top of page

Biélorussie : Loukachenko et la « politique du pendule »

 

 

 

 

Actualisation du 12 octobre :  Alexandre Loukachenko a été réélu  pour un cinquième mandat à la tête de la Biélorussie, dimanche 11 octobre, en recueillant 83,49 % des voix, un score plus élevé que ceux qu'il avait obtenus en 2006 et 2010. Arrivée en deuxième position, Tatiana Korotkevitch, 38 ans, n'a glané que 4,42 % des suffrages. La commission électorale centrale a annoncé que le taux de participation à ce scrutin, surveillé par l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), avait été de 87,2 %.

 

 

7 octobre 2015

 

Ce n'est pas encore cette année qu'un candidat providentiel fera choir Alexandre Loukachenko, 61 ans, de son piédestal. A la tête de la Biélorussie depuis juillet 1994, celui que l’on qualifie parfois de « dernier dictateur d’Europe » s’apprête à être reconduit dans ses fonctions, dimanche 11 octobre, pour un cinquième mandat de cinq ans.

 

La seule réelle inconnue du scrutin à venir, sans enjeu car verrouillé à double tour, concerne l'ampleur de sa victoire. Sera-t-elle aussi écrasante qu'à l'accoutumée ? Lors des deux précédentes élections, en 2006 et 2010, l’autocrate de Minsk avait recueilli respectivement 82,6 % et 79,67 % des suffrages. De quoi lui laisser toute latitude pour maintenir, voire accentuer, son autorité sur le pays.

 

Juges inféodés à la volonté présidentielle, médias muselés, opposants mis sous l’éteignoir, voire embastillés à l’occasion, pour l’exemple : l’ancienne Russie blanche offre depuis plusieurs années un triste spectacle en matière de respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

 

Soumise à la férule du « batka » (« le père », surnom de M. Loukachenko), soutenu pour l’essentiel par les retraités et les personnes travaillant dans le secteur public, elle n’a jamais goûté au frisson de l’alternance faute d’opposition politique structurée. Dans le pays, d’ailleurs, l’argument « sans Loukachenko, qui pour le remplacer ? » est récurrent.             

 

Si la Biélorussie, encalminée dans la dictature, n’a guère changé de visage, on ne peut en dire autant de son environnement immédiat. La crise ukrainienne, déclenchée à la fin de 2013 par un mouvement de contestation populaire dirigé à l'encontre du pouvoir corrompu de Kiev, a rebattu les cartes de la politique régionale. Elle a, par ricochet, bousculé les codes de la diplomatie biélorusse, prise de court par la « révolution de Maïdan (1) ».

 

Face aux manœuvres politico-militaires de la Russie – annexion de la Crimée en mars 2014, soutien aux séparatistes prorusses du Donbass (est de l’Ukraine) –, Alexandre Loukachenko n’a pas tardé à prendre ses distances avec Moscou. Il a ainsi, à plusieurs reprises, évoqué son attachement à une « Crimée ukrainienne ». Son absence, le 9 mai, à la grande parade militaire organisée sur la place Rouge pour marquer le 70e anniversaire de la victoire sur le régime nazi, a même été interprétée par certains observateurs comme un « boycott » – bien que l'intéressé s’en soit vivement défendu.

 

Pourquoi cette défiance assumée envers le Kremlin ? « Alexandre Loukachenko a compris que la Russie de Vladimir Poutine ne poursuivait plus une politique de ‘soft power’ (2) dans la région et que ce qui s'est passé en Ukraine pouvait avoir lieu dans son pays. C’est aussi une manière d'adresser un message à l’Europe en montrant qu'il ne cautionne pas ces actions », explique Aliaksandr Autushka-Sikorksi, chercheur à l’Institut biélorusse pour les études stratégiques (BISS), sis à Minsk. La chute du rouble, qui a entraîné dans son sillage celle de la devise biélorusse, n’a pas non plus contribué à apaiser les tensions.   

 

Malgré ses coups de menton, la Biélorussie ne peut toutefois pas se permettre de tourner complètement le dos à la Russie, pour des raisons économiques. « C’est pratiquement impossible car elle jouit d’énormes avantages commerciaux sur le marché russe. Moscou fournit également à Minsk du gaz et du pétrole à des tarifs très avantageux. Mais tout cela est conditionné à une réelle loyauté géopolitique. Sans parler du fait qu’ils appartiennent tous deux à l’Union économique eurasienne [avec l’Arménie, le Kazakhstan et le Kirghizistan] », souligne M. Autushka-Sikorksi.

 

A cela s’ajoutent des considérations stratégiques. La Russie, qui dispose déjà en Biélorussie d’une station radar et d’un centre de transmission de la marine, cherche à y implanter une base aérienne, ce qui serait représenterait le premier déploiement majeur de l’armée russe dans l’ex-République soviétique. Près d’un millier de personnes ont défilé à Minsk, dimanche 4 octobre, pour s'opposer à ce projet, contre lequel ferraille également le chef de l’Etat. De surcroît, les deux pays, membres de l’Organisation du traité de sécurité collective (3), organisent régulièrement des manœuvres militaires conjointes, comme celles qui se sont déroulées au début de septembre, avec la Serbie – exercices baptisés « Fraternité slave ».

 

Fuyant avec la Russie, Alexandre Loukachenko tente d’enjôler l’Europe. Aux côtés de la chancelière allemande, Angela Merkel, et du président français, François Hollande, il a joué les médiateurs empressés dans le conflit ukrainien. C'est à Minsk, en effet, qu'a été signé, le 5 septembre 2014, l’accord (complété en février 2015 et jamais vraiment appliqué jusqu’à présent) censé aboutir à un cessez-le-feu dans les régions séparatistes de l’est de l’Ukraine grâce à l’instauration d’une zone tampon sur la ligne de front.  

 

Plus récemment, le 22 août, le président biélorusse a accordé sa grâce « pour raisons humanitaires » à six prisonniers politiques, dont Mikola Statkevitch, ex-rival du chef de l'Etat à l'élection présidentielle de 2010 et ancien dirigeant du Parti social-démocrate de Biélorussie, aujourd’hui dissous. Un geste calculé. « Avant chaque échéance majeure – comme l'élection présidentielle de cette année –, Alexandre Loukachenko pratique la ‘politique du pendule’ : il oscille pour s’assurer le soutien des pays occidentaux. Il cherche à polir son image », analyse Aliaksandr Autushka-Sikorksi.

 

En partie sensible à cette ouverture, l’UE songerait à lever certaines des sanctions individuelles pesant sur le régime, mais seulement après le scrutin du 11 octobre. Alexandre Loukachenko pourrait ainsi se déplacer de nouveau sur le territoire de l’Union, ce qui lui est interdit depuis 2011. Certains de ses partisans – près de 200 d’entre eux figurent sur la « liste noire » de Bruxelles – seraient aussi éventuellement concernés par cette mesure, de même que des entreprises, à l'exception de celles impliquées dans la vente d'armes.

 

Lors de la conférence gouvernementale du 1er octobre, le chef de l’Etat a appelé le peuple biélorusse à aller voter « de manière ouverte et honnête ». A cette occasion, il a affirmé que l’élection du 11 octobre devait être « extrêmement démocratique, pacifique et très organisée », insistant sur la nécessité de préserver la famille, la prospérité et la sécurité. Le Vieux Continent se laissera-t-il amadouer par ces manières patelines ?                              

 

Aymeric Janier

 

* * *

(1) Maïdan est le nom de la place de l’Indépendance, à Kiev.

(2) Le « soft power » (littéralement « pouvoir doux ») est un concept de géopolitique qui fait référence à l’influence que peuvent exercer les Etats par le biais de la culture, des idées et des valeurs, par opposition au « hard power », fondé sur la force et la coercition. 

(3) Organisation à vocation politico-militaire regroupant la Russie, la Biélorussie, l'Arménie, le Kazakhstan, le Kirghizistan et le Tadjikistan.

 

Le président biélorusse, Alexandre Loukachenko, s'exprime devant l'Assemblée générale de l'ONU, à New York, le 28 septembre 2015 (Timothy A. Clary/AFP).

 

Repères

 

  • Superficie 207 600 kilomètres carrés.

 

  • Population : 9,5 millions d’habitants.

 

  • Capitale : Minsk.

 

  • Monnaie : le rouble biélorusse.

 

  • Fête nationale : le 3 juillet.

 

  • Communautés religieuses : orthodoxes (75 %), catholiques (20 %), protestants (2 %), juifs (1 %), musulmans (1 %). 

 

 

 

ancre 1
ancre 2
ancre 3
bottom of page