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Qu'est-ce que le Partenariat oriental ?

Lancé lors du sommet de Prague, en mai 2009, le Partenariat oriental vise à « accélérer l'association politique et à approfondir l'intégration économique » entre l'Union européenne et ses voisins d'ex-URSS (l'Arménie, l'Azerbaïdjan, la Biélorusse, la Géorgie, la Moldavie et l'Ukraine), sur la base d'engagements communs en faveur de la démocratie et des droits de l'homme. La participation de la Biélorussie, dirigée depuis 1994 par l'autoritaire président Alexandre Loukachenko, demeure néanmoins théorique, compte tenu du gel de ses relations avec l'UE.

 

 

 Repères chronologiques

 

  • 1er décembre 1991 : référendum sur l'indépendance. Plus de 90 % des Ukrainiens se prononcent pour le « oui ».

 

  • 14 juin 1994 : signature de l’Accord de partenariat et de coopération entre l’Ukraine et l’UE. Il est ratifié par le Parlement ukrainien dès novembre 1994, mais n’entre en vigueur que le 1er mars 1998 pour une période de dix ans reconductible.

 

  • 9 novembre 1995 : adhésion de l'Ukraine au Conseil de l'Europe.

 

  • 16 janvier 2008 : signature d'un accord douanier entre Kiev et Bruxelles, qui ouvre la voie à l'adhésion de l'Ukraine à l'OMC.

 

  • 30 avril 2013 : condamnation de l'Ukraine par la Cour européenne des droits de l'homme, les juges estimant, à l'unanimité, que le placement en détention provisoire, en 2011, de l'ex-première ministre Ioulia Timochenko était « illégal et arbitraire ».

 

 

15 novembre 2013​

Le président ukrainien, Viktor Ianoukovitch, va-t-il céder aux sirènes de l'Europe lors du sommet du Partenariat oriental, les 28 et 29 novembre à Vilnius (Lituanie) ? Il y a quelques jours encore, Kiev semblait désireux de lier son destin à celui de l'Union européenne, en signant un Accord d'association et de libre-échange historique. Aujourd'hui, cette union annoncée paraît, sinon mise au rebut, du moins remise en question. Réuni en session extraordinaire mercredi 13 novembre, le Parlement ukrainien, la Rada suprême, a en effet repoussé au 19 novembre le vote sur une éventuelle libération de l'opposante et ex-première ministre Ioulia Timochenko, prérequis jugé indispensable par Bruxelles à tout rapprochement.

 

Parallèlement, la Russie s’échine depuis plusieurs mois à briser toute perspective d’alliance ukraino-européenne, en usant tour à tour de menaces plus ou moins feutrées, de chantage et de pressions. De retour au Kremlin en mai 2012 après « l’intermède Medvedev » (2008-2012), Vladimir Poutine souhaiterait voir sa cousine slave embrasser l'Union douanière (Russie, Biélorussie, Kazakhstan), projet phare de son troisième mandat présidentiel. Dans ce contexte de tensions exacerbées, Ioulia Shukan, maître de conférence en études post-soviétiques à l’Université Paris-Ouest-Nanterre-La Défense et à Sciences Po Paris, et chercheuse à l'Institut des sciences sociales du politique (ISP), décrypte les tenants et aboutissants de ce « grand jeu » aux implications économiques, politiques et géostratégiques.

 

>> Dans quelle mesure l'Ukraine s'est-elle rapprochée de l'Union européenne ?

 

Ioulia Shukan : Le rapprochement avec Bruxelles a recueilli un large consensus parmi les élites ukrainiennes, très divisées depuis la « révolution orange » de 2004 [mouvement populaire pro-européen ayant porté Viktor Iouchtchenko au pouvoir en 2005], tant sur les questions de politique intérieure que sur les priorités à établir en matière de politique extérieure. En conséquence, des avancées sensibles ont été réalisées depuis mars 2012 – lorsque l’accord d’association entre l’UE et l’Ukraine a été paraphé à Bruxelles – pour intégrer à la législation ukrainienne des normes internationales en matière d’équité et de transparence. Il s’agit notamment des réformes judiciaires et politiques (adoption d’une nouvelle loi sur le statut des juges et des nouveaux code pénal et code de procédure pénale), mais aussi des lois relatives à la lutte contre la corruption et à la réforme de la gestion des finances publiques, ainsi que d’une série de mesures préparatoires à l’établissement d’une zone de libre-échange. Tout cela a contribué à rapprocher l’Ukraine de l’UE. Cependant, la signature de l’accord lui-même ne semble pas acquise, certaines des conditions posées par l’UE n’ayant pas été remplies. C’est surtout la pratique d'une « justice sélective », motivée par des considérations politiques et appliquée à l’encontre des opposants, qui constitue le principal obstacle à la signature de l’accord.

 

>> A ce propos, le cas de Ioulia Timochenko, embastillée depuis 2011 pour « abus de pouvoir », représente-t-il encore un obstacle rédhibitoire ?

 

L’affaire Timochenko constitue effectivement une pierre d’achoppement dans les relations entre Bruxelles et Kiev. Malgré les efforts de médiation déployés par la Mission d’observation du Parlement européen, sous l'égide d'Alexandre Kwasniewski [ancien président polonais de 1995 à 2005] et de Pat Cox [ex-président du Parlement européen de 2002 à 2004], aucun compromis n’a été trouvé. Une demande de grâce partielle adressée à Viktor Ianoukovitch en octobre a été rejetée. Même la solution d’un « séjour temporaire » de Timochenko à l’étranger pour se faire soigner, avec l’engagement de purger le reste de sa peine dès son retour en Ukraine (solution que le président ukrainien avait lui-même suggérée et qui avait obtenu l’aval de l’UE et de Timochenko), peine à se concrétiser. Le Parti des régions bloque toujours l’adoption d’une loi ouvrant à des détenus ukrainiens la possibilité de recevoir des soins à l’étranger. Dans une déclaration commune, le 13 novembre, Alexandre Kwasniewski et Pat Cox ont indiqué que ce n’était pas tant la capacité à trouver un terrain d'entente que la volonté politique qui manquait dans cette affaire.

 

>> Quels bénéfices politiques et économiques l'Ukraine pourrait-elle retirer d'un accord avec l'UE ? Et Viktor Ianoukovitch ?

 

A mon sens, le principal bénéfice de l’Accord d’association, assorti d’un accord d’établissement d’une zone de libre-échange approfondi et complet (DCFTA), est d’offrir à l’Ukraine un cadre réglementaire et normatif stable et, à terme, commun avec l’UE. Sur le plan politique, ce cadre renforcera la démocratie et l’Etat de droit en Ukraine. D'un point de vue économique, il lui permettra d’améliorer le climat des affaires et de garantir la stabilité des investissements étrangers, mais aussi d’accroître le volume de ses exportations vers l’UE avec la suppression des droits de douane. D’après les estimations les plus optimistes, celle-ci est susceptible d'avoir, à long terme, un effet d’entraînement positif sur le PIB ukrainien (de l’ordre de 12%). Enfin, l’Union européenne financera les importants efforts de modernisation de l'appareil de production ukrainien et de sa mise en conformité avec les normes européennes.

 

Pour ce qui est du président Ianoukovitch, il donne l’impression, sur ce dossier, d’agir davantage en tacticien préoccupé par l’échéance présidentielle de 2015 qu’en stratège et en pro-européen convaincu. Pour lui, le rapprochement avec Bruxelles semble être associé à la perspective d’obtention d’une assistance financière de la part de l’UE et, par delà, du FMI qui, une fois injectée dans l’économie ukrainienne, lui assurera sa réélection. Dans le même temps, cette probable union avec Bruxelles lui offre la possibilité de gagner en autonomie vis-à-vis de la Russie et de ses divers projets de coopération politique (Union eurasienne) et économique (Union douanière) dans l’espace post-soviétique.

 

>> Le fait que l'Ukraine ait, dans une certaine mesure, le regard braqué sur l'UE marque-t-il pour autant une intention de s’éloigner de la Russie ?

 

Je ne parlerais pas d’une intention de s’éloigner de la Russie. D’abord, parce qu’il est politiquement difficile, pour un président et un parti dont une grande partie de l’électorat se dit favorable à l’approfondissement de la coopération avec Moscou, de prendre ses distances avec le partenaire russe. Ensuite, sur le plan économique, il est délicat pour l’Ukraine de se séparer de la Russie, qui est son premier partenaire commercial. Eu égard au poids de la Russie dans la balance commerciale ukrainienne, certains industriels, membres du Parti des régions, préconisent de marquer une pause dans le processus de rapprochement avec l’UE. Enfin, les négociations avec Vladimir Poutine se poursuivent, le président Ianoukovitch l’ayant rencontré à deux reprises en près de dix jours, d’abord à Sotchi, à la fin du mois d'octobre, puis à Moscou, le 9 novembre. Tous ces éléments semblent témoigner d'une volonté, de la part de Kiev, de s’émanciper de son voisin russe et d’inscrire les relations bilatérales dans une perspective beaucoup plus pragmatique.

 

>> Quelles mesures de rétorsion Vladimir Poutine pourrait-il prendre si Kiev allait jusqu’au bout de sa logique pro-européenne ? Quel impact celles-ci auraient-elles sur l'économie ukrainienne ?

 

Les principales mesures de rétorsion sont d’ordre commercial. D’ailleurs, la Russie y a déjà eu recours en août lorsqu'elle a interdit l’importation des chocolats ukrainiens de la marque Roshen, officiellement pour cause de non-respect des normes sanitaires. En cas de création d’une zone de libre-échange entre l’UE et l’Ukraine, Moscou menace d’instaurer des droits de douane sur l’ensemble des biens et services en provenance d’Ukraine, ce qui se traduirait par une perte de compétitivité des produits ukrainiens sur le marché russe et donc, à court terme, par la perte de ces marchés, avec pour conséquence sociale immédiate la perspective de licenciements. La possibilité d’établissement d’un régime de visa avec l’Ukraine, et donc de limitation de la liberté de circulation des citoyens ukrainiens en Russie, a également été évoquée par l’un des conseillers du président Poutine. Elle a cependant été rejetée par le premier ministre, Dmitri Medvedev.

 

>> Pourrait-il y avoir une remise en cause du traité d’amitié signé en 1997 par Leonid Koutchma et Boris Eltsine ?

 

Cette hypothèse n'a jamais été mentionnée en public par les représentants officiels russes. Je ne pense pas que les relations bilatérales vont se détériorer à ce point. N’oublions pas que l’Ukraine dispose également de quelques leviers d’influence à l’égard de la Russie. La flotte russe de la mer Noire, au mouillage dans le port de Sébastopol, en Crimée, utilise par exemple les infrastructures ukrainiennes – et ce pour un loyer qui ne correspond pas aux services fournis par l’hôte ukrainien, aux dires de certains experts.

 

>> Certaines voix, au sein de l’UE, arguent que la Russie cherche surtout à empêcher l’Ukraine de signer un accord qui lui serait bénéfique pour mieux la maintenir « sous influence ». Cette accusation vous paraît-elle légitime ?

 

Oui, elle me paraît tout à fait fondée. Les élites russes considèrent toujours l’Ukraine et, de manière plus générale, les Etats post-soviétiques comme appartenant à leur zone d’influence. L’Ukraine constitue à cet égard la pièce maîtresse des ambitions géopolitiques du président Poutine, et plus particulièrement de son projet de création d’une Union eurasienne sous la tutelle de la Russie.

 

>> Quel regard la population ukrainienne porte-t-elle sur l’UE et la Russie ? Vers quel camp son cœur penche-t-elle ?

 

Tous les sondages montrent que le ratio entre les partisans de l'intégration européenne (43 %) et les défenseurs de l’adhésion à l’Union douanière (31 %) est resté stable ces deux dernières années. Cette division au sujet des choix géopolitiques de l’Ukraine reflète le clivage régional qui prévaut entre centre/ouest et sud/est, ainsi que le clivage politique entre, d’une part, les forces nationales-démocrates, aujourd’hui dans l’opposition, dont l’électorat se situe principalement au centre/à l'ouest et, d’autre part, le Parti des régions et le Parti communiste qui représentent principalement les territoires du sud/de l'est. Selon un sondage réalisé par l’institut ukrainien « Democratic Initiatives » en août, le soutien à l’intégration européenne se situe à 72 % dans l’ouest et à 49 % dans le centre. L’option d’adhésion à l’Union douanière recueille 50 % de soutiens auprès des populations du sud/de l'est, contre 40% pour l’Union européenne. Enfin, si les partis d’opposition – Svoboda, Oudar et Bat’kivstchina – optent principalement pour l’UE à respectivement 71 %, 69,5 % et 67 %, près de 79 % des électeurs du Parti communiste et 57 % du Parti des régions associent l’avenir de leur pays à l’Union douanière.

 

>> Comment envisagez-vous le devenir de l’Ukraine d'un point de vue géostratégique ?

 

Le débat sur l’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN a suscité de profondes crispations parmi les élites ukrainiennes dans les années 2006-2009. Viktor Iouchtchenko, alors président en exercice, était un « atlantiste » convaincu, alors que le Parti des régions dirigé par Viktor Ianoukovitch s’opposait fermement à ce choix géostratégique et avait même bloqué les travaux du Parlement ukrainien pendant près d'un mois, à l'hiver 2008. Aujourd’hui, cette question n’est plus à l’ordre du jour, la participation future de l’Ukraine aux structures européennes de défense, par le truchement de l’Accord d’association, faisant l'objet d'un large consensus.

 

Propos recueillis par Aymeric

« Moscou veut maintenir l'Ukraine dans sa zone d'influence »

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