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Des manifestants de Maïdan, la place centrale de Kiev, portent le cercueil d'un de leurs amis, tué au cours d'affrontements avec la police antiémeute ukrainienne, le 1er mars 2014 (Bulent Kilic/AFP).

 

 

 

Un Kurde se tient devant un panache de fumée qui s'élève au-dessus de la ville syrienne de Kobané – également connue sous le nom d’Aïn Al-Arab – où les peshmergas affrontent l'Etat islamique, le 26 octobre 2014 (Bulent Kilic/AFP).

 

 

 

Des Vietnamiens en colère défilent dans le centre-ville de Hô Chi Minh-Ville (ex-Saïgon) en signe de protestation contre l'installation par Pékin d'une plate-forme de forage en eaux profondes baptisée Haiyang Shiyou 981, en mer de Chine méridionale, le 11 mai 2014 (Le Quang Nhat/AFP).

 

 

 

Des femmes se présentant comme des anti-balaka (milice majoritairement chrétienne opposée aux ex-Séléka principalement musulmans) posent avec des machettes à Bangui, la capitale centrafricaine, le 21 février 2014 (Fred Dufour/AFP).

 

 

 

A Ferguson, ville pauvre majoritairement noire du Missouri (centre des Etats-Unis), la rue s'embrase après la mort du jeune Afro-Américain Michael Brown, le 19 août 2014. Sur la pancarte, on peut lire : « Ne tirez pas, je ne suis qu'un jeune Noir en train de me promener » (Scott Olson/Getty Images/AFP).

 

 

Bilan géopolitique 2014 : un monde sous haute tension

 

19 décembre 2014

 

Du conflit ukrainien aux crispations récurrentes en mer de Chine, en passant par l’inquiétante montée en puissance de l’autoproclamé Etat islamique et la résurgence de la question raciale aux Etats-Unis, 2014 aura vu se multiplier les points de tension à travers le monde. Alors que 2015 approche, avec son cortège d'incertitudes et de questionnements, « Relations internationales : États critiques » vous propose de revenir sur certains des faits saillants de l’année écoulée. Revue de détail (non exhaustive).

 

EUROPE

 

L'Europe, un continent pacifié ? L'année 2014, dominée entre autres par la crise ukrainienne (toujours en cours), aura sans doute achevé de détourner les plus idéalistes de cette pensée chimérique. Petit rappel des faits : le 21 février, après trois mois de révolte populaire, le président Viktor Ianoukovitch, qui avait refusé de signer un accord d’association avec l’Union européenne, déserte Kiev sous la pression de la rue. Sa destitution, le lendemain, à la Rada suprême (le Parlement), par 328 voix sur 450, marque le retour sur scène de sa grande rivale, Ioulia Timochenko. L’ancienne égérie de la révolution orange de l’automne 2004, embastillée depuis 2010 sur oukase personnel de Viktor Ianoukovitch, est libérée. Sur Maïdan, la place centrale de la capitale ukrainienne devenue le cœur d’une révolution sanglante, elle prend la foule à témoin, acclamée par plus de 50 000 personnes. D’aucuns lui prédisent alors (enfin) un destin présidentiel. A tort, puisque les clés de l’Etat seront reprises en mai par... Petro Porochenko, un oligarque pragmatique et pro-européen rompu aux arcanes de la politique, mais sur lequel personne n’aurait misé une hryvnia [la devise ukrainienne] quelques mois plus tôt.

 

Entre-temps, la Russie, peu encline à l’attentisme face aux soubresauts qui agitent son « arrière-cour », est passée à l’action, faisant main basse à la hussarde sur la Crimée, où mouille la flotte de la mer Noire. Le 18 mars, Moscou entérine le rattachement de cette péninsule stratégique (ukrainienne depuis 1954), qui adopte le rouble dès le lendemain. Prises au piège de leurs propres atermoiements, les puissances occidentales laissent faire. Fin stratège, Vladimir Poutine profite de cette pusillanimité pour avancer ses pions et semer les graines de la discorde dans l’Est. Objectif : soustraire la zone d’influence prorusse à l’autorité du pouvoir central, quitte à provoquer une partition du pays. La manœuvre n’échoue qu’à moitié. De fait, deux républiques populaires autoproclamées émergent dans le Donbass, à Donetsk et Louhansk, en avril. Le conflit avec Kiev est inévitable. Au fil des mois, les combats s'amplifient, sur fond d’anathèmes. Plusieurs trêves ont été instaurées, sans jamais vraiment être respectées sur le terrain. Impavide, Vladimir Poutine aspire à restaurer le lustre perdu de son pays. Mais le bras de fer qu’il a engagé avec l’UE et, surtout, les Etats-Unis – devenus sa Némésis – pourrait, in fine, se retourner contre lui. D’autant que l’économie, nerf de la guerre, ploie sous l’effet conjugué des sanctions occidentales, de l’effondrement du rouble et de la baisse des cours du pétrole.

 

Malgré ses déboires et les lignes de fracture qui le parcourent d’Est en Ouest et du Nord (plutôt fourmi) au Sud (plutôt cigale), le Vieux Continent n’a rien perdu de son pouvoir d’attractivité aux yeux des réfugiés et des demandeurs d’asile. Depuis janvier, ils ont été au moins 207 000, Syriens et Erythréens pour la plupart, à essayer de franchir la Méditerranée pour rejoindre l'Europe, contre 70 000 en 2011 – année des « printemps arabes ». Si certains ont miraculeusement franchi les écueils de la traversée, d'autres n'ont pas eu cette chance. Ainsi, plus de 3 149 d’entre eux ont péri en tentant de toucher du doigt le rêve européen. Un chiffre bien supérieur aux drames de l’immigration observés ailleurs – dans le golfe du Bengale (environ 540 morts) et au large de la Corne de l’Afrique (plus de 240 victimes) – qui n’a pas pour autant suscité de choc de conscience, sauf chez le pape François. De l’aveu même de l’ONU, l’UE a brillé par son « indifférence ». « De Mare Nostrum » à « Triton », le nom du dispositif de surveillance aux frontières a peut-être changé, mais le fond du problème – l’accueil et l'intégration subséquente des migrants – demeure sciemment mis sous le boisseau.                      

MOYEN-ORIENT

 

Vaste pandémonium habitué au chaos et aux crises à répétition, le Moyen-Orient aura vu émerger cette année un nouvel acteur redoutable du terrorisme international : l’Etat islamique (EI, ex-Etat islamique en Irak et au Levant). Né sur le terreau de la guerre en Syrie, ce mouvement djihadiste sunnite a connu, à partir du mois de juin, une progression fulgurante. En quatre jours seulement, il a réussi, presque sans coup férir, à s’emparer de Mossoul, la deuxième ville d’Irak, avant d'étendre insidieusement ses tentacules dans l’ouest et le nord du pays. Contraints de se convertir ou de mourir, les chrétiens d’Orient, l’une des plus anciennes communautés de Mésopotamie, ont souffert maints tourments. Un calvaire également partagé par les yézidis, une minorité kurdophone dont les ramifications s’étendent en Syrie, en Turquie, en Arménie et en Géorgie.

 

Face au rouleau compresseur de l’EI, les Kurdes ont offert – et continuent d'offrir – une résistance acharnée. Kobané, à la frontière turco-syrienne, est devenue le symbole de leur lutte ; un abcès de fixation symbolique dans la guerre entre la lumière de la civilisation et les ténèbres de la barbarie. Le combat risque fort de se prolonger pendant plusieurs années, et bien au-delà de cette « Stalingrad moyen-orientale ». Car le pouvoir de nuisance de l’organisation dirigée par Abou Bakr Al-Baghdadi, un djihadiste irakien d’une quarantaine d’années, est considérable. Riche, puissant et parfaitement à l’aise avec les outils de communication modernes, l’EI reléguerait presque Al-Qaïda au rang « d’aimable antiquité », y compris en matière de cruauté. Les rescapés de Rakka, son fief syrien, ont ainsi tous décrit des scènes d’horreur où se mêlent décapitations et crucifixions sur la place publique...

 

Conscient de la menace que représente ce mouvement attrape-tout, dont les membres fanatisés sont issus des cinq continents, l’Occident s’est résolu à intervenir par la force, sous l’impulsion des Etats-Unis. Une coalition d’une vingtaine de pays a ainsi été créée pour éradiquer les suppôts de l’EI. Même les très pieuses monarchies du Golfe, imprégnées de sunnisme, ont pris le parti de resserrer les rangs. Une manière de se préserver, tout en formant un front uni face... à l’Iran.

 

L’Iran, précisément, représente un autre pôle d’instabilité et d’incertitude. En souffrance depuis plus de dix ans, le dossier nucléaire n'a connu aucune avancée notable, en dépit des espoirs nés de l'accord intérimaire de Genève, signé en novembre 2013. Le rendez-vous de Vienne, le mois dernier, s'est soldé par un échec. Les tractations entre Téhéran et le groupe dit des « 5+1 » – les cinq pays membres permanents du Conseil de sécurité l'ONU (Etats-Unis, Russie, Chine, France, Royaume-Uni) auxquels s'ajoute l'Allemagne – achoppent toujours sur deux points cruciaux : le nombre de centrifugeuses et le niveau d'enrichissement d'uranium. La nouvelle date butoir pour parvenir à une solution négociée a été repoussée au 30 juin 2015. Mais cette énième prolongation ne laisse pas entrevoir une issue favorable. Le déverrouillage du statu quo pourrait venir de l'ayatollah Ali Khamenei, le véritable maître de l'Iran. Reste à savoir si le Guide suprême est disposé à briser ses propres entraves idéologiques et à pactiser avec le « Grand Satan » américain. Rien, à ce stade, ne donne à penser qu'il va s'engager dans cette voie. D'autant que, placés en embuscade derrière lui, les puissants Gardiens de la révolution veillent farouchement au maintien de l'ordre établi en 1979.        

 

Un immobilisme mortifère prévaut aussi dans le cadre du conflit israélo-palestinien. Le secrétaire d'Etat américain, John Kerry, n'a pas davantage réussi à arracher des concessions aux belligérants que ses prédécesseurs. L’opération « Bordure protectrice », lancée par l’Etat hébreu le 8 juillet pour détruire les infrastructures du mouvement islamiste Hamas dans la bande de Gaza, en a apporté une nouvelle preuve. Parallèlement, l’accélération de la colonisation en Cisjordanie n’a guère contribué à rasséréner l’atmosphère. Dans ce contexte abrasif, l’hypothèse d’une troisième intifada (guerre des pierres), comme en 1987 et 2000, n'est pas à exclure. En affichant sa volonté de durcir la judéité de l’Etat, vieille antienne des ultraorthodoxes, le premier ministre, Benyamin Nétanyahou, a lui-même ouvert la voie à un tel scénario. Ce calcul électoraliste à courte vue lui assurera-t-il un nouveau triomphe lors des élections législatives anticipées du 17 mars ? Pas sûr.

 

Si « Bibi » est dépendant du jeu des partis, le maréchal Abdel Fattah Al-Sissi, lui, n’est tenu par aucune contingence politique. Depuis qu’il a été élu président de l’Egypte en juin, avec 96,9 % des suffrages exprimés (score relativisé par le fait que plus d’un électeur sur deux s’est abstenu), il règne en majesté sur le pays, avec le soutien de l’armée, s’appliquant à faire table rase de « l’ère Morsi ». Conséquence de son exécration des Frères musulmans, la plupart des fidèles de l’ancien chef de l’Etat islamiste ont été condamnés à mort, au terme de procès aussi superficiels qu’expéditifs. Dans le même temps, le « système Moubarak » a été en partie blanchi par la justice. Preuve que la révolution de janvier-février 2011 a été enterrée, et avec elle l’espoir de voir les militaires répondre de leurs actes. Sur les bords du Nil, le culte de la personnalité est de retour, plus vivace que jamais. Et malheur à ceux, médias et ONG, qui osent braver l’autorité de « Sissi imperator » ! (*)         

 

ASIE-PACIFIQUE          

                                 

Forte de son nouveau statut de première puissance économique mondiale devant les Etats-Unis, la Chine ne craint plus d'afficher ses ambitions, au risque de provoquer le malaise, voire l'ire de ses voisins. Le pouvoir chinois a beau s’évertuer à récuser toute velléité irrédentiste, les Philippines, le Vietnam et le Japon – pour ne citer qu’eux – doutent du caractère pacifique de ses intentions. Une inquiétude loin d’être infondée, si l’on en juge par la poussée continue exercée par Pékin en mer de Chine méridionale. Dans cette zone de 3 500 000 kilomètres carrés hautement stratégique, car vitale pour le commerce international, la Chine, excipant de « droits historiques » de souveraineté, multiplie les projets de développement. Ce qui crée des remous diplomatiques avec les pays riverains. Ainsi, en mai, l’installation d’une plate-forme de forage aux abords de l’archipel disputé des Paracels a provoqué un incident avec les garde-côtes vietnamiens et, partant, la colère de la population.

 

Plus au Nord, la mer de Chine orientale est également le théâtre d’un âpre différend territorial à propos des Senkaku, une poignée d’îlots inhabités administrés par le Japon (mais revendiqués par Pékin sous le nom de Diaoyu), dont les eaux seraient particulièrement riches en ressources halieutiques et, surtout, en hydrocarbures. Depuis deux ans, accrochages et provocations y sont monnaie courante, avec le risque de conflagration que de tels agissements supputent. Pourtant, jusqu’à présent, Tokyo se refusait à admettre officiellement la réalité de ce contentieux. La première rencontre entre Xi Jinping et Shinzo Abe, le premier ministre conservateur japonais, en marge du sommet de la coopération Asie-Pacifique (APEC), le 10 novembre, a au moins permis d’avancer sur ce point. Chacune des parties a en effet reconnu « des points de vue divergents ». Est-ce à dire que les deux géants asiatiques se trouvent à l’aube d’un nouveau départ ? Possible, mais ce premier pas (timoré) reste à confirmer. Récemment reconduit dans ses fonctions, avec une confortable majorité, à l’issue d’élections législatives anticipées qu'il avait lui-même convoquées, Shinzo Abe a désormais les coudées franches pour entériner le principe d’autodéfense collective et, ce faisant, prendre ses distances avec la doctrine pacifiste post-1945 ancrée dans la Constitution de 1947. Pas de quoi, sans doute, inciter le « dragon chinois » à réfréner ses ardeurs expansionnistes... 

 

Mise à l’épreuve à l'extérieur, la Chine l’a également été sur le plan intérieur. Lasse de subir un énième diktat des hiérarques de Pékin, Hongkong l'insoumise est entrée en rébellion début septembre. L’objet du scandale ? La volonté du pouvoir central de cadenasser à double tour l’élection du futur chef de l’exécutif local, prévue en 2017. Celui-ci sera tenu « d’aimer la Chine et Hongkong », ce qui, entre les lignes, exclut tout candidat susceptible de contrevenir, de près ou de loin, à l'orthodoxie du Parti communiste. Même si la « révolte (pacifique) des parapluies » s’est éteinte au bout de trois mois par essoufflement, l'ancienne colonie britannique devenue région administrative spéciale aura prouvé qu’elle n’était pas prête à embrasser silencieusement « l'idéal monolithique » prôné par les mandarins du PCC.      

 

Plus à l’Ouest, l’Inde et le Pakistan ont tenté de combler le fossé historique qui les sépare. Mais il est difficile de barrer d’un trait de plume soixante ans de haines recuites, à l’origine de trois guerres (1947-48, 1965, 1971). L’esquisse de dialogue amorcée en mai par le nouveau premier ministre indien, Narendra Modi, issue de la droite nationaliste hindoue, a rapidement tourné court. Une incompréhension mutuelle entretenue par l'affrontement larvé que se livrent les deux frères ennemis du sud asiatique à propos du Cachemire, nœud gordien jamais réellement tranché. Autre obstacle à une paix durable et sincère : le péril taliban. Celui-ci demeure élevé au Pakistan – comme l’a prouvé l’attaque contre une école de Peshawar le 16 décembre (plus de 130 morts) –, mais aussi en Afghanistan. Dans ce pays, le départ des troupes de l’OTAN, après treize années de guerre, laisse dubitatif : les autorités de Kaboul vont-elles être en mesure de prendre la relève ?    

 

AFRIQUE          

 

Face aux djihadistes, la communauté internationale, et tout particulièrement la France, mène une offensive sur plusieurs fronts. Engagée dans les airs contre l’EI au Moyen-Orient, l’armée française l’est aussi au sol, en Afrique. En août, l’opération Barkhane a ainsi pris le relais de « Serval » (lancée en janvier 2013 au Mali), avec le même objectif : faire pièce aux terroristes islamistes du Sahel. Une vaste galaxie de groupes disséminés sur une zone immense et au sein de laquelle gravitent entre autres Ansar Dine, Al-Mourabitoune – né de la fusion, en août 2013, du Mouvement pour l’unicité et le djihad en Afrique de l’Ouest (Mujao) et des Signataires par le sang – et AQMI, la « filiale » d’Al-Qaïda au « Maghreb islamique », qui a détenu pendant trois ans Serge Lazarevic, finalement libéré le 9 décembre.

 

Parallèlement, Paris poursuit sa mission à haut risque en République centrafricaine, même si les effectifs qui lui sont dévolus devraient décroître. En 2015, l’opération « Sangaris » comptera ainsi moins de 600 hommes, contre 1 900 actuellement. Sur le terrain, les affrontements interconfessionnels entre chrétiens et musulmans ont cessé, preuve que les pourparlers de Brazzaville menés en juillet sous le patronage du président congolais Denis Sassou Nguesso ont porté leurs fruits. Mais ce calme apparent, qu’un incident isolé pourrait rompre, a tout d’un trompe-l'œil. De fait, le pays se trouve désormais coupé en deux : l’Ouest vit sous la coupe des milices anti-balaka, majoritairement chrétiennes, l’Est, sous la férule de l’ex-Séléka (rébellion principalement musulmane venue... du Nord).

 

Le règne de l’insécurité s’étend aussi au-delà. Outre les Chabab en Somalie et au Kenya, et AQPA (Al-Qaïda dans la péninsule Arabique) au Yémen, Boko Haram fait trembler le nord-est du Nigeria, devenu la première puissance économique du continent devant l’Afrique du Sud de Jacob Zuma. Le mouvement islamiste dirigé par Aboubakar Shekau s’est notamment illustré d’une sinistre manière en enlevant à la mi-avril 276 adolescentes dans le dortoir de leur lycée de Chibok. A ce jour, 219 d’entre elles demeurent captives. Et le président Goodluck Jonathan, un chrétien originaire du Sud, en fonction depuis 2010, paraît privilégier l'attentisme à l'action. Pour mieux se concentrer sur sa réélection en février 2015 ?

 

Les intrigues politiques, lorsqu’elles échouent, peuvent avoir des conséquences immédiates et sévères. Blaise Compaoré en sait quelque chose, qui a été chassé de la présidence du Burkina Faso par la rue le 31 octobre, après vingt-sept ans d’un règne sans partage, parce qu’il voulait réviser la Constitution à son avantage. Rien de tel en revanche pour Robert Mugabe au Zimbabwe qui, toujours fermement accroché au pouvoir malgré ses 90 printemps (record d'Afrique), n'exclut pas de se représenter... en 2018. D’ici là, l’année 2015 offrira quelques rendez-vous électoraux, qu'il sera intéressant d'observer, notamment en Zambie (janvier), au Soudan (avril), au Burundi (juin-juillet) et en Guinée (novembre). Comment ne pas évoquer également le Soudan du Sud, ce pays né au forceps en juillet 2011 et qui, depuis un an, s'enfonce dans la famine et la guerre civile, sur fond de rivalités interethniques entre Dinka et Nuer ?

 

La lueur d'espoir du continent viendra peut-être de la Tunisie. Mais le chaos menace à ses frontières : à l'Ouest, en Algérie, les trafics de toutes sortes prospèrent au point de devenir incontrôlables, tandis qu'à l'Est, la Libye post-Kadhafi est plongée dans les affres d'une lutte fratricide entre milices rivales.    

AMÉRIQUES     

 

Les Etats-Unis croyaient en avoir fini avec l’antagonisme atavique entre Blancs et Noirs. Doux leurre. La mort début août à Ferguson (Missouri), dans des circonstances troubles, de Michael Brown, un jeune Afro-Américain de dix-huit ans, tué par Darren Wilson, un policier blanc, a suffi pour mettre le feu aux poudres et replonger le pays de l’Oncle Sam cinquante ans en arrière, lorsque Martin Luther King formait le vœu d’une société plus égalitaire. Le rêve énoncé en 1963 par le pasteur baptiste à Washington, sur les bords du Potomac, s’est, semble-t-il, dissous dans l’air du temps. A Cleveland (Ohio) et à New York, d’autres « bavures » ayant entraîné la mort de jeunes Afro-Américains ont suscité de virulentes réactions contre les violences policières, transcendant les divergences communautaires. Dans « l’affaire Brown », le non-lieu accordé à Darren Wilson par un grand jury a encore ajouté au malaise ambiant, en jetant la suspicion sur la prétendue partialité de la justice.

 

L'autre point de friction concerne l'immigration clandestine, thématique devenue brûlante avec l'afflux croissant de jeunes fuyant l'Amérique centrale et l'ultraviolence de ses gangs (les maras). Malgré la sévère défaite de son camp (démocrate) aux élections de mi-mandat du 4 novembre – le Sénat a basculé du côté républicain –, le président Barack Obama a annoncé un projet de régularisation massive d'étrangers en situation irrégulière. Cela pourrait potentiellement concerner jusqu'à cinq millions de personnes. Une perspective qui fait frémir le « Grand Old Party », lequel a promis de torpiller par tous les moyens son initiative. Si le locataire de la Maison Blanche a subi à l'automne une séquence politique défavorable (rappel de sa promesse non tenue de fermeture de Guantanamo, rapport fustigeant les méthodes de torture utilisées par la CIA après le 11-Septembre), il peut au moins se targuer d'avoir obtenu, le 17 décembre, un succès spectaculaire sur le plan diplomatique : le rétablissement des relations diplomatiques avec Cuba.

 

Cette percée historique, obtenue grâce à l’entregent discret mais efficace du Vatican et du Canada, marque l’épilogue d’un demi-siècle de guerre froide et de défiances réciproques. Elle s’explique aussi sans doute, côté cubain, par le constat raisonné du régime castriste qu'il n'est point de salut sans assise économique. Or, celle du Venezuela, son principal bailleur de fonds sur le continent, n'a cessé de se détériorer du fait des errements de la politique de contrôle des devises mise en place par le président Nicolas Maduro. La grande question, désormais, est de savoir si l’embargo imposé unilatéralement contre l’île communiste par John Fitzgerald Kennedy en 1962 va être levé avant que Barack Obama achève son second mandat. Celui-ci, bien sûr, le souhaite ardemment, mais le Congrès a le dernier mot en la matière...

 

Les lignes bougent aussi, de manière patente, en Colombie. Après une période où les pourparlers de paix entre le pouvoir et les FARC ont progressé à pas mesurés, la guérilla marxiste vient d’annoncer un cessez-le-feu unilatéral, sans limitation de durée, « tant que les forces militaires ne [les] attaque[ro]nt pas ». Une sorte de pacte de non-agression qui couronne les efforts menés par le président Juan Manuel Santos (réélu avec 50,9 % des voix à la mi-juin), le « faucon » transfiguré en « colombe ». Et si 2015 marquait le terme d’un conflit né il y a soixante ans et qui a fait plus de 220 000 morts ? Il n’est pas interdit d’y croire...               

 

Aymeric Janier

 

(*) Au pouvoir en Turquie depuis 2002, d’abord comme premier ministre, puis, depuis cet été, comme président, Recep Tayyip Erdogan n’a rien à envier à son homologue égyptien. Soucieux de ne pas laisser le champ libre à une opposition trop véhémente, lui aussi ne se prive pas de jeter en prison ses principaux détracteurs...

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