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Abou Moussab Al-Souri, influent théoricien du « troisième djihad »

 

13 janvier 2015

 

Et si le djihadisme mondial avait muté ? S’il avait basculé dans une nouvelle ère, moins ostentatoire, plus feutrée et, partant, plus pernicieuse ? Les attentats dits « de basse intensité » perpétrés ces dernières années semblent largement accréditer cette thèse. Qu’il s’agisse de Mohammed Merah à Toulouse et Montauban (mars 2012), de Djokhar et Tamerlan Tsarnaev au marathon de Boston (avril 2013), de Mehdi Nemmouche au Musée juif de Bruxelles (mai 2014), ou encore des frères Kouachi et d’Amedy Coulibaly, respectivement auteurs, les 7 et 9 janvier, de la tuerie de Charlie Hebdo et de la prise d'otages meurtrière de la porte de Vincennes, le même schéma se répète : un ou plusieurs individus isolés parviennent à frapper l’Occident, faisant vaciller son édifice démocratique. Une nouvelle forme de combat inspirée par un homme : Abou Moussab Al-Souri.

 

Instruit par sa propre expérience, qu’il a patiemment cultivée aux côtés des hiérarques d’Al-Qaïda, cet Hispano-Syrien d’une cinquantaine d’années professe depuis plus d’une décennie déjà l'avènement du « troisième djihad » (1). Foin des attaques spectaculaires ! Dans l'esprit de ce théoricien à l'idéologie crépusculaire, mais à l’intelligence redoutable, mieux vaut privilégier les petites cellules indépendantes capables d’agir hors de toute chaîne de commandement. Elles seules peuvent garantir une efficacité maximale en se dissimulant à la vue des sentinelles antiterroristes.

 

« Contrairement à Oussama Ben Laden, il a toujours pensé que le fait de maintenir des liens organiques et tactiques avec un état-major central établi à l’étranger était très dangereux et qu'il était préférable de développer des cellules clandestines locales en leur laissant une grande part d'initiative au niveau opérationnel », confirme Alain Rodier, directeur de recherche chargé du terrorisme au Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R). Cette volonté de discrétion a d’ailleurs poussé Abou Moussab Al-Souri à critiquer les attentats du 11 septembre 2001, lesquels, selon lui, n’ont contribué qu’à affaiblir Al-Qaïda en la privant de son précieux sanctuaire afghan.

 

Comment ce stratège roué, peu connu du grand public mais louangé par les cercles islamistes, en est-il arrivé à un tel paradigme ? Retour en arrière, pour mieux comprendre. Né en 1958 dans la petite bourgeoisie d’Alep, en Syrie, Moustapha Sitt Mariam Nassar, de son vrai nom, s'engage au sortir de l'adolescence aux côtés des Frères musulmans, alors en lutte contre le pouvoir baasiste. Son « basculement » s’opère en 1982. Cette année-là, le jeune étudiant en ingénierie mécanique assiste, impuissant, à la répression sanglante de Hama, ordonnée par Hafez Al-Assad, le père de l’actuel président. Ce revers cinglant nourrit son acrimonie... mais aussi quelques réflexions utiles.

 

Depuis son exil européen, il livre ses « leçons amères », analyse raisonnée censée obvier à un nouveau massacre et dans laquelle il expose froidement les erreurs commises par ses « frères » (avec lesquels il a entre-temps pris ses distances) : une préparation insuffisante, un manque de ressources propres, un recrutement inapproprié et, surtout, une stratégie inadaptée – la guerre d'usure plutôt qu'un mélange d’actions terroristes et d’opérations de guérilla. Dans la seconde moitié des années 1980, il quitte l’Espagne, où il a épousé Elena Moreno, une gauchiste athée convertie à l’islam qui lui donnera quatre enfants. Direction l'Afghanistan, théâtre d’une guerre impitoyable entre les moudjahidine et l’Armée rouge. Un voyage formateur au cours duquel il côtoie, entre autres, le Palestinien Abdallah Azzam – l’un des « pères spirituels » du djihadisme mondial, assassiné en 1989 à Peshawar (Pakistan) dans des circonstances troubles. Il se plaint néanmoins du profil des « recrues » : « Les gens viennent à nous avec des têtes vides et repartent avec des têtes vides. Ils n’ont rien fait pour l’islam. Cela est lié au fait qu'ils n'ont pas reçu de formation idéologique et doctrinale », écrit-il.  

 

Au fil de ses pérégrinations, notamment en Angleterre où il émerge comme un pilier du « Londonistan », son aura grandit. Preuve en est, à la fin de la décennie 1990, c'est lui qui organise les (rares) rendez-vous d'Oussama Ben Laden avec la presse internationale. Dans « The Osama bin Laden I Know », le journaliste américain Peter L. Bergen se souvient : « Il était dur et hautement intelligent. Il apparaissait comme un vrai intellectuel, très au courant de l’histoire, et il nourrissait des objectifs particulièrement sérieux. Il m’a sans nul doute plus impressionné que Ben Laden. » Après le 11-Septembre s’ouvre une nouvelle période d’errance, cette fois au Pakistan, au cours de laquelle il élabore par touches son « Appel à la résistance islamique mondiale » (« Daawat Al-Mouqawama Al-Islamiya Al-Alamiya »).  

 

Ce bréviaire du parfait terroriste, riche de... 1 600 pages, est publié en ligne en décembre 2004. Abou Moussab Al-Souri y prône un djihad décentralisé, alimenté par de petits groupes autonomes et déterminés qui se fondent dans la masse des fidèles, et ce au cœur des « régimes impies ». Avec, en filigrane, un objectif : semer le chaos en Occident en dressant les populations contre la minorité musulmane afin de mieux pousser celle-ci à la radicalisation. Al-Qaïda devient ainsi davantage une méthode qu’une organisation (stratégie baptisée « nizam, la tanzim »).

 

Capturé à l’automne 2005 à Quetta, la capitale du Baloutchistan, par les services secrets pakistanais de l’ISI, Abou Moussab Al-Souri est rapidement livré aux Américains, avant d’être remis aux Syriens, probablement en 2007. D’après certaines sources jugées fiables par les experts, le régime de Bachar Al-Assad l’aurait libéré à la fin de 2011, quelques mois après le déclenchement de la guerre civile, pour qu'il inocule le virus djihadiste aux insurgés et que ceux-ci s’aliènent, par ricochet, le soutien occidental.

 

Nul ne sait aujourd’hui où il se trouve. Reste que ses enseignements, eux, perdurent. Une source d’inspiration pour tous les fous d’Allah, mais un casse-tête pour les agences de renseignement de la planète. Face à ce « troisième djihad », Alain Rodier estime « qu’il n’y a pas de solution efficace à 100 % ». Et de conclure : « Lorsque l’on touche au renseignement d’intention, on entre dans le domaine de la prospective. Quels que soient les effectifs et les moyens financiers dévolus à la lutte antiterroriste, certains éléments parviendront toujours, hélas, à passer entre les mailles du filet... »      

 

Aymeric Janier       

 

>> Pour aller plus loin : « Al-Qaeda Military Strategist Abu Mus'ab Al-Suri's Teachings on Fourth-Generation Warfare (4GW), Individual Jihad and the Future of Al-Qaeda », par Steven Stalinsky (The Middle East Media Research Institute), juin 2011. 

 

* * *

(1) Le premier âge du djihad fait référence à la guerre menée contre l’armée soviétique en Afghanistan (1979-1989), le second, à celle contre l’armée américaine en Irak.

 

  

FICHE D'IDENTITÉ

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  • Nom : Moustapha Sitt Mariam Nassar alias « Abou Moussab Al-Souri ». La kunya (paternité réelle ou symbolique) Abou Moussab signifie « père de Moussab » [en référence à Moussab Ibn Omaïr, émissaire du prophète Mahomet à Médine en 621 et tombé en martyr à Ohod en 625] et la nisba (origine géographique ou appartenance tribale) Al-Souri, « le Syrien ». 

     

  • Date de naissance : 1958, à Alep (nord de la Syrie).

 

  • Nationalité : syrienne et espagnole (par mariage).

 

  • Situation familiale : marié à Elena Moreno – quatre enfants. 

 

  • Divers : ancien responsable, dans les années 1990 à Londres, de la revue Al-Ansar, qui soutenait les islamistes algériens du GIA.

 

 

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