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Yahya Sinouar (à gauche), le prochain chef du Hamas à Gaza, et son prédécesseur, Ismaïl Haniyeh, le 21 février 2017 (AFP).  

Le Hamas en cinq dates
  • Décembre 1987 : fondation, par des militants proches des Frères musulmans égyptiens, du Mouvement de la résistance islamique (Hamas, acronyme de « Harakat al-Muqawama al-Islamiya ») à Gaza, quelques jours après le début de la première intifada contre l’occupation israélienne (1987-1993).

 

  • 1993-1994 : rejet des accords d’Oslo signés le 13 septembre 1993, qui établissent une entente provisoire entre Israéliens et Palestiniens et sont à l’origine de la création de l’Autorité palestinienne. Une campagne d’attentats-suicides est lancée en Israël, avec pour objectif affiché de faire dérailler le processus de paix.

 

  • 1996 : intensification de la campagne terroriste du Hamas après l’assassinat de son principal artificier, Yahia Ayache (surnommé « l’ingénieur »), par le Shin Beth, le service du renseignement intérieur israélien, qui avait piégé son téléphone.

 

  • 22 mars 2004 : mort de cheikh Ahmed Yassine, fondateur et chef spirituel du Hamas, tué par un tir de missile israélien. Son successeur, Abdel Aziz al-Rantissi, subira le même sort, le 17 avril.

 

  • Janvier 2006 : victoire du Hamas aux élections législatives palestiniennes. S’ensuit un bras de fer avec le Fatah, que le Mouvement de la résistance islamique remportera en s’emparant par la force de la totalité du pouvoir à Gaza, en juin 2007.

Yahya Sinouar, un « radical pragmatique » à la tête du Hamas à Gaza

28 février 2017

 

Il est le futur homme fort du Mouvement de la résistance islamique (Hamas) dans l’enclave de Gaza, sous embargo israélien depuis 2006-2007. Né en 1962 dans le camp de réfugiés de Khan Younès, Yahya Sinouar, désigné pour succéder à Ismaïl Haniyeh, est réputé proche des brigades Ezzedine al-Qassam, le bras armé du groupe sunnite.

 

Placé sur la liste américaine des « terroristes internationaux », il se refuse à apparaître dans les médias et entoure chacun de ses déplacements d’un épais voile de mystère. Et pour cause : il est recherché par Israël, où il a passé vingt-trois ans en prison (de 1988 à 2011).

 

Quelle est la personnalité de cet homme et quel impact son arrivée prochaine à la tête du Hamas à Gaza peut-elle avoir ? Eléments de réponse avec Leila Seurat, docteur en science politique, post-doctorante à l’IREMAM (Institut de recherches et d’études sur le monde arabe et musulman) et auteur de « Le Hamas et le monde » (CNRS Editions, octobre 2015).

>> Quel est le profil de Yahya Sinouar ?

 

Leila Seurat : Il est considéré comme un « dur », comme l’un des éléments les plus radicaux du Hamas. De fait, il est à l’origine de la création du service de renseignement des brigades Ezzedine al-Qassam [nées en 1992]. Depuis l’an dernier, des rumeurs circulent sur le fait qu’il aurait commandité plusieurs assassinats au sein même du groupe – des sortes de règlements de comptes. 

 

Mais le bouleversement du rapport de force à l’intérieur du pôle de Gaza ne date pas d’aujourd’hui et de ce nouveau « round d’élections ». Il remonte à 2011, lorsque Yahya Sinouar a été libéré de prison. Fort de sa « légitimité carcérale » aux yeux de ses pairs, il a été élu membre du bureau politique de Gaza fin 2012/début 2013, lors des dernières élections internes au mouvement.

 

>> Son élection représente-t-elle donc la victoire des tenants d’une ligne dure ?

 

Oui, même si cela est réducteur. Certes, l’opposition modérés/radicaux existe, mais encore faut-il s’entendre sur ce que radical signifie. Radical par rapport à qui, par rapport à quoi et sur quels sujets ? C’est la question qu’il convient de se poser. Etre radical, au sein du Hamas, est-ce être l’allié des Iraniens ?

 

Selon les dossiers – les alliances régionales, la réconciliation avec le Fatah [le mouvement nationaliste palestinien fondé en 1959 au Koweït par Yasser Arafat], une éventuelle trêve avec Israël – les points de vue varient. De surcroît, les intérêts des uns et des autres ne sont pas forcément toujours identiques à un moment donné. En période électorale, les positions peuvent ainsi changer du tout au tout en fonction d’intérêts plus pragmatiques qui tiennent aux positions de pouvoir dans le mouvement.             

 

>> En quoi Yahya Sinouar se distingue-t-il de son prédécesseur, Ismaïl Haniyeh ?

 

Entre les deux hommes, les différences sont immenses. Yahya Sinouar a passé une large partie de sa vie en prison et cultive une proximité étroite avec la branche armée. Il ne jouit pas du tout de la même aura qu’Ismaïl Haniyeh, qui est un imam [dignitaire religieux musulman] et vit dans le camp de réfugiés de Chati (nord-ouest de Gaza). Celui-ci est bien plus un homme de religion qu’un chef politique. Et puis il faut rappeler qu’Ismaïl Haniyeh est devenu vice-président du bureau politique à la suite de la venue à Gaza de Khaled Mechaal [le chef du Hamas, qui vit en exil à Doha (Qatar)], en décembre 2012, juste après la guerre de novembre contre Israël (opération « Pilier de défense »). Cette visite a entraîné un vaste aggiornamento. A partir de ce moment-là, il ne faisait plus de doute qu’Ismaïl Haniyeh allait prendre la tête du pôle de Gaza. Et pourtant, il n’a pas toujours été un fervent partisan de Khaled Mechaal, tant s’en faut.    

 

>> Qu’en est-il des rapports de Yahya Sinouar avec Khaled Mechaal ?

 

En 2012-2013, ils n’étaient pas du tout sur la même ligne. A l’époque, des lignes de fracture importantes parcouraient en effet le Hamas, non seulement entre le pôle extérieur (représenté par Khaled Mechaal) et le pôle de Gaza, mais aussi à l’intérieur même du pôle de Gaza. Si certains, comme Ismaïl Haniyeh, adhéraient à « l’axe mechaalien », qui consistait à se rapprocher de l’Egypte, puis, à la suite du coup d’Etat [du 3 juillet 2013 contre le président Mohamed Morsi], du Qatar, d’autres, notamment les hiérarques des brigades Ezzedine al-Qassam (parmi lesquels Ahmed Jaabari et Yahya Sinouar), considéraient au contraire qu’il fallait rester proche de l’Iran, parce que c’était le soutien de Téhéran, et non des pays du Golfe, qui avait permis la « victoire » face à Israël en 2012.         

 

>> Comment Yahya Sinouar est-il perçu en Israël ? 

 

Israël le considère comme un jusqu’au-boutiste, qui n’est pas enclin à faire la moindre concession. Cela ne veut pas pour autant dire qu’il ne négociera pas un échange de prisonniers. L’histoire l’a déjà prouvé : ce sont souvent les « durs » qui font la paix.

 

Au sein même de la bande de Gaza, la population le voit comme un homme impavide et virulent, même sur le plan de la gestion sécuritaire. Ce qu’il est important de comprendre, c’est qu’il y a actuellement deux mouvements simultanés à l’œuvre : d’une part, le pôle de Gaza voit sa marge de manœuvre se renforcer par rapport au pôle extérieur qui, historiquement, était décisionnaire – je dis « était », car ce schéma ne fonctionne plus – et, d’autre part, au sein du pôle de Gaza, la branche armée gagne en autonomie vis-à-vis de la branche politique.     

 

>> Ce renforcement de la branche armée augure-t-il d’une nouvelle guerre à court terme entre le Hamas et Israël ?   

 

Même si la guerre de 2014 (opération « Bordure protectrice ») a été très douloureuse pour le Hamas, il demeure puissant car son arsenal est important. Les Iraniens y veillent, qui continuent de fournir un soutien matériel important à la branche militaire du mouvement. Pendant ce temps, les fonctionnaires du gouvernement, eux, sont peu, voire pas payés.

 

Est-ce à dire que le Hamas est prêt à se lancer dans un nouvel affrontement ? Je ne le crois pas. Ce n’est pas parce que l’on s’affiche comme un radical que l’on ignore les logiques rationnelles et que l’on est incapable de voir que le rapport de forces est défavorable.   

 

>> Est-il envisageable que Yahya Sinouar fasse un effort pour faire du Hamas un interlocuteur acceptable auprès de la communauté internationale ?  

 

Je ne pense pas que cela soit au centre de ses préoccupations d’autant que, depuis 2006, tous les efforts déployés par le mouvement pour tenter d’obtenir une reconnaissance internationale ont échoué. A cette aune, il est donc peu probable qu’une politique conciliatrice rencontre un quelconque succès. Je pense qu’il est beaucoup plus intéressé par la réconciliation avec l’Egypte et la levée du blocus israélien de ce côté-là.

 

>> Quid de l’avenir de la relation tourmentée entre le Fatah et le Hamas ?

 

Elle est déjà tellement improbable qu’elle ne peut pas se détériorer davantage !

          

Propos recueillis par Aymeric Janier

 

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