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Le président de Djibouti, Ismaïl Omar Guelleh, arrive au 4e sommet UE-Afrique, à Bruxelles, le 2 avril 2014 (Thierry Charlier/ AFP).

 

Repères

 

  • Superficie  23 200 km².

 

  • Population : 876 000 habitants.

 

  • Capitale : Djibouti.

 

  • Monnaie : le franc de Djibouti.

 

  • Fête nationale : le 27 juin (en référence à l’indépendance du 27 juin 1977).

 

  • Communautés religieuses : musulmans (96 %)

 

 

 

Ismaël Omar Guelleh : répression et prédation au pouvoir à Djibouti

 

12 avril 2016

 

Lui non plus ne brille pas par sa capacité à honorer ses promesses. A l’instar de Pierre Nkurunziza au Burundi, de Paul Kagamé au Rwanda ou de Denis Sassou-Nguesso au Congo, Ismaël Omar Guelleh n’a pas résisté aux sirupeuses sirènes d’une prolongation de son bail présidentiel à la tête de Djibouti, qu’il dirige d’une main de fer depuis mai 1999.

 

Alors qu’il avait assuré qu’il ne se représenterait plus, « IOG », 68 ans, a finalement brigué vendredi 8 avril un quatrième mandat de cinq ans, remporté sans surprise le jour même avec près de 87 % des suffrages face à une opposition émiettée, qui a aussitôt dénoncé un « hold-up électoral ». A la fin du mois de mars, dans un entretien à l’hebdomadaire Jeune Afrique, il avait tenté de se justifier, arguant de la « pression constante des Djiboutiens » qui, à l’en croire, lui « [interdisaient] de partir ».

 

Sa victoire, certes prévisible, s'est faite au prix d'un verrouillage étroit de l'appareil politique et de méthodes largement répréhensibles. En amont du vote, d'aucuns évoquaient déjà des fraudes et l'utilisation de la violence comme arme de dissuasion vis-à-vis des détracteurs du régime. Accusée de soutien à l'opposition parce qu’elle s'était entretenue avec l'un de ses représentants, l’équipe de reportage de la BBC a ainsi été expulsée sans ménagement du territoire.

 

Il y a peu, dans une lettre ouverte, quatorze spécialistes internationaux des droits de l’homme brossaient un tableau particulièrement sombre de la situation dans ce petit pays de 876 000 âmes de la Corne de l’Afrique : « La torture est monnaie courante et les exécutions extrajudiciaires, l’exil ou les disparitions forcées représentent le sort qui attend celui qui ose se dresser contre l’Etat », écrivaient-ils, rappelant que Djibouti est membre de la Cour pénale internationale depuis sa ratification du Statut de Rome, en novembre 2002.

 

« Depuis des années, l’OMCT (l’Organisation mondiale contre la torture) dénonce l’usage systématique de la torture. Quant aux disparitions, c’est aussi une réalité. De nombreuses familles sont touchées, mais personne n’ose en parler, car ceux qui le font deviennent à leur tour des cibles. Plus généralement, tout regard critique est réprimé », corrobore Dimitri Verdonck, spécialiste de Djibouti et président de l'Association Cultures & Progrès, partenaire de la Fédération internationale des ligues des droits de l’homme (FIDH).

 

« Au cours des trois dernières années, le porte-parole de l’USN (Union pour le salut national, opposition), Daher Ahmed Farah, a été perquisitionné un nombre incalculable de fois », précise-t-il, ajoutant « qu'en matière de droit à l’éducation, à la santé et au logement, la situation est également déplorable ».

 

Hormis quelques critiques occasionnelles et policées, la communauté internationale, pourtant, se garde de toute admonestation directe. Un silence relatif lié à l’importance géopolitique que revêt le micro-Etat. En effet, Djibouti, à la jonction de la mer Rouge et du golfe d'Aden, incarne aux yeux des Occidentaux un pôle de stabilité dans une région troublée, percluse de menaces (islamistes Chabab en Somalie, Al-Qaïda dans la péninsule Arabique au Yémen, piraterie maritime...).

 

Sa position stratégique incontournable suscite moult convoitises. En tant qu’ancienne puissance coloniale jusqu’à l’indépendance de 1977, la France y a établi une base militaire (1 750 hommes à l’été 2015). Elle n’est pas la seule. Le Japon s’y est implanté (en 2011), tout comme les Etats-Unis, ces derniers entretenant sur place une garnison – Camp Lemonnier – de plus de 4 000 soldats, la plus grande base américaine du continent. C’est de là que décollent les drones américains qui vont bombarder les djihadistes de la région.

 

La Chine elle-même est sur le point de rejoindre ce cercle. D'ici à la fin de 2017, elle disposera de sa propre base militaire permanente, à Obock. Les travaux ont déjà commencé. Une manière pour Pékin de s'affirmer comme puissance maritime internationale, tout en lui offrant un accès précieux aux marchés africains.

 

Djibouti deviendra ainsi une étape obligée de la « nouvelle route de la soie » censée relier la Chine à l'Afrique, en passant par le golfe Arabo-Persique. De quoi nourrir les échanges bilatéraux, qui s'élèvent à plus de 200 milliards de dollars par an, mais sont actuellement fragilisés par le ralentissement de la deuxième économie mondiale.

 

Cynique, Ismaël Omar Guelleh joue de la concurrence aiguë entre puissances. « Il y voit non seulement un intérêt financier, car c’est un homme avide de pouvoir et d’argent, mais aussi une façon de se protéger si d’aventure les Américains lui posaient problème », analyse M. Verdonck. « Cela explique qu’il négocie tout au prix fort, comme les droits d'accostage. »

 

Si la politique de grands travaux (ports, chemins de fer, oléoducs, gazoducs) menée par « IOG » permet de tirer vers le haut la croissance de son pays (+ 6 % en 2014, selon la Banque mondiale), la population n’en récolte pas les fruits. De fait, toujours d’après la Banque mondiale, plus de 23 % des habitants vivent dans une situation de pauvreté extrême. En 2013, l’espérance de vie à la naissance ne dépassait pas 62 ans.

 

En réalité, seuls le chef de l’Etat et sa camarilla tirent profit de cette manne. Celle-ci inclut son épouse Kadra Mahamoud Haïd, figure influente, mais aussi les membres de sa famille élargie, qui, pour la plupart, occupent des postes gouvernementaux de premier plan, d'où des accusations récurrentes de népotisme.

 

« Cela fonctionne exactement sur le même modèle que le couple Ben Ali-Trabelsi [l’ex-couple présidentiel tunisien, chassé par la révolution de 2011], dont Ismaël Omar Guelleh et sa femme sont d’ailleurs très proches. Ce sont les cousin(e)s, les enfants, les beaux-enfants qui captent toutes les richesses produites. Rien n'échappe au clan, y compris dans le commerce parallèle, avec le trafic et la vente d'armes. C’est de notoriété publique », souligne Dimitri Verdonck.

 

Cette mainmise transparaît à tous les niveaux : économie, sécurité, médias... En 2015, dans le classement mondial de la liberté de la presse établi par Reporters sans frontières, Djibouti, qui n’a connu que deux présidents en trente-neuf ans – Hassan Gouled Aptidon (1977-1999) et son neveu « IOG » –, occupait ainsi la 170e place sur 180. Derrière l'Arabie saoudite (164e) et le Yémen (168e)...

 

Aymeric Janier

 

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