Le chef de l'Etat sortant de Gambie, Yahya Jammeh, chef de l'Alliance pour la réorientation et la construction patriotique (APRC), est accueilli par ses partisans lors de son arrivée à un rassemblement de campagne à Brikama, le 24 novembre 2016, avant le scrutin présidentiel du 1er décembre (Marco Longari/AFP).
Repères
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Superficie : 11 295 km² (le pays est enclavé dans le territoire du Sénégal, sauf sa façade sur l'Atlantique).
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Population : environ deux millions d'habitants.
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Capitale : Banjul.
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Monnaie : le dalasi.
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Fête nationale : le 18 février (en référence à l'indépendance vis-à-vis du Royaume-Uni, le 18 février 1965).
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Communautés religieuses : musulmans (85 %) ; chrétiens et animistes (15 %).
Gambie : la (fin de la) dictature selon Yahya Jammeh
Actualisation du 22 janvier 2017 : Après avoir accepté sa défaite à l'élection présidentielle du 1er décembre 2016, puis rejeté les résultats du scrutin une semaine plus tard, Yahya Jammeh a finalement cédé. Sous la pression de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao), le chef de l’Etat sortant, au pouvoir depuis 1994, a pris le chemin de l’exil. Direction : la Guinée équatoriale.
3 décembre 2016
Un despote assumé qui, de son propre chef, passe la main sans effusion de sang. Le scénario, pour le moins incongru, a de quoi surprendre. C'est pourtant ce qui s'est passé vendredi 2 décembre en Gambie, lorsque Yahya Jammeh a reconnu sa défaite à l’élection présidentielle (à un seul tour) et souhaité « le meilleur » à son vainqueur du jour.
A la barre de ce petit pays d’Afrique de l’Ouest depuis vingt-deux ans, l’autocrate de Banjul briguait un cinquième mandat de cinq ans. Il a finalement été battu à la loyale, ne recueillant que 36,6 % des voix contre 45,5 % pour Adama Barrow, 51 ans, représentant unique d’une opposition qui, fait sans précédent, a su se rassembler derrière une seule et même bannière. Quant au « troisième homme », Mama Kandeh, un ancien député de l'Alliance pour la réorientation et la construction patriotique (APRC, le parti jusqu’ici au pouvoir), il a récolté 17,8 % des suffrages. La participation, elle, a avoisiné les 65 %.
Cette alternance démocratique inattendue, saluée par la Commission économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), l’Union africaine, l’ONU et même les défenseurs des droits de l'homme, tranche singulièrement avec la dictature de sinistre réputation qui a prévalu pendant des années.
Lors du pronunciamiento orchestré en 1994 contre le régime vermoulu de Dawda Jawara, Yahya Jammeh avait pourtant suscité un enthousiasme certain. A 29 ans, sa jeunesse et surtout sa volonté d'instiller le renouveau plaidaient en sa faveur. « Une aspiration au changement existait, qu’avaient révélée en 1980 et 1981 deux tentatives de soulèvement contre le régime de Jawara, en place depuis l’indépendance de 1965. Réprimées grâce à l'aide sénégalaise, ces tentatives impliquant une partie des forces de sécurité bénéficiaient d’un fort soutien populaire », explique le géographe Jean-Claude Marut, chercheur associé au laboratoire « Les Afriques dans le monde » (CNRS - Sciences Po Bordeaux).
« Lorsqu’il organise son putsch, le jeune lieutenant Jammeh incarne d’autant plus cette légitimité populaire qu’il se réfère à l’expérience révolutionnaire de Thomas Sankara au Burkina Faso. La lutte contre la corruption de l’ancien régime, le lancement de grands travaux et l’amélioration des services de base à la population (santé, éducation...) nourrissent l’espoir d’un développement du pays », précise-t-il.
Las ! A l'instar d'Idi Amin Dada en Ouganda (1971-1979) ou de Jean-Bedel Bokassa en République centrafricaine (1966-1979), Yahya Jammeh s'est mué en un potentat impavide, sourd à la critique et plus encore à la contestation. Dans le courant de l'été 2014, le quotidien burkinabé L'Observateur Paalga lui attribuait d’ailleurs un « dix sur l'échelle de Richter de l'autocratie ». Sa méthode de gouvernement ? La terreur.
« La répression concernait toute forme d’opposition, tant au sein de l’appareil d’Etat (militaires comme civils en ont régulièrement fait les frais) que de la société (journalistes, responsables politiques...) : nombreux sont ceux qui ont été embastillés ou qui ont disparu sans laisser de traces. Jammeh s’appuyait pour cela sur la police secrète (NIA), qui assurait une surveillance permanente des citoyens », rappelle M. Marut.
Au début du mois de novembre, Human Rights Watch (HRW) jetait de nouveau une lumière crue sur le président sortant. Se fondant sur de multiples témoignages de première main, l'ONG notait, dans un rapport éloquent de quarante-trois pages, qu’outre le fait d'instrumentaliser les médias et ressources d'Etat à son profit, il recourait sans états d'âme à des méthodes expéditives pour réduire à néant les voix dissonantes.
De fait, menaces, arrestations arbitraires, emprisonnement et torture ont longtemps rythmé la vie du pays. Rien que cette année, deux militants sont morts en détention : Solo Sandeng, figure montante du Parti démocratique uni (UDP, opposition), en avril, et Solo Krummah, lui aussi cadre de l'UDP, en août – deux drames qui ont poussé le peuple à afficher une combativité inédite dans la rue. D’autant que, nonobstant la pression internationale, Yahya Jammeh avait fait savoir à qui voulait l'entendre – en premier lieu au secrétaire général de l'ONU, Ban Ki-moon, et à Amnesty International – qu'il n'envisageait aucunement d'ouvrir une enquête.
Pour s’accrocher à son trône contre vents et marées, M. Jammeh a également utilisé un autre ressort : le clientélisme, soigneusement cultivé auprès des Diola, le groupe ethnique auquel il appartient. « Il a accueilli de nombreux Diola sénégalais, à qui il a procuré des avantages, notamment en leur donnant du travail, en échange de leur soutien électoral. Il faut savoir en effet que ces derniers étaient facilement naturalisés gambiens », relève Jean-Claude Marut. « Il s’est appuyé en outre sur une branche de la rébellion indépendantiste casamançaise, au Sénégal – là aussi composée surtout de Diola –, qui contribuait à sa sécurité pour le cas où il aurait été victime d’un coup d’Etat ou si un conflit avait éclaté avec Dakar », poursuit le chercheur.
Adepte d'une rhétorique abrasive, Yahya Jammeh, abrupt et imprévisible, n’a jamais craint de choquer. En amont du vote du 1er décembre, il avait ainsi qualifié l'opposition de « vermine maléfique » qu'il n'hésiterait pas à « enterrer neuf pieds sous terre » si elle tentait de déstabiliser le pays.
Le climat délétère qui a régné en Gambie sous « l’ère Jammeh » a poussé de nombreux représentants de la presse, mais aussi de hauts cadres du régime à modérer leurs ardeurs par crainte de représailles. D'autant que le couperet pouvait tomber sans prévenir, et pour tout le monde. « C'est la règle sous le régime Jammeh : on ne peut jamais prévoir si un ministre sera toujours là dans trois mois, ou même dans trois jours », dénonçait il y a peu Issatou Touray, militante des droits des femmes et membre de la coalition de l'opposition.
Conséquence de ce carcan ultrarigide, le flot des candidats au départ s'est accentué ces dernières années. D'après l'Organisation internationale des migrations (OIM), la Gambie fournissait même le plus gros contingent de migrants traversant la Méditerranée pour rejoindre l'Italie par rapport à la taille de sa population (environ deux millions d'habitants).
A la brutalité assumée de Yahya Jammeh, qui abhorrait la tiédeur autant que la déloyauté et se disait le meilleur rempart contre... l'émigration clandestine, s'ajoutait son caractère capricant, qui lui a valu le surnom peu flatteur de « fou de Kanilaï » – du nom de la localité où il a vu le jour, en 1965.
Thaumaturge autoproclamé, il prétendait « pouvoir guérir le sida, la stérilité ou l'épilepsie à l'aide de plantes traditionnelles et d'incantations mystiques ». Son inépuisable capacité à se voir en faiseur de miracles n'avait d'égale que son inclination à déchaîner sa fureur contre ceux qu'il dédaigne.
Parmi ses cibles de choix, les homosexuels. « L'homosexualité n'est pas africaine, elle n'est pas humaine (...) C'est une menace pour l'humanité (...) Elle ne sera pas tolérée dans ce pays. Les Occidentaux peuvent dire ce qu'ils veulent, et s'ils les veulent tant, qu'ils fassent venir des avions ici et qu'ils les ramènent dans leurs pays. Qu'ils viennent les chercher, je ne les y empêcherai pas ! », avait-il déclaré en mai au magazine Jeune Afrique.
Autre défouloir de prédilection : l’Occident. Son hostilité manifeste l’a poussé à emboîter le pas à l'Afrique du Sud et au Burundi en notifiant formellement à l'ONU son retrait de la Cour pénale internationale (CPI), dont – ironie de l’histoire – la procureure générale, Fatou Bensouda, avait été sa ministre de la justice entre 1998 et 2000. A présent qu’il a été désavoué dans les urnes, cette décision pourrait toutefois être annulée par son successeur.
Jamais en reste lorsqu'il s'agissait de vanter ses propres mérites, Yahya Jammeh n’aura cessé de dépeindre son bilan sous un jour favorable. Il se félicitait d'un fort taux de scolarisation (86 %), d'un système de santé efficace, de l'ordre... Bien loin de l’écho renvoyé par les Nations unies. En 2013, un rapport sur le développement humain soulignait ainsi que 60 % de la population vivait dans une « pauvreté multiforme », dont le tiers avec moins de 1,25 dollar par jour.
« Les réalisations du régime en matière de développement sont une réalité dont s'est enorgueilli Jammeh. Mais elles ne masquent pas le fait que le système était prédateur du fait du népotisme qu’il avait instauré en plaçant sa famille et ses amis aux postes clés – d'où ils ont, semble-t-il, tiré de gros bénéfices – et de certains de ses choix faits autoritairement, notamment au niveau de la fiscalité », observe Jean-Claude Marut.
Ses humeurs extravagantes l'ont d’abord conduit, en mars 2014, à annoncer arbitrairement l'abandon de l'anglais (sans toutefois de calendrier précis d'application), puis à proclamer, de manière tout aussi unilatérale, la « République islamique » en décembre 2015 – une stratégie « plus politique que religieuse » destinée à « couper l’herbe sous le pied aux islamistes sur le plan intérieur, tout en captant les ressources de pays musulmans pour pallier le retrait occidental », d’après M. Marut.
Visé en permanence par un feu roulant de critiques, Yahya Jammeh assumait tout et s'en glorifiait, faisant litière des commérages. « Peu importe ce que les gens disent de moi, je n'en suis pas touché (...) Je n'écoute personne parce que je sais ce qui est important. C'est entre moi et Dieu (...) Je suis un dirigeant, pas un suiveur », lançait-il fièrement il y a quelque temps. Le « dirigeant » a pourtant chu, emportant avec lui son règne de fer. Reste à savoir si Adama Barrow, un homme d’affaires encore inconnu sur la scène politique il y a six mois, fera, lui, souffler un vent de liberté. Avec la promesse d’une démocratie retrouvée, il y a en tout cas matière à espérer.