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Grèce : crise et défiance politique, les moteurs d'Aube dorée

27 septembre 2013

Encalminée dans une crise économique sévère qui dure depuis cinq ans, la Grèce vit sous tension, sujette à des accès de fièvre récurrents. Ainsi, le meurtre de Pavlos Fyssas, artiste antifasciste de 34 ans poignardé par un militant néonazi dans la nuit du mardi 17 au mercredi 18 septembre, a entraîné des manifestations parfois émaillées de débordements dans différentes villes du pays, à Athènes, Salonique (nord) et Patras (ouest).

 

Dans un pays miné par le chômage (27,1 %), ce fait divers a relancé le débat sur l’inexorable montée en puissance d'Aube Dorée, entré pour la première fois au Parlement en juin 2012. Chercheur à la Fondation hellénique pour la politique européenne et étrangère (Eliamep), à Athènes, George Tzogopoulos revient sur la genèse de ce parti d’extrême droite et décrypte son influence sur le paysage politique grec.

 

>> Quand a été créé le parti Aube dorée ?

 

George Tzogopoulos : Les origines d’Aube dorée (Chryssi Avghi) remontent aux années 1980 [sa reconnaissance officielle date de 1993]. Le parti a été fondé par Nikólaos Michaloliákos, dont le discours, aujourd’hui, est à la fois profondément nationaliste et anti-européen, même si sa position en ce qui concerne la monnaie unique est assez confuse. Il y a quelques années encore, il était très marginal et ne représentait qu'une frange insignifiante de la population. Aux élections législatives de 2009, il n’était crédité que de 0,2 % des voix. Mais, en l’espace de trois ans, son audience a fortement augmenté. Lors des scrutins de mai et juin 2012, il a ainsi remporté 6,9 % des voix et fait son entrée au Parlement, où il détient actuellement 18 des 300 sièges.

 

Le fort différentiel observé entre 2009 et 2012 pousse à s’interroger sur les causes de cette montée en puissance. Beaucoup imputent cette tendance haussière à une mentalité fasciste qui serait prétendument ancrée chez de nombreux Grecs, mais cela ne correspond pas à la réalité. De mon point de vue, elle reflète surtout un mouvement de colère, de contestation vis-à-vis de la classe politique, et notamment envers ceux qui ont conduit le pays à la crise.

 

>> Autour de quels thèmes le discours d’Aube dorée s'articule-t-il ?

 

Tout d'abord, permettez-moi de rappeler – parce que ce point est rarement souligné – qu’il existe une différence sensible entre le programme politique suivi par le parti et ceux qui votent pour lui. Si les hiérarques d’Aube dorée et leurs représentants au Parlement adhèrent à une logique fasciste, ce n’est pas le cas de nombreux citoyens, davantage enclins à dénoncer les mesures d’austérité dont ils sont victimes en raison de la situation économique dégradée du pays.

 

Dans son discours, le parti se réfère souvent aux deux mêmes thèmes : la crise – laquelle a entraîné un fort rejet du « diktat allemand » – et l'immigration. Sur ce dernier point, le credo d’Aube dorée est finalement assez simple à résumer : « La Grèce aux Grecs ». Le parti considère que l’immigration joue un rôle négatif. Ses dirigeants ne voient pas pourquoi les migrants auraient des droits, alors que les citoyens grecs souffrent et ne trouvent pas d’emploi.

 

Le problème est également lié au fait que la plupart des immigrants vivant en Grèce sont sans-papiers. Après la chute du Mur de Berlin, dans les années 1990, ceux-ci venaient principalement d’Albanie et d’autres Républiques de l’ex-Yougoslavie. Désormais, ils sont issus d’Afghanistan, du Pakistan, mais aussi d’Afrique du Nord (Libye, Egypte). La guerre d’Irak, en 2003, a joué un rôle déterminant en termes de flux migratoires.

 

>> Quelle est la stratégie d’Aube dorée sur le terrain ?

 

Les membres du parti sont très actifs sur le terrain. Ils distribuent de la nourriture aux plus démunis (à condition qu’ils soient grecs) et n’hésitent pas à chasser les immigrants des rues. Ils s’efforcent également de protéger les personnes âgées, plus vulnérables. Par exemple, ils les accompagnent lorsqu’elles doivent retirer de l’argent au distributeur, surtout dans les lieux où la criminalité est forte. D'une certaine manière, ils s’attribuent le rôle de « policiers » chargés d’assurer la sécurité des personnes.

 

>> Le parti a-t-il ses propres milices ?

 

La police enquête actuellement pour le déterminer. Selon les médias, il disposerait effectivement de structures paramilitaires. Aube dorée, de son côté, s'en défend...

 

>> Récemment encore, Aube dorée représentait jusqu’à 12-13 % de l’électorat. Quel est le ressort de cette popularité ?

 

Aube dorée a même flirté avec la barre des 15 % à certains moments ; une popularité liée à l'image du parti, considéré comme utile au Parlement pour contrôler l’action de l’exécutif. Cependant, après le meurtre de la semaine dernière [pour lequel il nie avec force toute responsabilité], sa réputation a été fortement écornée. En début de semaine, ce pourcentage est tombé à 8,7 %. Beaucoup pensent que les choses sont allées trop loin.

 

>> Quel est le profil des électeurs d'Aube dorée ?

 

La plupart d’entre eux se situent assez logiquement sur la partie droite de l'échiquier politique. Ils viennent pour la plupart de Nouvelle Démocratie [formation fondée en 1974 par Konstantinos Karamanlis], le parti actuellement au pouvoir, mais aussi – quoique dans une bien moindre mesure – de la gauche. Autre fait notable, ils sont essentiellement jeunes et ont entre 18 et 30-35 ans. Cet attrait peut s’expliquer de deux manières : Aube dorée n'hésite pas à faire de la propagande jusque dans les écoles et cette catégorie de population est fortement touchée par le chômage, à plus de 60 %. Enfin, on remarque que les personnes ayant un faible niveau d’éducation et de revenus tendent à apporter leur soutien au parti.

 

>> Le premier ministre grec, Antonis Samaras, a fait part de son intention d'agir avec fermeté contre Aube Dorée. Peut-il aller jusqu'à interdire le parti ?

 

D’après les juristes, cette hypothèse n’est pas envisageable en tant que telle car la Constitution grecque l'interdit. Par conséquent, le gouvernement essaie plutôt de procéder de manière indirecte, en apportant la preuve que certains des membres du parti ont été ou sont impliqués dans des activités illégales. Cette stratégie vise à l’ostraciser, tout en adressant un message subliminal aux électeurs : « Ne votez pas pour des criminels ». Personnellement, je pense que la solution est à chercher ailleurs. Nous devons nous attaquer en priorité aux racines du problème, c’est-à-dire au chômage et à la détérioration du tissu social provoquée par la crise. Tant que nous repousserons cette échéance capitale, les citoyens réagiront de manière exacerbée et le parti Aube dorée aura de beaux jours devant lui.

 

Propos recueillis par Aymeric Janier ​

 

Pour aller plus loin : lire l’article de G. Tzogopoulos dans le Global Times : « Grim times mean bonanza for Greek's far right as Golden Dawn shines ».

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