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​La chancelière allemande, Angela Merkel (au centre), entourée par le président serbe, Aleksandar Vucic (à droite), et celui du Kosovo, Hashim Thaçi (deuxième en partant de la gauche), lors du sommet entre l’Union européenne et les Balkans occidentaux, au Palais national de la culture à Sofia (Bulgarie), le 17 mai 2018 (Darko Vojinovic/AP).

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Entre la Serbie et le Kosovo, un épais mur de défiance

3 mai 2019

La Serbie et le Kosovo parviendront-ils jamais à surmonter leur acrimonie réciproque et à passer outre à de vieilles haines maintes fois recuites ? Dans les Balkans, les tensions sont omniprésentes, et les gages de paix, souvent fragiles. Néanmoins, dans ce vaste pandémonium où s'affrontent des intérêts contradictoires, certaines lueurs d’espoir existent.

 

Vingt ans après la fin d’une guerre ayant fait plus de 13 000 morts et qui s’est soldée par le retrait des troupes serbes du Kosovo, puis le placement de ce dernier sous protectorat international en vertu de la résolution 1244 de l’ONU (votée le 10 juin 1999 par le Conseil de sécurité), Belgrade et Pristina semblent résolus à écrire un nouveau chapitre dans l’histoire plus que mouvementée de leurs relations.

 

Lundi 29 avril, à l’initiative de la France et de l’Allemagne, les deux parties, réunies à Berlin, ont accepté de reprendre leurs pourparlers, « en vue de parvenir à un accord global et définitif ». Le défi n'est pas mince, car, de part et d’autre, les crispations demeurent. A l’été 2018, l'idée avait été émise de procéder à « un échange de territoires » et à « des corrections frontalières », avant une reconnaissance mutuelle.

 

En effet, bien que le Kosovo ait proclamé unilatéralement son indépendance, le 17 février 2008 – laquelle a été reconnue par une centaine de capitales (dont Paris, Berlin et Washington), mais pas par Moscou et Pékin –, la Serbie continue de le considérer comme l’une de ses provinces et le berceau de ses ancêtres. Legs paradoxal de la « glorieuse défaite » de juin 1389 sur la lande de Kosovo Polje (dont le nom, en serbe, signifie « le champ des merles »), où une majorité de Serbes, flanqués d'Albanais, de Bulgares et de Valaques, avait été défaite par l'armée du sultan ottoman Mourad Ier.        

 

Las ! Le dialogue a rapidement tourné court, après que Belgrade se fut opposé à la candidature de Pristina à Interpol, l’organisation internationale de police criminelle fondée en 1923. En retour, le Kosovo a instauré, en novembre dernier, des droits de douane de 100 % sur les importations de produits serbes – une mesure radicale, mais qui a rencontré un grand succès auprès de la population, peu encline à toute forme de renoncement.

Au jeu sournois des représailles, aucun des deux camps n’est en reste. Question d’honneur, mais aussi et surtout de pouvoir. Le président serbe, Aleksandar Vucic, a appelé à la levée de ces taxes, ce que son alter ego kosovar, Hashim Thaçi a rejeté, soulignant que « le dialogue [devait] être inconditionnel ». Et de lancer, au passage, un coup de griffe sans équivoque à son homologue : « Ce que dit le président Vucic n’est pas si important. Le Kosovo est un Etat indépendant et souverain ».      

 

Derrière ce numéro de duellistes, où chacun est dans le rôle formel qui lui incombe, se joue une autre scène, plus feutrée : celle sur laquelle s’affrontent, à fleurets mouchetés, M. Thaçi et son propre premier ministre et rival Ramush Haradinaj. Le chef du gouvernement, ancien commandant de l’Armée de libération du Kosovo (UCK), est farouchement opposé à toute concession territoriale, perspective qu'il a comparée à « un raccourci vers la tragédie ».

 

Il sait pouvoir compter sur le soutien actif de ses concitoyens. Preuve en est, sur les murs de la capitale s'étalent des graffitis dénonçant les liens de M. Thaçi avec Vladimir Poutine, principal soutien de Belgrade. L'un d'eux affirme même : « Le Kosovo n’est pas la Crimée » – allusion transparente au fait que le territoire n'est pas voué à l’annexion comme ce fut le cas pour la péninsule criméenne, sur laquelle la Fédération de Russie a fait main basse, en mars 2014.

           

Arc-boutés sur leurs positions respectives, Kosovars et Serbes auraient pourtant tout intérêt à s’entendre. Un éventuel accord permettrait aux premiers de rejoindre l’ONU et d’autres organisations internationales dont ils sont pour l’heure exclus, comme l’Unesco. En novembre 2015, leur demande d’adhésion à cette institution avait recueilli 92 votes des Etats membres sur 142 exprimés. A un souffle seulement de la majorité des deux tiers (95 voix) nécessaire à sa ratification.

 

Les seconds, eux, verraient s’abaisser la barrière qui, encore aujourd’hui, les empêche de prétendre à l’intégration au sein de l’Union européenne. Cinq ans après l’ouverture des négociations avec Bruxelles, Belgrade n’a ouvert que seize des trente-cinq chapitres requis et en a provisoirement fermé deux (« Science et recherche » et « Education et culture »). La lenteur du processus tient aussi à de nombreuses questions liées à la politique étrangère, mais aussi à la politique de sécurité et à l'Etat de droit.

 

Depuis début décembre, le chef de l'Etat serbe, un ex-ultranationaliste converti au dogme proeuropéen, se trouve dans le viseur de l'opposition, qui l'accuse d’adopter une attitude de plus en plus autoritaire. La contestation a éclaté en réaction à la brutale agression dont a été victime Borko Stefanovic, dirigeant de la Gauche de Serbie, fin novembre.

           

L’an dernier, la Commission européenne elle-même s’inquiétait de certaines dérives. Elle insistait « sur le fait que les menaces, les violences et les intimidations à l’encontre des journalistes et des médias, y compris le harcèlement administratif et l’intimidation par voie judiciaire, [demeuraient] un sujet de préoccupation ».

 

De fait, 102 cas de pressions, d’agressions ou de menaces contre des journalistes ou des salariés d’entreprises de presse ont été recensés par l’Association indépendante des journalistes serbes (contre 33 en 2016). Celui de Milan Jovanovic, en particulier, a défrayé la chronique : spécialisé dans les affaires de corruption, il a dû fuir sa maison en flammes, détruite par un incendie criminel à la mi-décembre...      

 

Alors qu’une nouvelle réunion entre Aleksandar Vucic – qui fut ministre de l’information de 1998 à 2000 – et Hashim Thaçi est prévue le 1er ou le 2 juillet à Paris, toujours sous le patronage de la France et de l'Allemagne, les chances de voir émerger une solution de compromis paraissent minimes. D'autant que M. Thaçi, déplorant les faiblesses et les divisions d'une Union européenne qui, selon lui, « n'a pas un esprit de meneur », a déclaré, le 30 avril, que « personne ne [pouvait] progresser dans les Balkans occidentaux sans les Etats-Unis ».

 

Quant au ministre serbe (et prorusse) de la défense, Aleksandar Vulin, il s'est montré encore plus abrupt dans ses commentaires. « Nous sommes las de vous et de vos politiques, qui consistent à changer d'objectif en permanence et à imposer de nouvelles conditions », a-t-il lancé le 2 mai, à l'adresse des autorités de Bruxelles. Et d'ajouter : « Si l'UE ne veut pas de la Serbie, ce n'est pas le cas d'autres. » Sous-entendu : de Moscou. Une posture qui ne plaide pas en faveur de l'apaisement dans une région aux allures de poudrière.

 

 

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