Le premier ministre hongrois, Viktor Orban, tient un discours devant le musée national de Budapest, le 15 mars 2015, à l'occasion du 167e anniversaire de la révolution de 1848 qui a conduit à la guerre d'indépendance contre les Habsbourg (Attila Kisbenedek/AFP).
Repères
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Superficie : 93 000 kilomètres carrés.
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Population : 9,9 millions d'habitants.
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Capitale : Budapest.
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Monnaie : le forint.
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Fêtes nationales : 15 mars (révolution de 1848), 20 août (saint Etienne) et 23 octobre (soulèvement de 1956).
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Communautés religieuses : catholiques (67,5 %), calvinistes (20 %) et luthériens (5 %).
Hongrie : « Orban court derrière le Jobbik sans aucune limite »
6 mai 2015
Depuis l’automne, le parti conservateur Fidesz du premier ministre hongrois Viktor Orban traverse une période de fortes turbulences. Malmené par des accusations d’affairisme, il voit de surcroît une partie de son électorat le délaisser au profit du Jobbik (extrême droite) de Gabor Vona. Pour tenter d’enrayer cette hémorragie, le chef du gouvernement a sensiblement durci son discours ces derniers jours, que ce soit sur l'immigration clandestine, au sujet de laquelle une consultation nationale est prévue, ou sur la peine de mort, dont il a évoqué « la remise à l’ordre du jour » avant de se rétracter sous la pression européenne.
Cinq ans après le retour de Viktor Orban au pouvoir, où en est la Hongrie ? La stratégie de droitisation suivie par le chef du gouvernement peut-elle lui permettre de renouer avec le succès dans les urnes ou risque-t-elle, au contraire, de faire prospérer encore davantage le Jobbik ? Historien, spécialiste de l’Europe centrale contemporaine et directeur du Centre de civilisation française et d’études francophones de l’université de Varsovie (CCFEF), Paul Gradvohl livre son analyse à « Relations internationales : États critiques ».
>> Comment expliquer l’érosion continue de la Fidesz ?
Paul Gradvohl : Le premier catalyseur de ce déclin est la corruption. Plusieurs « affaires » impliquant des personnes gravitant dans l’orbite proche de Viktor Orban, y compris dans son village natal de Felcsut et sa famille, ont entaché l’image du parti. Le fait, entre autres, que des fonds européens aient pu être distribués avec une certaine générosité à l’un de ses beaux-fils – ce qui, soit dit en passant, est digne de l’URSS brejnévienne – a profondément choqué l’opinion et ce d’autant que cela n’avait jamais existé du temps de Janos Kadar [principal dirigeant de la République populaire de Hongrie, de 1956 à 1988].
La population a également peu goûté les modifications répétées de la Constitution au profit du pouvoir. Aujourd'hui, de fait, la loi est instrumentalisée de manière outrancière par l’entourage du premier ministre. Cela se traduit par une forme insidieuse de prise de contrôle (on peut citer, à titre d'exemple, les débits de tabac, redistribués à des fidèles du régime) et d’arbitraire, perceptible dans l’appropriation sauvage de terres agricoles et dans les changements de réglementation imposés à certaines entreprises.
L’accroissement de la mainmise sur la sphère médiatique est un autre motif de mécontentement. Tous ceux qui, comme RTL Klub [chaîne du groupe allemand Bertelsmann partie en croisade contre le régime au nom de ses intérêts commerciaux – menacés par une « super-taxe » de 40 % sur les revenus publicitaires – et de l’indépendance des médias], osent faire entendre une voix discordante sont muselés. Sur les chaînes nationales, la critique n'a plus sa place. Cela rappelle la Rai Uno des plus grandes heures de l’ère Berlusconi, en Italie ! Economie, justice, médias : un peu partout, l'impression dominante est que Viktor Orban ne respecte pas les limites qu’il a lui-même fixées.
>> Viktor Orban vient de relancer le débat sur l'immigration et la peine de mort. Pourquoi et quelles conséquences cela peut-il avoir au niveau des relations avec l’UE ?
Comme l’a prouvé sa victoire lors de l’élection partielle du 12 avril, qui lui a valu de remporter un siège au Parlement, l'extrême droite hongroise se porte très bien. En s’appropriant ses thèmes de prédilection, le premier ministre cherche à l’affaiblir. Mais il donne plutôt le sentiment de courir derrière le Jobbik sans aucune limite, ce qui ne peut qu’attiser les tensions avec l’Europe.
Il est à espérer que l’Union européenne, qui a vivement réagi à ses propos, soit intransigeante et fasse respecter les lois et réglementations qui la gouvernent – lesquelles excluent absolument tout recours à la peine de mort [abolie par la Hongrie en octobre 1990 et que celle-ci s’est engagée à ne pas rétablir en signant la charte des droits fondamentaux lors de son adhésion à l’UE, en 2004]. De ce point de vue, les divers représentants de la Commission européenne ont été clairs : si Budapest devait revenir à la peine capitale, elle serait privée de ses droits de vote.
>> Faisant fi des critiques de l’UE, Viktor Orban affiche également sa proximité avec Vladimir Poutine. Quel est l’état de la relation entre les deux dirigeants ?
C’est une relation totalement asymétrique. La Hongrie compte un peu moins de dix millions d'habitants et ne possède pas l’arme nucléaire. Rien de comparable avec la puissance démographique et militaire de la Russie. Ce déséquilibre s'est fait particulièrement sentir le 17 février lors de la visite de Vladimir Poutine pour le 70e anniversaire de la libération de Budapest par les troupes soviétiques. Le président russe en a profité pour se rendre dans un cimetière où se trouve un mémorial en hommage aux soldats soviétiques ayant réprimé le soulèvement hongrois de 1956. Viktor Orban a été contraint de baisser la tête et de regarder ailleurs. Vladimir Poutine n'hésite pas à humilier le premier ministre hongrois – ce que ce dernier, bien sûr, s'efforce de cacher – mais, en même temps, il se sert de lui dans le dossier ukrainien. Les nationalistes hongrois, en effet, ne seraient pas fâchés de voir Kiev écrasé sous la botte russe. D'ailleurs, ils ont coutume de présenter le pouvoir ukrainien comme un agrégat de protofascistes qui empêchent les Hongrois d'Ukraine de parler hongrois, ce qui est très loin d'être vrai.
Viktor Orban a aussi partie liée avec Moscou dans la mesure où, en signant avec le groupe Rosatom un accord d'agrandissement de la centrale nucléaire de Paks [la seule du pays, qui assure plus de 50 % des besoins nationaux] il a remis l'indépendance énergétique de la Hongrie, et d'une certaine façon son avenir, entre les mains de la Russie. Cet accord a du reste été conclu dans des conditions opaques, sous le sceau du secret défense, valable pendant... trente ans. Vu les intérêts financiers en jeu, qui se chiffrent en milliards d'euros, cela ne peut qu'alimenter un peu plus le puits sans fond de la corruption.
Enfin, Viktor Orban et Vladimir Poutine se rejoignent sur la façon d'envisager l'exercice du pouvoir. Dans les discours du premier ministre hongrois revient clairement l'idée que la démocratie, c'est bien, mais qu'il en existe deux modèles : la démocratie libérale et la démocratie autoritaire. Or, comme en Russie ou en Turquie, il pense que le second convient beaucoup mieux à la Hongrie.
>> La Hongrie a-t-elle, selon vous, déjà basculé dans l'autoritarisme ?
Le problème avec l’autoritarisme, c’est qu’il n’a pas de limites claires et que personne ne s’installe au pouvoir en disant « Je vais mettre fin à la démocratie ». Même Hitler, en son temps, ne l’a pas fait. Certes, on observe dans le pays de sérieux reculs de la liberté mais, en même temps, le système n'est pas complètement verrouillé. Certains électeurs se sont ainsi détournés de la Fidesz sans pour autant se tourner vers le Jobbik (ce qui a d'ailleurs fait perdre au parti du premier ministre sa majorité des deux tiers au Parlement). Cela prouve que l'action populaire dans les urnes est possible. Il existe des résistances, non seulement au sein de la société civile, mais aussi du régime car certains pensent que Viktor Orban va trop loin. Or, ces personnes, qui ont accumulé beaucoup d'argent en peu de temps, ne veulent pas couler avec le Titanic.
Il faut cependant noter que, pour la première fois, les jeunes générations quittent massivement le pays pour aller s'installer en Angleterre, en Allemagne ou en Autriche. Le phénomène, qui ne s'était jamais produit à une telle échelle, est d'autant plus surprenant que les Hongrois ont certes une tradition de mobilité, mais bien moins développée que celle des Polonais, par exemple. Ces envies d'ailleurs attestent une forme de désespérance qui s'est accrue avec l'enracinement dans le paysage politique du Jobbik, parti raciste qui n'a pas hésité à demander à ce que soit publiée la liste des personnalités politiques juives sur une base digne des années 1930 !
>> La stratégie de droitisation suivie par Viktor Orban ne fait-elle pas le jeu de l'extrême droite ?
Jusqu’à présent, c’est ce qui s’est passé. A long terme, j'ai de sérieux doutes sur l'efficacité de cette stratégie pour la Fidesz. Je pense que le risque est le même qu'en France, quand l'UMP cherche à contrer le FN. Cette politique est vouée à l'échec.
>> Le Jobbik peut-il réussir son pari de la « dédiabolisation » ?
Difficile à dire. Le fait est que le Jobbik demeure extrêmement marqué, ne serait-ce que par sa tradition paramilitaire. On le voit dans les rassemblements du parti, où les militants arborent régulièrement des uniformes de l'entre-deux-guerres ou de la seconde guerre mondiale. C'est une tendance assez profonde qui n'existe pas au FN, par exemple. La surface changera peut-être, mais le fond – rejet du judaïsme, de l'homosexualité, des Tziganes – restera le même. Et cela d'autant plus si la Fidesz persiste à poursuivre sa campagne contre l'immigration, qui est loin d'être un sujet majeur, et en faveur du rétablissement de la peine de mort. Il serait étonnant, en effet, de voir l'extrême droite essayer de doubler la droite par le centre. D'une certaine façon, la Fidesz justifie le Jobbik dans ce qu'il a de plus droitier.
Propos recueillis par Aymeric Janier