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Des manifestants brandissent une photo de la jeune Indienne Savita Halappanavar, morte en octobre 2012 après que les médecins lui eurent refusé une IVG, devant Leinster House (siège du Parlement irlandais, à Dublin), le 14 novembre 2012. Sur l'affiche de droite, on peut lire : « Plus d'incertitude. Légiférez maintenant ! »  (Peter Muhly/AFP).

 

 

 L'avortement en Irlande (en quelques dates)

 

  • 1861 : l'Offences Against the Person Act (loi sur les infractions contre les personnes) criminalise les femmes qui « s’avortent elles-mêmes » ainsi que le fait de les assister dans cette tâche. Dans les deux cas, la sanction encourue est l'emprisonnement à vie.

 

  • 7 septembre 1983 : le huitième amendement à la Constitution (sur le droit à la vie du fœtus) est accepté par référendum national au terme d'une campagne âprement disputée et entre en vigueur un mois plus tard. La participation au vote n’est que de 53,7 %.

 

  • 1995 : le Regulation of Information Act est adopté. Il autorise, sous certaines conditions, les médecins, organismes consultatifs et conseillers individuels à fournir aux femmes qui en font la demande des informations sur les services d'avortement à l'étranger.

 

  • 6 mars 2002 : les électeurs rejettent à courte majorité (50,42 % contre 49,58 %) le vingt-cinquième amendement à la Constitution, à savoir le projet de loi sur la protection de la vie humaine au cours de la grossesse (Protection of Human Life in Pregnancy Act), qui visait à ne plus considérer le risque de suicide comme justification du recours à une IVG.

 

  • 30 juillet 2013 : le président Michael D. Higgins promulgue le projet de loi adopté au Parlement le 12 juillet par 127 voix contre 31 et autorisant l’avortement en cas de danger vital pour la mère (Protection of Life During Pregnancy Act). Celui-ci entre en vigueur le 1er janvier 2014. 

 

 

 

En Irlande, le douloureux débat sur l'avortement ravivé

 

23 août 2014

 

C'est une triste polémique – une de plus – dont l'Irlande se serait volontiers passée. Un peu plus d’un an après l'adoption d'une loi censée assouplir l'accès à l'avortement (voir chronologie ci-contre), une jeune femme d'origine étrangère qui avait été violée dans son pays s'est trouvée contrainte d'accoucher par césarienne, dimanche 17 août, à vingt-cinq semaines de grossesse, après que la justice irlandaise lui eut refusé le droit à une IVG. 

 

L'histoire de cette femme âgée de 18 ans, dont l'identité n'a pas été divulguée pour des raisons légales, ressemble à un roman noir. Rappel des faits. En avril, après avoir trouvé refuge en Irlande et réclamé l'asile, l'intéressée apprend, au cours d'un examen médical, qu'elle est enceinte de huit semaines. Elle demande alors à pouvoir avorter, assurant qu'elle préfère mettre fin à ses jours plutôt que de porter en elle le fruit d'un viol. Supplique aussi désespérée que vaine. Les autorités lui opposent une fin de non-recevoir.              

 

A plusieurs reprises, elle présente des tendances suicidaires, d'ailleurs attestées par un trio d'experts formé de deux psychiatres et d'un gynécologue obstétricien. Sur la foi de leurs observations, la justice accorde finalement à la jeune femme – nourrie et réhydratée après une grève de la faim et de la soif au cours de la vingt-quatrième semaine – la possibilité de recourir à l'IVG... avant de se rétracter.

 

La grossesse étant trop avancée, s'entend-elle dire, la seule solution est d'effectuer une césarienne. « Ils m'ont dit que, où que j'aille dans le monde, à ce stade, la césarienne était inévitable », a-t-elle confié à l'Irish Times. Né prématurément, le bébé, qui devrait être confié aux soins de l’Etat, est toujours sous surveillance à l'hôpital. Quant à sa mère, qui n'a pas eu de contacts avec lui, elle en est sortie, mais fait l’objet d’un suivi psychiatrique.             

 

Cette affaire ravive la polémique sur la législation relative à l'avortement dans un pays catholique à près de 90 % et, de fait, très sourcilleux sur le droit à la vie ; droit garanti par l’article 6 de la Convention relative aux droits de l’enfant de 1989 et ratifiée par l’Irlande aux côtés de 190 autres pays.

 

La nouvelle loi, votée en juillet 2013 et entrée en vigueur en janvier malgré l’opposition de l'Eglise, n'autorise pas l'IVG en cas d'inceste, de viol ou d'anomalie fœtale. Seule exception tolérée : lorsque la grossesse fait courir à la mère « un risque réel et substantiel pour sa vie ». Et encore cela doit-il être dûment certifié par un panel de médecins.            

 

En conséquence, de nombreuses femmes cherchent à se rendre en Grande-Bretagne pour avorter, souvent en vain car le coût de ce déplacement est prohibitif (jusqu'à 1 500 euros). D'après les statistiques rendues publiques par le département de la santé britannique en juin, 4 481 femmes venues de République d'Irlande (3 679) et d'Irlande du Nord (802) ont fait le voyage en Angleterre en 2013. Mais ce chiffre est sans doute bien en deçà de la réalité car il ne prend pas en compte celles qui tentent leur chance dans un autre pays ou essaient de se procurer en ligne des pilules abortives.

 

Le cas de cette femme anonyme, dont la souffrance a été sciemment mise sous le boisseau, résonne en tout cas d’un écho particulier. Il n'est pas sans rappeler, toutes proportions gardées, le sort dramatique de Savita Halappanavar, morte en octobre 2012 dans un hôpital de Galway (ouest de l’Irlande) des suites d’une septicémie. Cette dentiste indienne de 31 ans avait sollicité une IVG au cours de sa dix-septième semaine de grossesse parce qu’elle éprouvait de violentes douleurs au dos et qu’elle était en train de faire une fausse couche. Elle aussi s’était heurtée à un refus catégorique au motif que « l’Irlande est un pays catholique ». Son époux, Praveen, déclara plus tard que le traitement subi par sa femme avait été « horrible, barbare et inhumain ».

 

Autoriser l’avortement, mais sous quelles conditions ? Le débat agite toujours la société irlandaise, autant que le landerneau politique. Dans une récente tribune à l'Irish Independent, Fiona de Londras, professeur à la Durham Law School (Angleterre), a appelé à ce que cette question de société ô combien capitale ne soit plus réglementée par la Constitution, ce qui est le cas actuellement en vertu du huitième amendement, également connu sous le nom d’article 40.3.3. Celui-ci, entré en vigueur en 1983 après référendum (66,9 % des votants se sont déclarés « pour »), précise que « l’Etat reconnaît le droit à la vie de l’enfant à naître et, compte dûment tenu du droit égal de la mère à la vie, s’engage à le respecter dans ses lois et, dans la mesure du possible, à le protéger et soutenir par ses lois ».       

 

Initialement, à travers ce vote, les opposants à l’avortement (« pro-vie ») souhaitaient « faire en sorte qu’il ne puisse jamais être légalisé, ni par le Parlement [comme en Grande-Bretagne en 1967], ni par les tribunaux [comme aux Etats-Unis en 1973, à la suite du procès Roe contre Wade], ni encore par une directive européenne » (1). Jusqu’à présent, malgré les contre-feux allumés par leurs détracteurs (« pro-choix »), ils ont obtenu gain de cause.                   

           

Cela n’empêche pas la sénatrice irlandaise Ivana Bacik, de sensibilité travailliste et connue depuis les années 1990 pour son engagement médiatique en faveur des « pro-choix », de fustiger la loi « qui dépeint les femmes comme des réceptacles que l’on force à mener des grossesses non désirées jusqu’à terme ». Ni de plaider ardemment pour un changement de cap. Faute de quoi, prévient-elle, « les affaires tragiques se multiplieront ». Et de conclure : « Le temps de la couardise et de l’hypocrisie est révolu ».  

 

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(1) Les Irlandaises : vers une reconnaissance ? – A New citizenship for Irish women ?, de Paul Brennan, Elizabeth Gaudin, Catherine Maignant et le Centre d’études irlandaises de Paris, Editions Presse de la Sorbonne nouvelle, 122 pages, 1994.

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