisé en mars 2013 (et théoriquement en place pour dix ans), et le Japonais Shinzo Abe, de retour au pouvoir en décembre 2012 après un premier mandat en 2006-2007, la défiance est palpable. Preuve en est, le premier ministre conservateur nippon, qui a effectué une vingtaine de déplacements en un an, ne s'est toujours pas rendu à Pékin. Au cœur des tensions bilatérales : les Senkaku, un chapelet d'îles inhabitées de mer de Chine orientale administrées par le Japon depuis 1972, mais revendiquées par la Chine sous le nom de Diaoyu. Aucun des deux pays n'est disposé à transiger sur le devenir de ce modeste territoire d'à peine quelques kilomètres carrés, dont les eaux seraient riches en hydrocarbures et en ressources halieutiques. En témoignent les bravades réciproques de ces derniers mois, avec, en point d'orgue, l'instauration unilatérale, le 23 novembre par Pékin, d'une « zone aérienne d'identification ». Laquelle a entraîné, quelques jours plus tard, l'envoi sur zone de B-52 par les Etats-Unis...

 

La Corée du Sud est, elle aussi, impliquée dans ce qui ressemble de plus en plus à un jeu de billards à trois bandes. Querelles à propos d’îlots, là encore : Ieodo/Suyan avec la Chine, Dokdo/Takeshima avec le Japon. Pas de quoi faciliter les rapprochements. Plus au sud, en mer de Chine méridionale, les appétits territoriaux affichés sans complexe par l'ex-Empire du milieu suscitent également une vaste querelle de voisinage impliquant pêle-mêle le Vietnam, les Philippines, la Malaisie, le sultanat de Brunei ou encore l'Indonésie. Autant de contentieux que les hiérarques chinois s'efforcent de régler au cas par cas, s'appuyant sur le principe bien connu du « diviser pour mieux régner ».

 

Dans ce contexte volatil, une conflagration régionale est-elle à craindre en 2014 ? Cette hypothèse, même si elle n'est pas totalement à exclure, est peu vraisemblable. D'abord parce qu'aucune des parties en présence n'y a intérêt d'un point de vue économique ; ensuite, parce que l'implication des Etats-Unis comme allié stratégique du Japon agit, sinon comme un repoussoir, du moins comme un rempart contre toute action militaire d'envergure. Cela étant, l'augmentation sensible des budgets de défense japonais et surtout chinois, couplée à des discours aux accents clairement nationalistes de part et d’autre, n'incite guère à l'optimisme. Le poids de l'histoire ne plaide pas non plus en faveur d'un apaisement à brève échéance, le Japon se refusant toujours à faire acte de contrition pour son passé militariste, ainsi que l'a prouvé la récente visite de Shinzo Abe au sanctuaire Yasukuni de Tokyo, où sont honorés « les morts pour la patrie » [dont les quatorze criminels de la seconde guerre mondiale condamnés par les Alliés].

 

Pour l'Administration Obama, qui a fait du « pivot » vers l'Asie-Pacifique le pilier de sa diplomatie, ces abcès de fixation représentent des défis de taille. D'autant qu'elle doit également garder un œil sur le turbulent et schizophrénique régime de Pyongyang. Fidèle à sa réputation d'homme impavide, le dirigeant nord-coréen Kim Jong-un a, en effet, célébré le passage à la nouvelle année à sa façon, agitant la menace d'un « désastre nucléaire » en guise de vœux... Des rodomontades qui n’ont certes rien de très original, mais dont il serait pour autant malavisé de minimiser la portée : en 2013, en effet, la RPDC a procédé à son troisième essai nucléaire, après ceux de 2006 et de 2009. Enfin, des craintes non dénuées de fondement entourent le sort de l'Afghanistan après le retrait des dernières troupes de la Force internationale d’assistance et de sécurité (ISAF), prévu en décembre prochain. Les taliban reprendront-ils possession de Kaboul ? Vu le morcellement ethnique du pays, des heurts interconfessionnels paraissent inévitables...

 

AFRIQUE

 

Troisième zone de crise latente, et non des moindres : l'Afrique. L'année 2013 s'était ouverte, pour la France, par l'opération « Serval » et l'envoi de troupes au Mali afin d'endiguer la poussée des islamistes vers Bamako. A présent que la menace est (relativement) circonscrite, et que l'Hexagone s'apprête à diminuer son dispositif de 2500 à 1600 hommes en février, le curseur se déplace vers la République centrafricaine. Depuis le renversement de François Bozizé, en mars 2013, le pays est en proie à des tiraillements identitaires entre anti-Balaka chrétiens et ex-Séléka musulmans – ceux-là même qui furent à l'origine de l'éviction de l'ancien président. Bien qu'elle répugne à tenir son rôle historique de « gendarme de l'Afrique », la France, instruite par l'expérience tragique du génocide rwandais en 1994, a choisi d'intervenir afin de prévenir un éventuel massacre. Mais, sur le terrain, l'opération « Sangaris » est bridée par les violences, ce qui fait planer la menace d'un enlisement.

 

Autre motif de préoccupation : le Soudan du Sud. Porté sur les fonts baptismaux en juillet 2011 dans la liesse générale, le plus jeune Etat du monde n'a cessé d'accumuler les déboires. Aux contentieux toujours non réglés avec le Soudan sur une juste répartition de la manne pétrolière (l'or noir se trouve au sud, mais doit transiter par Khartoum avant d'être exporté) et le tracé des frontières s'ajoute désormais, au plan interne, une rivalité politique de mauvais aloi. Ces dernières semaines, le président, Salva Kiir, et son ex-vice président, Riek Machar, limogé à l'été, ont multiplié les saillies oratoires, sur fond de conflit armé entre leurs partisans. Le premier accuse le second d'avoir fomenté un coup d'Etat, ce que ce dernier nie avec la dernière force. Une intrigue de palais qui fait croître le risque d'un éclatement et dont le chef de l'Etat soudanais, Omar Al-Bachir, pourrait faire son miel, lui qui n'a jamais digéré la partition de 2011.

 

Bien que la piraterie maritime se soit éloignée des eaux de la Corne de l'Afrique pour s'ancrer davantage dans le golfe de Guinée, cette partie du continent demeure également très instable : au Kenya, comme en Somalie, le poison des islamistes (Chabab) agit encore, fragilisant l’édifice politico-institutionnel. C’est aussi le cas dans le nord-est du Nigeria, où la secte Boko Haram – nom qui signifie « l’éducation occidentale est un péché » – sème la terreur. En République démocratique du Congo, le pouvoir de Kinshasa doit toujours composer avec une situation instable dans l’est et le sud-est, notamment dans la riche province minière du Katanga, où la milice sécessionniste Bakata Katanga harcèle l’armée régulière. Quant au Maghreb, de la Mauritanie à la Libye, où le pouvoir central est confronté à une vaste mosaïque de revendications politiques (Amazigh, Berbères, Toubou, Touareg, fédéralistes) et à la main noire des salafistes/djihadistes, il n’offre guère de perspectives réconfortantes.

 

Seule réelle lueur d’espoir dans un monde arabo-musulman guetté par l’obscurité : la Tunisie. Sans doute échaudés par l’insuccès et les malheurs des Frères musulmans égyptiens, les islamistes d’Ennahda ont d’eux-mêmes abandonné, le 9 janvier, tous les postes ministériels qu’ils détenaient dans le gouvernement de coalition. Accès de pragmatisme ou calcul politique en vue des futures échéances électorales ? Probablement un peu des deux. Trois ans après la chute de la dictature de Zine El-Abidine Ben Ali, le pays du jasmin exhale un parfum salutaire de renouveau, même si le contexte économique et social reste tendu. Son apprentissage démocratique se fait pas à pas, de manière encourageante : l'opposition se construit et les langues se délient sur les réseaux sociaux. Surtout, une nouvelle Constitution plus ouverte se dessine (abandon de la référence à la charia, la loi islamique ; préservation de la liberté de conscience et du libre exercice des cultes ; égalité des citoyens et des citoyennes devant la loi). De quoi garder tout de même quelques raisons de résister aux sirènes des Cassandre.

 

Aymeric Janier

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