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Noursoultan Nazarbaïev, l’inamovible satrape du Kazakhstan

 

30 avril 2015

 

Pour ce scrutin anticipé, nul suspense ni attente fiévreuse des résultats. Avant même que l'élection présidentielle se tînt au Kazakhstan, vaste pays d'Asie centrale de près de dix-huit millions d’habitants riche en ressources énergétiques (pétrole, gaz, uranium), la victoire était promise à Noursoultan Nazarbaïev. Ce dernier, d'ailleurs, se disait confiant dans le fait que ses compatriotes voteraient pour « la stabilité », sous-entendu : en sa faveur.

 

De fait, le chef de l'Etat sortant, au pouvoir sans discontinuer depuis 1990, a été reconduit dimanche 26 avril dans ses fonctions pour un cinquième mandat de cinq ans, avec un score « à la soviétique » : 97,7 % des suffrages exprimés pour une participation record de 95,22 %, selon les chiffres rendus publics par la Commission électorale centrale. L’ancien membre du Politburo de l’URSS peut savourer à loisir son triomphe, même si l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) a dénoncé a posteriori le manque de « choix réel » offert aux électeurs.  

 

Ses deux « rivaux », candidats transparents censés donner au vote un vernis démocratique, n'ont récolté que des miettes : 1,6 % pour Tourgoun Syzdykov, communiste bon teint parti en croisade contre les « valeurs occidentales décadentes », 0,7 % pour Abelgazy Koussaïnov, écologiste et président de la Fédération nationale des syndicats. Des faire-valoir d’autant plus inutiles que, dès 2007, Noursoultan Nazarbaïev s'était taillé une présidence à sa main en faisant supprimer, pour lui seul, l'amendement fixant la limite à deux mandats consécutifs.  

 

A l’origine, le scrutin devait avoir lieu en 2016, mais il a été avancé, sur demande du Nour-Otan [le parti présidentiel] à l’Assemblée du peuple, pour des raisons stratégiques. « L'objectif était de donner un maximum de pouvoir à Noursoultan Nazarbaïev afin d’accompagner son nouveau projet de réformes lancé à la fin de 2014, ‘Le Chemin du futur’, dont l’objectif est de faire du pays un modèle pour l’ensemble de la région », explique la géographe Isabella Damiani, spécialiste de l’Asie centrale (1).        

 

Cette réélection attendue est le fruit d’un système autoritaire vassalisant toute forme d'opposition et maintenant un contrôle strict sur les médias par le biais de la censure. Elle intervient dans un contexte délicat pour le Kazakhstan, pourtant le plus riche des cinq Etats d’Asie centrale. D’après la Banque mondiale, le PIB national est ainsi respectivement 4, 6, 27 et 32 fois supérieur à celui des républiques d’Ouzbékistan, du Turkménistan, du Tadjikistan et du Kirghizistan. 

 

Depuis plusieurs mois, cependant, Astana doit composer avec la baisse des cours de l'or noir et le ralentissement qui frappe la Russie (sous sanctions occidentales), avec laquelle, de surcroît, l'interpénétration économique est difficile. En effet, le marché kazakh pâtit du recul du rouble, qui rend les produits russes beaucoup plus attractifs – car moins onéreux – que les produits locaux.     

 

Conséquence : le taux de croissance prévu pour 2015 a été revu à la baisse par la Banque européenne pour la reconstruction et le développement dans ses estimations de janvier, passant de 5,1 % à 1,5 %. Par ailleurs, les rumeurs se font de plus en plus insistantes sur une nouvelle dévaluation du tenge, la devise nationale, après celle de février 2014 ( - 19 %).

 

A cela s'ajoute une crainte diffuse que Moscou cherche, comme en Ukraine, à semer les graines de la discorde en instrumentalisant à son profit la minorité russe, qui représente près d'un quart de la population. Une peur justifiée ? Mme Damiani n’y croit pas. « Le fait que le Kazakhstan fasse partie de l’Union économique eurasiatique chère à Vladimir Poutine et entrée en vigueur en janvier met Astana à l’abri d’un scénario à l’ukrainienne. Par ailleurs, il ne faut pas oublier que Noursoultan Nazarbaïev, contrairement à son homologue ouzbek Islam Karimov, par exemple, a largement favorisé l’intégration de cette minorité. Le russe est aussi, comme au Kirghizistan, la langue officielle [le kazakh, lui, est la langue d’Etat] », rappelle-t-elle. Pour le président, la seule ligne jaune est celle de la souveraineté nationale, qu’il est résolu à défendre à tout prix.       

 

A 74 ans, le « chef de la nation » (« Elbassy », en kazakh), titre que Noursoultan Nazarbaïev s'est fait attribuer en 2010, n'a pour l'heure aucun héritier désigné, ce qui alimente toutes les spéculations. « Les choses bougent en permanence de sorte qu'aucune figure ne se détache. Tout le monde essaie de se positionner, y compris au sein du clan familial qui contrôle tout – le pouvoir, les gisements pétroliers, les relations avec les partenaires internationaux... –, mais n’est pas exempt de luttes intestines », observe Isabella Damiani.   

 

Ce flou successoral est peut-être entretenu à dessein par le président pour mieux asseoir sa popularité qui, malgré tout, est réelle. Ses deux principaux atouts : avoir donné au Kazakhstan une visibilité accrue sur la scène internationale (le pays a obtenu la présidence tournante de l’OSCE en 2010 et accueillera l’exposition internationale de 2017 consacrée aux énergies du futur) et avoir promu une meilleure répartition de la richesse énergétique que ses voisins, en particulier le Turkménistan. Suffisant pour étouffer à terme toute velléité d’alternance ?             

 

Aymeric Janier           

 

* * *

(1) Dernier ouvrage paru : Géopolitique de l’Asie centrale, Collection Major, PUF, septembre 2013, 168 pages.

 

Le président kazakh, Noursoultan Nazarbaïev, salue ses partisans lors d'un rassemblement post-électoral, le 27 avril 2015, à Astana (Mukhtar Kholdorbekov/Reuters).

 

Repères

 

  • Superficie 2,7 millions de kilomètres carrés (soit presque cinq fois la France).

 

  • Population : 18 millions d’habitants.

 

  • Capitale : Astana (depuis décembre 1997, en remplacement d’Almaty, qui demeure toutefois un pôle économique et culturel de premier plan).

 

  • Monnaie : le tenge.

 

  • Fête nationale : le 16 décembre.

 

  • Communautés religieuses : musulmans sunnites (de rite hanafite) (70,2 %) et orthodoxes (26 %), auxquels s’ajoutent des minorités catholique et protestante.

 

 

 

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Le président kazakh, Noursoultan Nazarbaïev, salue ses partisans lors d'un rassemblement post-électoral, le 27 avril 2015, à Astana (Mukhtar Kholdorbekov/Reuters).

 

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