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19 août 2013

Nimbée d’un halo de mystère, elle a, des décennies durant, alimenté tous les fantasmes et nourri l'imaginaire débridé des adeptes de la conspiration. Elle ? La zone 51, un espace ultrasécurisé de 155 km2 établi dans le désert de Mojave, à environ cent soixante kilomètres au nord-ouest de Las Vegas (Nevada). Dans un rapport déclassifié de 400 pages, intitulé « Central Intelligence Agency and Overhead Reconnaissance : The U-2 and Oxcart Programs, 1954-1974 » et rédigé par deux historiens de la CIA, l’agence de renseignement américaine vient officiellement d’en reconnaître l’existence et, ce faisant, de la dépouiller d’une large partie de sa mythique aura.

 

A cette occasion, la CIA, d’ordinaire fort peu diserte sur la nature de ses activités, explique en substance que cette parcelle désertique, acquise en 1955 avec le blanc-seing du président républicain Dwight David Eisenhower (1), aurait en réalité servi à... tester l’avion espion U2 conçu par la société Lockheed en vue de missions de reconnaissance pendant la guerre froide. Principales cibles de l’appareil, également surnommé Dragon Lady (« la mégère ») : l’URSS, bien sûr, mais aussi la Chine et Cuba. Le pilote américain Francis Gary Powers contribua involontairement à sa notoriété lorsque son U-2 fut abattu par une salve de missiles sol-air au-dessus du territoire soviétique, le 1er mai 1960 – épisode qui tendit un peu plus les relations entre les deux superpuissances.

 

Après de longues années de dénégations, il est cependant loisible de penser que ces explications, distillées en vertu du Freedom of Information Act (loi sur la liberté d’information), ne suffiront pas à étancher la soif inextinguible des théoriciens du complot et autres ufologues amateurs (2), convaincus d’avoir aperçu d'authentiques ovnis dans le périmètre et aux abords de la « zone interdite ». Battant en brèche ces allégations, la CIA affirme que ces « visions » seraient liées au fait que les U2 – toujours techniquement en service, même s’ils ont été en grande partie supplantés par les drones – volaient au-delà de 60 000 pieds (environ 20 000 m), bien plus haut que les avions commerciaux de l’époque (de 3 000 à 6 000 mètres).

 

Les auteurs du rapport le concèdent volontiers : dès le début des vols d’essai et d’entraînement, en juillet 1955, « la haute altitude du U-2 a rapidement mené à un effet secondaire inattendu : l'augmentation phénoménale des signalements d'objets volants non identifiés ». Aux yeux des pilotes commerciaux et des personnes au sol, le U-2 pouvait en effet apparaître, du fait du reflet du soleil sur ses ailes argentées, comme un « objet enflammé ». Tenus au silence par le caractère secret de ce programme, les enquêteurs de l’US Air Force n’ont, naturellement, rien fait pour confirmer ou infirmer les dires des observateurs, ajoutent les deux auteurs du rapport. D’autres modèles de Lockheed seront testés en toute discrétion sur la zone 51, comme le SR-71 Blackbird ou le bombardier furtif F-117, dont la première mission opérationnelle (connue) remonte au 19 décembre 1989, contre le Panama du général Manuel Noriega.

 

Si l’hypothèse des ovnis est formellement écartée dans le document de la CIA, aucune référence n'est en revanche faite aux « êtres venus d’ailleurs » que la base aurait prétendument abrités. Le 7 juillet 1947, la légende voudrait qu’un ovni se soit écrasé à Roswell (Nouveau-Mexique) avec à son bord un extraterrestre, lequel aurait été mis au secret par l’armée à des fins d’étude scientifique. Bien que celle-ci ait fait valoir que l’incident concernait en réalité un ballon-sonde développé dans le cadre du « projet Mogul » – projet classé top secret datant de 1947 et destiné à espionner les avancées nucléaires soviétiques – , les spéculations n’ont jamais cessé.

 

Les révélations de la CIA mettront-elles fin à la fantasmagorie populaire ? Cité par le Washington Post, l’écrivain américain de science-fiction et de fantastique, Harlan Ellison, n’y croit pas : « La race humaine a un besoin psychopathique de créer des dieux et des mystères », avance-t-il. Les faits semblent lui donner raison. Dans un entretien à l'agence Associated Press, le physicien et ufologue canadien bien connu, Stanton Friedman, a rejeté en bloc les assertions américaines, qualifiées de « foutaises ». Et affirmé, de manière péremptoire : « Le U-2 peut-il se maintenir en vol stationnaire dans le ciel, prendre des virages à angle droit, décoller sans piste d’envol ? Non, le U-2 ne peut rien faire de tout cela ». Malgré ses efforts de transparence, la CIA n’est pas près d'éliminer toutes les zones d'ombre qui entourent « sa » zone 51.

 

* * *

(1) Le site aurait été choisi après qu’un responsable de la CIA, Richard Bissell, l'eut survolé par hasard en avril 1955 à bord d'un petit avion Beechcraft, parce qu’il jouxtait le terrain d'expérimentation de la Commission à l'énergie atomique américaine (AEC).

(2) Le terme « ufologue » est dérivé de l’anglais « ufologist » et désigne un spécialiste des ovnis (UFO, Unidentified Flying Object). 

Zone 51 : la face cachée d'une zone interdite

 

Vue aérienne de la zone 51.

 

 

 

"Inside : Zone 51" (documentaire du National Geographic, 45 minutes)

 

 

(1)
(2)
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