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Jean-Pierre Bemba, l'ancien vice-président de la République démocratique du Congo (RDC), peu avant le rendu du verdict de la Cour pénale internationale, lundi 21 mars 2016, à La Haye (Pays-Bas) (Jerry Lampen/AFP).

Procès Bemba devant la CPI : « Un jugement historique »

 

 

 

 

Actualisation du 21 juin : L'ancien vice-président de la République démocratique du Congo (RDC), Jean-Pierre Bemba, a reçu, mardi 21 juin, une peine de dix-huit ans de prison par la Cour pénale internationale (CPI). Il est, à ce jour, la personnalité la plus haut placée à être condamnée par la CPI.

28 mars 2016

 

Il n'a pas échappé aux rets de la justice. Jean-Pierre Bemba, ancien vice-président de la République démocratique du Congo (RDC) de 2003 à 2006, a été reconnu coupable lundi 21 mars par la Cour pénale internationale (CPI) de deux chefs de crimes contre l'humanité et de trois chefs de crimes de guerre commis en République centrafricaine en 2002 et 2003. L'institution sise à La Haye (Pays-Bas) accuse sa milice, le Mouvement pour la libération du Congo, d'avoir commis des viols, des meurtres et des pillages lorsqu'elle soutenait le président centrafricain Ange-Félix Patassé contre les rebelles du général François Bozizé.

 

En quoi ce jugement, rendu après quatre ans de procès et salué par Fatou Bensouda, la procureure gambienne de la CPI, marque-t-il un tournant ? Quelles sont ses implications ? Responsable du Bureau justice internationale de la Fédération internationale des Ligues des droits de l'Homme (FIDH), Karine Bonneau livre son analyse à « Relations internationales : Etats critiques ».

 

>> Comment interprétez-vous le jugement rendu par la Cour pénale internationale dans ce procès ?

 

Karine Bonneau : C'est une décision inédite à plusieurs niveaux. En effet, c'est la première fois, depuis sa création en 2002, que la CPI condamne un accusé pour viol. La Cour dispose d'un mandat assez large en matière de répression des crimes sexuels, mais elle ne l'avait encore jamais mis en œuvre. Cela est d'autant plus important que le crime de viol demeure particulièrement prégnant en RDC, comme en République centrafricaine. Par ailleurs, ce jugement est historique dans le sens où il reconnaît la responsabilité du supérieur hiérarchique. C'est la preuve qu'il est possible de poursuivre et de sanctionner les donneurs d'ordres qui ne se trouvent pas sur le terrain.

 

>> Quelle peine Jean-Pierre Bemba encourt-il désormais pour les faits qui lui sont reprochés ?

 

C’est difficile à dire, mais l’article 77 du Statut de Rome adopté en juillet 1998 et sur lequel se fonde la CPI dispose « que la Cour peut prononcer contre une personne déclarée coupable d’un crime visé à l’article 5 dudit Statut [crime de génocide, crimes contre l’humanité, crimes de guerre et crime d’agression] (...) une peine d'emprisonnement de 30 ans au plus ou une peine d'emprisonnement à perpétuité, si l'extrême gravité du crime (...) le justifie ».

 

On peut penser que Jean-Pierre Bemba recevra une peine plus élevée que celle de Thomas Lubanga [président de l’Union des patriotes congolais (UPC, mouvement rebelle), condamné à 14 ans d'emprisonnement en juillet 2012] ou de Germain Katanga [ancien milicien de RDC et principal responsable de la Force de résistance patriotique de l’Ituri, condamné à 12 ans d’emprisonnement en mai 2014] en raison de sa position hiérarchique.

 

Généralement, elle est fixée dans un délai de deux à quatre mois après le jugement de culpabilité. Le Bureau du procureur rendra sa décision publique prochainement, en faisant connaître la peine qu'il requiert.

 

>> Croyez-vous que la décision de la CPI puisse mettre un terme à l'impunité dont jouissent certains seigneurs de guerre, en Afrique et ailleurs ?

 

Non, pas dans l'immédiat, mais peut-être à plus long terme. Cela étant, il y a tout de même matière à se réjouir, car le jugement de la CPI démontre que le viol n'est pas considéré comme une pratique aléatoire ou courante des conflits. Je pense que c'est aussi un message adressé à tous ceux qui seraient tentés, à l'avenir, de commettre de tels crimes : « Si vous vous engagez dans cette voie, vous serez comptables de vos actes devant la justice ». Peut-être cela générera-t-il une prise de conscience ?

 

>> Le viol est-il encore une arme fréquemment utilisée en RDC ?

 

Absolument. La RDC est d’ailleurs affublée de la sinistre réputation de « capitale mondiale du viol ». En Centrafrique, ce crime est celui qui a le plus marqué le conflit de 2002-2003. Fait notable, il a touché autant les femmes que les hommes et les enfants. A cet égard, il convient de rappeler que c'est aussi la première fois qu'un accusé est condamné pour viol commis contre des hommes, sur la base de leurs témoignages. La Cour a démontré qu’il s’agissait d’une politique concertée, appliquée de manière systématique.

 

>> Comment expliquer qu’il ait fallu quatre ans de procès (2010-2014) pour parvenir à une décision ?

 

Au cours de cette période, la Chambre de première instance n'a siégé qu'un peu plus de 300 jours. Il n’y a pas eu quatre ans d'auditions constantes. Je pense que la Cour doit apprendre de ses procédures pour les rendre plus rapides, mais dans le respect des droits de la défense. Ce qu’il faut bien comprendre, c’est que la CPI se heurte à certaines limites, que ce soit en matière de prérogatives ou de moyens.

 

De fait, elle est dépendante de la coopération des Etats [124 sont parties au Statut de Rome] pour pouvoir condamner et recueillir des éléments de procédure suffisants. Son budget est en outre très limité [il s'élève à 164 millions d'euros, après une augmentation de seulement 7 %, votée en novembre, par rapport au budget de 2015 (153,3 millions d’euros)], d’où le fait qu’il y ait plusieurs procès en attente et plusieurs auditions en même temps.

 

>> Cette lenteur ne jette-t-elle pas une nouvelle fois le discrédit sur la CPI ?

 

Le fait est que la justice internationale fonctionne de manière lente. Il n’y a qu’à voir, pour s’en convaincre, le procès de Radovan Karadzic [l’ancien chef politique des Serbes de Bosnie a été condamné jeudi 24 mars par le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY) à 40 ans d’emprisonnement pour crime de génocide et crimes contre l'humanité commis pendant la guerre de Bosnie-Herzégovine (1992-1995)]. Sa condamnation est intervenue près de huit ans après son arrestation, en juillet 2008.

 

Je pense surtout que si les Etats ne font pas un effort en matière de coopération, alors les procédures vont demeurer longues. A cela s’ajoute aussi, bien sûr, le temps de traduction et d'interprétariat, qui est loin d’être négligeable.

 

>> Ce procès ne risque-t-il pas, une fois de plus, de donner du grain à moudre à ceux – et notamment à l’Union africaine – qui accusent la CPI de s'en prendre exclusivement à des dirigeants africains ?

 

Vous remarquerez que, dans le procès de Jean-Pierre Bemba, l’Union africaine (UA) est restée silencieuse, tout comme elle l’est à propos de l’affaire Gbagbo [l’ancien président ivoirien (de 2000 à 2011) est poursuivi devant la CPI, entre autres pour crimes contre l’humanité commis lors des violences postélectorales de 2010-2011].

 

En revanche, elle a été beaucoup plus prompte à faire entendre sa voix lorsqu’il s’est agi d’Uhuru Kenyatta [président du Kenya depuis 2013, il a été poursuivi par la CPI pour crimes contre l’humanité commis lors des violences postélectorales de 2007-2008, avant que la Cour n’abandonne les charges contre lui, en décembre 2014] et d’Omar Al-Bachir [le président soudanais est accusé de crime de génocide, de crimes contre l’humanité et de crimes de guerre commis au Darfour (ouest du Soudan) et, à ce titre, visé par plusieurs mandats d'arrêt internationaux, dont le premier émis en 2009].

 

Cela s’explique par le fait que ces derniers sont à la manœuvre au sein de l’UA. Preuve en est, lors du dernier sommet de l’Union, en janvier à Addis-Abeba (Ethiopie), Uhuru Kenyatta a attendu la clôture des débats pour faire adopter une résolution prévoyant l’élaboration d’une feuille de route censée aboutir au désengagement des pays africains du Statut de Rome...

 

Dans le cas de Jean-Pierre Bemba, il ne faut pas oublier que c'est la République centrafricaine elle-même qui a demandé à la CPI d’ouvrir une enquête. Plus largement, la moitié des enquêtes diligentées en Afrique l’a été à la demande des Etats africains.

 

>> Comment envisagez-vous l’avenir de la justice pénale internationale ?

 

La semaine dernière, la justice pénale internationale a connu quatre grands succès, avec la conservation des charges contre Dominic Ongwen [l’ancien chef de guerre ougandais, commandant au sein de l'Armée de résistance du Seigneur (LRA), sera jugé pour crimes contre l’humanité et crimes de guerre] et Ahmad Al-Faqi Al-Mahdi [le djihadiste malien comparaîtra pour crime de guerre en raison de la destruction de monuments à caractère historique et religieux à Tombouctou], ainsi que les condamnations de Jean-Pierre Bemba et de Radovan Karadzic. Cela est de bon augure.

 

Reste que cette justice, née à Nuremberg au sortir de la deuxième guerre mondiale, est lente, à la fois parce que, comme je l'ai dit, elle repose sur le bon vouloir des Etats, mais aussi parce que cela prend du temps d’exhumer des preuves, surtout des années après la perpétration d'un crime. De fait, elle se construit pas à pas. A chaque procès, de nouveaux obstacles émergent. Mais il y a tout de même un point positif : si les plus hauts responsables de ces crimes parviennent à échapper à la justice de leur pays, cela n’est plus forcément vrai au niveau international. Enfin, il ne faut pas perdre de vue le caractère essentiel que représente la détermination des victimes à poursuivre leur combat. Sans elles, il n’y aurait pas de justice.

 

Propos recueillis par Aymeric Janier

 

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