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La chambre haute du Parlement polonais a voté (57 voix pour, 23 contre et 2 abstentions) en faveur d’une loi prévoyant de punir par des amendes ou des peines d’emprisonnement (jusqu’à trois ans) ceux qui attribueraient à « la nation ou à l’Etat polonais » des crimes commis par les nazis en Pologne occupée (AFP/PAP/Radek Pietruszka/Eastnews Out).

Le dialogue polono-israélien à l'épreuve de l’Histoire

1er février 2018

 

L'Histoire – avec un grand H – est une source inépuisable de malentendus, de rancœurs mal éteintes et de bombes à retardement, qui parfois explosent bien après que le tumulte des armes a cessé. La Pologne vient d’en apporter une nouvelle preuve. Dans la nuit du mercredi 31 janvier au jeudi 1er février, le Sénat a ainsi voté une loi controversée sur la Shoah destinée, selon ses promoteurs conservateurs du PiS (le parti Droit et justice, au pouvoir), à défendre l’image du pays.

 

Ce texte, déjà adopté en fin de semaine dernière par les députés et qui doit être signé par le président Andrzej Duda pour entrer en vigueur, prévoit de punir par des amendes ou des peines d’emprisonnement (jusqu’à trois ans) ceux qui attribueraient à « la nation ou à l’Etat polonais » des crimes commis par les nazis en Pologne occupée.

         

Depuis des années, les couteaux sont tirés à propos de l’utilisation de la formule « camps de la mort polonais », laquelle suggère que le pays est, au moins en partie, responsable des camps d'extermination – tels Auschwitz-Birkenau, Chelmno, Gross-Rosen ou encore Majdanek – ouverts sur son territoire par les sectateurs d'Adolf Hitler et de Reinhard Heydrich, sinistre instigateur de la « solution finale ».

Le 27 janvier, sur le réseau social Twitter, le premier ministre conservateur, Mateusz Morawiecki, a tenu à faire une mise au point : « Les juifs, les Polonais et toutes les victimes devraient être les gardiens de la mémoire de ceux qui ont été assassinés par les nazis. Auschwitz-Birkenau n’est pas un nom polonais, et “Arbeit macht frei” [le travail rend libre] n’est pas une expression polonaise », a-t-il rappelé.   

           

Il n'en demeure pas moins que l'offensive législative polonaise n'est pas du goût de certains, à commencer par Israël. « Aucune loi polonaise ne peut changer l’Histoire. Nous n’oublierons jamais », a par exemple réagi sur Facebook le chef de file du mouvement centriste Yesh Atid, Yaïr Lapid. Le 29 janvier, le premier ministre conservateur, Benyamin Nétanyahou, avait lui-même prévenu : « Nous ne tolérerons en aucune circonstance une tentative de réécriture de l’Histoire. »   

           

Aux yeux de l’Etat hébreu, Varsovie s’efforce de diluer sa responsabilité passée. D’aucuns y voient même une forme patente de déni. Créé en 1953 et sis à Jérusalem, l’institut international Yad Vashem pour la mémoire de la Shoah juge pour sa part que la tournure « camps de la mort polonais » est une déformation, mais il affirme, dans le même temps, que la loi va « brouiller les vérités historiques concernant le soutien que la population polonaise a fourni aux Allemands ».       

           

La vérité, justement, se niche sans doute dans la nuance. « Au temps de la Shoah, on a vu en Pologne un héroïsme inimaginable et la trahison la plus abjecte, ainsi que tout le spectre de comportements entre les deux », a d’ailleurs confié Konstanty Gebert, l’une des « plumes » renommées du quotidien Gazeta Wyborcza, à l’Agence France-Presse (AFP). 

           

De fait, si des Polonais ont bien, au cours de la deuxième guerre mondiale, tué des juifs – par appât du gain, entre autres – ou ont sciemment ignoré leurs malheurs pour ne pas être passibles de la peine de la mort avec le reste de leur famille (1) –, d’autres les ont protégés. Yad Vashem estime qu’entre 30 000 et 35 000 juifs, soit près de 1 % de la communauté juive de Pologne, ont été sauvés grâce à l’aide de citoyens. Plus de 6 700 d’entre eux ont d’ailleurs été qualifiés de « Justes parmi les Nations », soit plus que dans n’importe quel autre pays.

           

De surcroît, il n’y a pas eu de complicité avec les nazis au niveau institutionnel, comme ce fut le cas en France avec le maréchal Pétain ou en Norvège avec Vidkun Quisling (dont le nom est passé dans la langue courante norvégienne pour désigner un traître, un « collabo »). Dans « Stalinisme et nazisme. Histoire et mémoire comparées » (Editions Complexe, 1999, sous la direction de l’historien Henry Rousso), Andrzej Paczkowski écrivait : « Une seule tentative [de collaboration politique] opérée en 1939 par une fraction d’un des partis d’extrême droite (ONR-Falanga) s’est achevée au bout de quelques semaines par l’arrestation de ses membres. Le seul personnage politique connu à avoir présenté un mémorandum au pouvoir allemand, un politicien âgé et germanophile connu depuis la Première Guerre mondiale (Wladyslav Studnicki), s’est retrouvé consigné à son domicile. »   

           

De son côté, Yad Vashem reconnaît une forme de dualité dans l'attitude adoptée à l'époque à l'égard des juifs persécutés. S'il admet que « certains petits groupes de personnes, comme les employés du service d’aide sociale de la municipalité de Varsovie et d’anciens membres du mouvement scout polonais (catholique), ont agi avec un grand courage et un dévouement exemplaire », il souligne aussi que « lors de la période du ghetto [de sa création, en octobre 1940, à sa destruction par les affidés du général SS Jürgen Stroop, en mai 1943], la résistance polonaise s’est désintéressée du sort des juifs de Pologne ». La solidarité contre l’envahisseur nazi se serait-elle arrêtée au seuil des foyers juifs ?  

   

Quoi qu’il en soit, Israël a déjà lancé des contre-mesures. En réaction à la loi adoptée en Pologne, une proposition de loi a été présentée à la Knesset (le Parlement monocaméral israélien) par le député Itzik Shmuli (Union sioniste, centre gauche), qui suggère une peine de cinq ans d'emprisonnement en guise de sanction pour le fait de « réduire ou nier le rôle joué par ceux qui ont aidé les nazis dans les crimes perpétrés contre les juifs ». Elle a reçu l'appui de principe de 61 parlementaires sur 120.     

           

Pas de quoi rétablir un dialogue apaisé. Varsovie est-il encore le « meilleur ami d’Israël en Europe », qualificatif qui lui avait été donné du fait de son soutien dans divers dossiers (conflit israélo-palestinien, programme nucléaire iranien) ? Il est permis d’en douter. L’heure en tout cas n’est plus aux blandices, comme en mai 1991, lorsque le président Lech Walesa avait prononcé un discours mémorable devant la Knesset, demandant pardon, au nom de l’Etat polonais, pour les torts dont certains citoyens de son pays – désignés comme des « malfaiteurs » – s’étaient rendus coupables...   

             

Aymeric Janier

 

(1) D’après un décret du gouverneur général Hans Frank en date du 15 octobre 1941, toute forme d’assistance fournie aux juifs était punie de mort, une exception dans l’Europe occupée. 

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