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Le président cubain, Raúl Castro (à droite), congratule son homologue vénézuélien, Nicolás Maduro, après l'avoir décoré de l'Ordre José Marti, la plus haute distinction honorifique de l'Etat cubain, au palais de la Révolution à La Havane, le 18 mars 2016 (Yamil Lage/AFP).

 

Repères

 

  • Superficie 111 000 km².

  • Population : environ 11,4 millions d'habitants.

 

  • Capitale : La Havane.

 

  • Monnaie : le peso cubain et le peso convertible (à parité fixe par rapport au dollar).

 

  • Fête nationale : le 1er janvier (anniversaire de la révolution de 1959).

 

  • Communautés religieuses : catholique (10 % de la population se déclare croyante, 3 % pratiquante), Santeria (syncrétisme religieux, mélange de christianisme et de fétichisme africain).

 

 

 

Cuba l'insoumise et son tropisme pro-vénézuélien

9 juin 2016

 

L'ouverture politique à pas feutrés, oui, la capitulation idéologique, non. Lors du septième sommet de l'Association des Etats de la Caraïbe (AEC), qui s’est tenu samedi 4 juin à La Havane, le président cubain, Raúl Castro, a déclaré qu'il ne rejoindrait « jamais » l'Organisation des Etats américains (OEA), qualifiée « d'instrument de domination impérialiste ». Des éléments de langage qui ne sont pas sans rappeler ceux utilisés par les caciques vénézuéliens et qui témoignent des limites du rapprochement amorcé en décembre 2014 avec les Etats-Unis – pilier de l’OEA –, grâce notamment aux bons offices du pape François.

La saillie tonitruante du cadet des frères Castro, aux commandes de l'île communiste depuis 2008, n'est guère surprenante, eu égard aux relations troublées que Cuba entretient avec l'OEA. En 1962, trois ans après que Fidel Castro et ses guérilleros eurent chassé le dictateur (soutenu par Washington) Fulgencio Batista, contraint de fuir en République dominicaine, le pays avait été exclu de l'institution régionale. Motifs invoqués : son adhésion au bloc communiste et une volonté marquée d'exporter sa révolution marxiste-léniniste en Afrique et dans le reste de l’Amérique latine – deux tendances jugées incompatibles avec les principes et objectifs de l'OEA. 

En 2009, cette exclusion a été abrogée, à la faveur d'une résolution adoptée par acclamation au Honduras, à l'occasion du sommet annuel de l'OEA. « La participation de Cuba (...) sera le résultat d'un processus à engager à l'initiative de son gouvernement », affirmait le texte, laissant entièrement « aux mains [dudit gouvernement] et du peuple » la décision de demander sa réintégration au sein de l'organisation. Ce qui n'a jamais été fait, par crainte d'ouvrir la porte à un « cheval de Troie », allusion transparente aux Etats-Unis.

 

Pour Cuba, le refus de rallier les rangs de l'OEA s'inscrit aussi dans le cadre d'une solidarité étroite avec le Venezuela, dans la ligne de mire de l'organisation. Son secrétaire général, l'Uruguayen Luis Almagro, souhaiterait en effet utiliser la Charte démocratique interaméricaine approuvée à Lima (Pérou) en 2001 contre Caracas en raison de la crise institutionnelle qui sévit dans le pays.          

Depuis plusieurs mois, le président Nicolás Maduro, fervent défenseur de la « révolution bolivarienne » chère à son défunt prédécesseur Hugo Chávez – qui nourrissait une authentique admiration pour Fidel Castro –, tend à faire feu de tout bois afin de contrer les velléités de l'opposition, qui cherche à le révoquer par voie référendaire pour mauvaise gestion. 

 

Luis Almagro se réfère à l'article 20 de la Charte, lequel dispose : « Dans le cas où il se produit dans un Etat membre une altération de l'ordre constitutionnel qui a de sérieuses incidences sur son ordre démocratique, tout Etat membre ou le secrétaire général peut demander la convocation immédiate du Conseil permanent en vue de procéder à une évaluation collective de la situation et d'adopter les décisions qu'il juge utiles. » Combatif, Nicolás Maduro a exhorté « les gouvernements du continent [américain] à (...) ne pas céder à la pression brutale visant à isoler le Venezuela ». Un appel reçu cinq sur cinq par le pouvoir castriste.            

 

Si Cuba soutient le Venezuela avec autant d'acharnement et de ferveur, c'est parce que les deux pays cultivent depuis des années une proximité singulière, comme l’atteste l’alliance entre le Parti communiste cubain et le Parti socialiste unifié du Venezuela (PSUV). « Cela se joue davantage au niveau des dirigeants et de leurs équipes que des partis politiques. Nous ne sommes plus à l’époque du mouvement communiste international, du Komintern et des Internationales. Les réseaux ne fonctionnent plus selon un système calqué sur ce que pouvait être un parti communiste orthodoxe de type stalinien ou brejnévien il y a quarante ou cinquante ans », nuance Jean-Jacques Kourliandsky, chercheur spécialisé sur les questions ibériques à l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS) et docteur en histoire.  

 

Pourtant, cette entente cordiale n’a pas toujours existé. Après la révolution cubaine de 1959, Caracas avait refusé de soutenir Fidel Castro. « Rómulo Betancourt [président du Venezuela de 1945 à 1948, puis de 1959 à 1964] ne le supportait pas. Il a fait tout ce qui était en son pouvoir pour détruire les liens tissés entre le Mouvement du 26 juillet (de Fidel Castro) et des éléments de son parti, Acción Democrática », note l’historien Xavier Calmettes, enseignant à l'Institut national universitaire Jean-François Champollion et membre du Centre de recherche et de documentation sur les Amériques (CREDA) rattaché à l’Institut des hautes études de l’Amérique latine (IHEAL).

 

M. Kourliandsky, lui, avance une autre raison, plus stratégique : « La rupture a eu lieu du fait du prosélytisme cubain, mais aussi du refroidissement des relations entre Cuba et les Etats-Unis. Pour protéger leur souveraineté, les Cubains ont basculé dans le camp soviétique. Or, le Venezuela [à l’époque dans l’orbite de Washington] ne pouvait les suivre dans cette voie, et ce d’autant que les autorités de La Havane encourageaient la guérilla communiste sur le sol vénézuélien. Pour Caracas, cela faisait au moins deux bonnes raisons de couper les ponts », analyse-t-il.

 

Même si les relations diplomatiques, rompues en novembre 1961, ont été rétablies en décembre 1974, ce n'est qu'avec l'élection de Hugo Chávez à la tête du Venezuela, en 1998, que la communication s’est faite de manière optimale. Prise à la gorge économiquement depuis l'effondrement de l'URSS, en 1991, Cuba s'est appuyée sur son partenaire vénézuélien pour tenter de se remettre sur les rails.

 

L'ère « Castro-Chávez », marquée par le lancement en 2005 de l'Alliance bolivarienne pour les Amériques (pour concurrencer le projet états-unien de Zone de libre-échange des Amériques, qui n’a finalement jamais vu le jour) a été celle des échanges de bons procédés.  Tandis que Caracas approvisionnait La Havane en pétrole à prix préférentiel, le gouvernement cubain envoyait des milliers de médecins et d'infirmières dans les campagnes vénézuéliennes, frappées par la pénurie de soins. Les étudiants en médecine vénézuéliens ont par ailleurs eu la possibilité de partir se former gratuitement sur l'île caribéenne.   

 

Sur le plan militaire, Cuba a également soigné son allié, lui adjoignant les services de conseillers spéciaux. En 2014, la Vénézuélienne Rocio San Miguel, présidente de l’ONG Contrôle citoyen, spécialisée dans les questions de défense et de sécurité, affirmait elle-même,  se fondant sur les confidences de militaires : « Des officiers cubains participent bel et bien aux réunions de conception et de planification stratégique des forces armées. »

 

Aujourd'hui, bien qu’il dispose des premières réserves pétrolières au monde, le Venezuela est guetté par l’effondrement, en butte à  l'hyperinflation (le taux officiel dépasse les 180 %), à l'insécurité grandissante et au manque criant de produits de première nécessité. Face à cette menace, Cuba tend à se ménager des solutions de repli. « Elle passe des accords avec la Chine, la Russie, le Brésil. Récemment, le club de Paris [groupe informel de 20 pays créanciers dont le rôle est de trouver des solutions coordonnées et durables aux difficultés de paiement des nations endettées] a annulé une grande partie de la dette extérieure de l'île. Il y a une véritable volonté de la diplomatie cubaine de ne pas retomber dans les erreurs du passé et de diversifier l'économie », souligne Xavier Calmettes, précisant que « le Venezuela est moins dépendant de Cuba que Cuba ne l’est du Venezuela ».

 

« Depuis deux, trois ans, les Cubains doutent de la capacité du gouvernement vénézuélien à se perpétuer indéfiniment au pouvoir. En conséquence, ils tendent à évoluer vers un modèle à la chinoise : une ouverture économique contrôlée en vue de donner un peu plus d’espace à l’initiative privée et au capital étranger, mais sous le contrôle étroit d’un pouvoir qui, lui, ne change pas. Ils cherchent d’autres débouchés, ce qui peut expliquer l’accélération des négociations avec les Etats-Unis », complète Jean-Jacques Kourliandsky.   

 

Le régime de La Havane poursuit de fait son effort de normalisation diplomatique avec Washington. En mars, Barack Obama a été le premier président des Etats-Unis à faire le déplacement sur l’île depuis Calvin Coolidge, en 1928. Reste un hiatus, et pas des moindres, dans l'équation bilatérale : le devenir de l'embargo, imposé en février 1962 par John Fitzgerald Kennedy (décret présidentiel n°3447) et dont la levée est toujours conditionnée à l'approbation du Congrès américain.

Pour aller plus loin : lire l'entretien complet avec Xavier Calmettes (en document PDF).

 

 

 

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