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Montage représentant la présidente de la République de Chine (le nom officiel de Taïwan), Tsai Ing-wen, et celui de la République populaire de Chine, Xi Jinping (CNA).

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Entre Taïwan et la Chine, une guerre froide perpétuelle

25 mars 2019

Trois années, en politique, représentent une éternité. Pour de multiples raisons, parfois évidentes parfois absconses, les courants porteurs peuvent se muer en vents contraires, et provoquer, sinon l’échouement, du moins de violentes turbulences. La présidente de la République de Chine (RDC) – le nom officiel de Taïwan – en fait l’amère expérience.

 

En janvier 2016, lorsque Tsai Ing-wen, la représentante du Parti démocratique progressiste (PDP, indépendantiste), a été portée au pouvoir, avec 56,12 % des voix, face à son adversaire du Kuomintang (KMT, nationaliste chinois), Eric Chu (31,04 % des suffrages), son étoile se trouvait au zénith, et, avec elle, sa notoriété. Beaucoup escomptaient de sa part un profond aggiornamento qui tirerait vers le haut l’île de 23 millions d’habitants.   

 

Désormais, celle qui se compare volontiers à la chancelière allemande Angela Merkel – dont elle loue la détermination – est dans la tourmente. Alors qu’elle effectue en ce moment une tournée dans le Pacifique, à Palau, Nauru et aux îles Marshall – avec un arrêt supplémentaire prévu à Hawaï, en territoire américain, le 27 mars, sur le chemin du retour –, elle doit composer de nouveau avec l’irrédentisme exacerbé de son puissant et insatiable voisin : la République populaire de Chine.

 

Mme Tsai, qui a d’ores et déjà annoncé son intention de briguer un deuxième mandat en 2020, le sait : depuis son entrée en fonctions, elle évolue sur une ligne de crête perpétuelle. Tout le défi consiste à résister à la Chine, sans franchir le point de non-retour susceptible de déclencher une conflagration régionale qui mettrait aux prises, non seulement les deux frères ennemis du détroit de Formose, mais aussi, sans doute, les Etats-Unis (liés à la RDC par le Taiwan Relations Act, entré en vigueur en avril 1979, sous le mandat du démocrate Jimmy Carter) et, par ricochet, le Japon, proche allié de Washington. 

 

Or le pouvoir de Pékin, à l’affût de la moindre faille, est en embuscade. Il ne manque jamais une occasion de rappeler son intransigeance à propos de Taïwan, considéré comme une province renégate qu’il convient de ramener dans le giron national par tous les moyens, fût-ce la force. Pour les hiérarques chinois, l’indépendance de l’île est une perspective impensable, car, outre le fait que ce scénario représenterait l’humiliation suprême, il créerait un précédent qui pourrait nourrir des velléités similaires à Hongkong, au Tibet ou en Mongolie-Intérieure.    

 

Le 13 mars, dans un communiqué, les autorités chinoises ont ainsi rappelé que toute tentative visant à les empêcher de contrôler Taïwan s'apparentait au fait de vouloir « arrêter une voiture en étendant le bras ». An Fengshan, porte-parole du Bureau des affaires taïwanaises du Comité central du Parti communiste chinois (PCC), a accusé Tsai Ing-wen d'instrumentaliser le bien-être de la population de l'île pour des motifs électoralistes.                

 

Afin de faire prévaloir ses vues, la Chine multiplie les moyens de pression plus ou moins puissants, dans ce qui ressemble fort à une stratégie de la carotte et du bâton. Celle-ci est déployée sur deux fronts, économique et politico-diplomatique. Au niveau économique, Pékin s’efforce d’inciter la jeunesse taïwanaise – notamment celle qui travaille dans le secteur de la recherche et du développement, et des technologies – à s’installer en Chine continentale, tout en réduisant, dans le même temps, le flux des touristes chinois autorisés à visiter l’île. Une manière d'affaiblir celle-ci, qui, pour prospérer, a malgré tout besoin de la République populaire (30 % des exportations de la RDC lui sont destinées).

 

Sur le plan politico-diplomatique, la Chine privilégie peu ou prou la même approche, à savoir l'isolement forcé. Avec un certain succès. Ces dernières années, en effet, elle est parvenue à ravir à Taipei plusieurs de ses rares alliés. Cela a été le cas de Sao-Tomé-et-Principe en décembre 2016, du Panama en juin 2017, puis de la République dominicaine et du Burkina Faso, en mai 2018. Ouagadougou était pourtant un partenaire privilégié depuis 1994. Dorénavant, seuls dix-sept micro-Etats, dont le Vatican, reconnaissent encore Taïwan comme un Etat. Sur le papier, de fait, il en a tous les attributs : un drapeau, une monnaie, une armée, un gouvernement...

           

A ces deux volets s'ajoutent également l'instrumentalisation d'Internet (cyberattaques, dissémination d'« infox », manipulation des réseaux sociaux) et la dimension militaire, l’empire du Milieu multipliant régulièrement les manœuvres aériennes et navales à proximité de Taïwan, y compris avec le porte-avions Liaoning, le fleuron de sa marine. Une tactique à laquelle Tsai Ing-wen a choisi de répondre en procédant à des exercices anti-invasion et augmentant le budget de la défense. Celui-ci, qui représente environ 2 % du produit intérieur brut, soit son plus haut niveau depuis dix ans, reste toutefois loin de celui de la Chine, qui lui est seize fois supérieur.

           

Dans la guerre froide qui l'oppose à Pékin, Taipei peut compter sur les Etats-Unis, qui demeurent son principal fournisseur d'armements. En plein contentieux commercial avec la Chine sur les droits de douane, l'administration Trump aurait d'ailleurs donné son accord tacite à Taïwan concernant l'achat de plus de 60 avions de combat F-16 fabriqués par la firme Lockheed Martin. Une telle transaction ne s’était pas produite depuis 1992, lorsque le président américain d’alors, George H. W. Bush, avait annoncé la vente à l’île de 150 F-16.     

             

Appréciée à l’étranger, mais impopulaire chez elle, entre autres pour n’avoir pas mis fin à la stagnation des salaires comme elle s’y était engagée, Mme Tsai, dont la cote de confiance est passée sous la barre des 30 %, voit son espace se réduire. Le revers électoral essuyé par le PDP aux élections locales de novembre 2018, qui l’a poussée à démissionner de la présidence du parti, n’a rien arrangé.   

           

A présent, elle doit affronter la concurrence d’Eric Chu – lequel aspire à prendre sa revanche après sa défaite de 2016, et promet d'améliorer les relations avec Pékin –, mais aussi de son ancien protégé du PDP (et ex-premier ministre de septembre 2017 à janvier 2019), Lai Ching-te, qui plaide ouvertement pour l’indépendance. Le résultat de la primaire du PDP sera connu le 17 avril.

           

En attendant, d’après diverses enquêtes d’opinion, le peuple taïwanais, lui, semble attaché au statu quo : ni indépendance ni réunification. Reste que la campagne qui s’annonce sera dominée par la question chinoise. D’aucuns évoquent même la possibilité que la Chine passe à l’attaque d’ici à 2021, année du centenaire du PCC. Simple rumeur ou menace crédible ? Pékin, en tout cas, n'est pas près de renoncer à son rêve d'une nation forte et... unie.               

 

Aymeric Janier

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