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Le premier ministre japonais, Shinzo Abe (droite), aux côtés de Shigeru Ishiba, le ministre chargé de la revitalisation régionale, lors d'une session plénière à la chambre basse du Parlement, à Tokyo, le 18 septembre 2015 (Toru Hanai/Reuters).

 

Que dit l'article 9 de la Constitution ?

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L’article 9 de la Constitution japonaise (promulguée le 3 novembre 1946 et entrée en vigueur le 3 mai 1947) dispose que « aspirant sincèrement à une paix internationale fondée sur la justice et l'ordre, le peuple japonais renonce à jamais à la guerre en tant que droit souverain de la nation, ainsi qu'à la menace ou à l'usage de la force comme moyen de règlement des conflits internationaux. Pour atteindre ce but, il ne sera jamais maintenu de forces terrestres, navales et aériennes, ou autre potentiel de guerre. Le droit de belligérance de l'Etat ne sera pas reconnu ». Signe de son importance, il représente à lui seul le chapitre II de la Constitution. Depuis des années, cet article suscite des passes d’armes régulières sur la scène politique, les formations de droite – le Parti libéral-démocrate (PLD) et le Nouveau Komeito – voulant l’amender, voire l’abroger, et celles de gauche – le Parti démocrate du Japon (PDJ), le Parti social-démocrate (PSD) ou le Parti communiste japonais (PCJ) – souhaitant le laisser intact.                      

 

 

Quelques données sur les FAD...
 
 

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Effectifs : 255 000 hommes en 2015 (dont 159 000 pour les forces terrestres, 45 000 pour les forces maritimes et  47 000 pour les forces aériennes).

 

... et sur leur équipement

 

  • Forces d'autodéfense terrestres : 300 chars environ.

 

  • Forces d'autodéfense maritimes : 137 navires (dont 2 porte-hélicoptères géants, « l'Izumo » et le « Kaga »).

 

  • Forces d'autodéfense aériennes :  410 avions.

 

Sources : ministère de la défense japonais, The Military Balance 2015.               

 

 

Japon : vers la mise au rebut du pacifisme traditionnel ?

 

21 septembre 2015 

 

Rarement débat n’aura suscité plus de passion et de frictions au Japon ces dernières années. Après deux cent vingt-six heures de délibérations, émaillées de coups bas, d’empoignades rhétoriques et même d’algarades physiques, le Parlement japonais a entériné, samedi 19 septembre, les nouvelles lois élargissant le périmètre d'action des Forces d'autodéfense (FAD, le nom officiel de l’armée japonaise). Lors d’un vote solennel, la chambre haute de la Diète les a approuvées par 148 voix pour et 90 contre. Une victoire symbolique pour le premier ministre conservateur, Shinzo Abe, qui, depuis son retour au pouvoir, en décembre 2012, avait fait vœu de replacer l’Archipel au centre de l'échiquier géopolitique international.      

 

Cette législation, fondée sur une réinterprétation de l’article 9 de la Constitution de 1946, doit permettre dorénavant au Japon d’envoyer des soldats à l’étranger pour venir en aide à un pays ami, secourir ses ressortissants ou sécuriser ses approvisionnements énergétiques, dans le golfe Persique, par exemple. Pour qu’elle puisse s’appliquer, trois conditions sont requises : le pays, ou l’un de ses proches alliés, doit être attaqué ; aucune solution, autre que militaire, ne doit exister pour repousser ladite attaque et assurer la protection du peuple japonais ; l’usage de la force doit être restreint au strict minimum.         

 

Jusqu’ici, les FAD, créées en 1954, étaient cantonnées à un rôle de défense du territoire national et de son environnement proche. L’adoption, le 19 juin 1992, de l’International Peace Cooperation Bill, prévoyait seulement une participation aux opérations de maintien de la paix (peace-keeping operations) conduites par les Nations unies, à des missions d'assistance humanitaire et à des activités de surveillance d'élections. L'idée était de battre en brèche les critiques récurrentes selon lesquelles le Japon, en usant de sa « diplomatie du chéquier » (checkbook diplomacy), se déchargeait de ses responsabilités de terrain.

 

Pour le gouvernement japonais, le nouveau paradigme sécuritaire, nettement plus « proactif » qu’auparavant, répond avant tout aux exigences de la realpolitik. Il s’agit de s’adapter au contexte régional, et notamment à la militarisation accrue de la Chine. L’expansionnisme territorial de Pékin en mers de Chine méridionale (Spratleys, Paracels) et orientale, où se construisent à un rythme accéléré îles et îlots artificiels, suscite de vives inquiétudes chez les élites nippones et, partant, un regain de fièvre nationaliste.

 

A cette crainte s’ajoute celle d’une Corée du Nord capricante et impavide, qui ne semble pas vouloir renoncer à ses outrances habituelles. Il y a quelques jours encore, Pyongyang, concomitamment au redémarrage d’un réacteur de sa centrale de Yongbyon, brandissait de nouveau la menace nucléaire face aux Etats-Unis en cas de « politique hostile irresponsable ». Une provocation qui en appelle sans doute d’autres, à l’approche du 70e anniversaire du Parti des travailleurs, le 10 octobre...

           

A rebours du pouvoir japonais, convaincu des bienfaits de « l'autodéfense collective », la population, elle, ne semble pas souscrire à cette « remilitarisation » imposée d’en haut sans référendum. Au fil des mois, les manifestations se sont multipliées, au point – fait rarissime – de devenir presque quotidiennes. Elles ont rassemblé étudiants et enseignants, actifs et retraités, par-delà le fossé générationnel. D’après un sondage réalisé les 12 et 13 septembre par le quotidien de centre gauche Asahi Shimbun, il apparaît que 54 % des sondés sont opposés à la nouvelle législation, contre 29 % qui l'approuvent. De surcroît, trois quarts d'entre eux estiment que les débats à la Diète ont été insuffisants.

           

La plupart des habitants redoutent que la tradition pacifiste dont ils tirent une si grande fierté ne soit, à plus moins court terme, mise au rebut, avec tous les risques que cela implique. Ils répugnent à voir leur pays s'impliquer dans des conflits lointains, comme celui déclenché par les Etats-Unis en Irak en mars 2003 et soutenu, à l'époque, par un autre premier ministre conservateur, Junichiro Koizumi. Les deux puissances sont liées depuis 1960 par un traité de coopération et de sécurité mutuelles.

 

« Si ce projet de loi est adopté, il ne fait aucun doute que nous serons pris dans les guerres illégales menées par les Etats-Unis », avait ainsi prévenu Taro Yamamoto, membre de l’opposition de gauche, peu avant le vote de la Chambre haute. « Nous ne devons pas devenir complices de meurtre », avait lancé en écho Mizuho Fukushima, l’ancienne dirigeante du Parti social-démocrate (gauche) de 2003 à 2013. Limiter son empreinte à l’étranger, c’est aussi, en théorie, éviter de se faire de nouveaux ennemis...

 

L’argument économique, enfin, explique aussi, dans une certaine mesure, cette propension populaire à la défiance. A l’aune des difficultés que traverse le Japon pour en finir avec la stagnation, la demande de budget record déposée au début du mois par le ministère de la défense pour l’exercice d’avril 2016 à mars 2017 – 5 090 milliards de yens, soit environ 37,5 milliards d’euros (+ 2,2 % en un an) – passe mal.     

Dans le voisinage immédiat du Japon, l'anxiété sourd également. La Chine, en particulier, s’est empressée de déplorer le fait que Tokyo s’écarte de la voie qui consiste à promouvoir la paix et la coopération. Organe officiel du Parti communiste chinois, le Global Times, peu avare en critiques, n’a pas manqué de fustiger ce qu’il considère comme une nouvelle inféodation aux Etats-Unis (40 000 militaires américains sont actuellement stationnés dans le pays). La Corée du Sud, elle aussi, nourrit certaines préoccupations, d’autant qu’à l’instar de Pékin, elle a un contentieux territorial avec Tokyo, à propos des rochers Liancourt (îlots Dokdo/Takeshima).         

 

Pour le Japan Times, Shinzo Abe a peut-être remporté la première manche, même si cette victoire a provoqué une sévère érosion de sa cote de popularité, qui n’atteint plus que 36 %. Reste que son « passage en force » n’est pas près d’éteindre la polémique sur la constitutionnalité des lois de défense dont il s’est fait le héraut. Peu réceptif aux coups de semonce comme aux blandices de l’opinion, le chef du gouvernement saura en juillet 2016, lors des élections sénatoriales, s’il a remporté son pari législatif.       

                                                                  

Aymeric Janier

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