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Le président des Philippines, Rodrigo Duterte (à droite), salue l'ambassadeur des Etats-Unis à Manille, Philip Goldberg (à gauche), sous le regard du secrétaire d'Etat américain, John Kerry (au centre), lors d'une visite de ce dernier au palais de Malacanang, le 27 juillet 2016 (Aaron Favila /AFP).  

Repères (Philippines)

 

  • Superficie  300 000 km².

  • Population : environ 100 millions d’habitants.

 

  • Capitale : Manille.

 

  • Monnaie : le peso philippin.

  • Fête nationale : le 12 juin.

 

  • Communautés religieuses : catholiques (87 %), musulmans (7 %), protestants évangéliques (4 %), bouddhistes (1,5 %), auxquels s’ajoute une myriade d’églises chrétiennes (Iglesia ni Christo, El Shaddai, Aglipayan...).

 

 

 

 La relation Philippines/Etats-Unis
(en cinq dates)

 

  • 1898 : Emilio Aguinaldo appelle les Etats-Unis à l’aide pour chasser les Espagnols (qui colonisent les Philippines depuis 1565), mission militaire dont ils s’acquittent avec succès. La signature du traité de Paris, en décembre de la même année, se traduit par la cession du pays aux Etats-Unis, ce qui déclenche une guérilla antiaméricaine dans l'archipel.  

  • 4 juillet 1946 : la République des Philippines, dirigée par Manuel Roxas, est proclamée, marquant l’indépendance du pays vis-à-vis des Etats-Unis.  

  • 30 août 1951 : les représentants des Etats-Unis et des Philippines signent à Washington un traité de défense mutuelle en cas d'agression militaire.  

  • 1992 : le général Fidel Ramos est élu à la présidence de la République. Les Etats-Unis évacuent leur dernière base dans le pays (base navale de Subic Bay).

  • Octobre 2003 : les Etats-Unis classent les Philippines dans la catégorie « alliés majeurs hors OTAN ».

 

 

 

Philippines : « Duterte ne pourra pas se défaire des Etats-Unis »

 

20 septembre 2016

 

Son langage tonitruant et volontiers obscène tranche singulièrement avec celui, beaucoup plus policé, de son prédécesseur, Benigno Aquino III. Depuis son arrivée au pouvoir, à la fin du mois de juin, le nouveau président philippin, Rodrigo Duterte, n'hésite pas à défier verbalement les Etats-Unis, accusés de traiter Manille en vassal. Refusant de se laisser enfermer dans un rôle de caudataire, l'ancien maire de Davao (île de Mindanao) multiplie les propos frondeurs, quitte à faire litière des usages diplomatiques. 

 

Washington, de son côté, l'a déjà sermonné à plusieurs reprises sur sa façon de conduire sa « guerre totale » contre la criminalité, et notamment le narcotrafic. En cause, les exécutions extrajudiciaires et la répression policière, qui ne cesse de s'accentuer. Dans ce contexte de tensions, d'aucuns s'interrogent sur l'avenir de la relation entre les deux pays. Est-elle solide ou, au contraire, fragile ? François-Xavier Bonnet, géographe et chercheur associé à l’Institut de recherche sur l’Asie du Sud-Est contemporaine (IRASEC) livre son analyse à « Relations internationales : Etats critiques ».

>> Rodrigo Duterte semble particulièrement acerbe dans ses propos à l'égard des Etats-Unis. Ne faut-il y voir qu'une posture politicienne ?

 

François-Xavier Bonnet : Sur le plan idéologique, Rodrigo Duterte a été formé par José Maria Sison, le fondateur du Parti communiste philippin [en 1968] et l’instigateur de la révolution maoïste contre le gouvernement de Ferdinand Marcos. Il appartient à un mouvement de fond qui se situe entre le PC révolutionnaire et le socialisme. A cela s’ajoute une fibre nationaliste très développée. L’un de ses grands maîtres à penser fut Renato Constantino (1919-1999), qui développa tout un discours anticolonial dans les années 1950-1960.

 

Cela étant dit, Rodrigo Duterte est aussi très pragmatique. Il sait parfaitement qu’il ne pourra pas se défaire des Etats-Unis, même s’il le répète à satiété. Il a d’ailleurs souligné le fait que les traités et accords bilatéraux, dont l’EDCA [Enhanced Defense Cooperation Agreement, signé en 2014, avalisé par la Cour suprême des Philippines en janvier 2016 et qui vise à renforcer les liens opérationnels entre les deux pays d’un point de vue militaire], ne seraient pas mis au rebut.

 

Le vrai problème avec lui, c’est qu’il possède la verve d’un tribun et, partant, a du mal à se déprendre d’un vocabulaire qui ne sied guère à son statut de chef de l’Etat, mais est assez « classique » sur l’île de Mindanao. Là-bas, en effet, les maires et gouverneurs de province sont avant tout des chefs de guerre. Ils ont l’habitude des propos outranciers, plus en tout cas que leurs homologues de l’île de Luçon ou des Visayas, qui sont moins affectées par la révolution et la guérilla.     

 

>> Qu'en pense la population ? Soutient-elle le chef de l'Etat dans son « bras de fer » verbal avec Washington ?

 

La population a une posture ambiguë. A l’origine, Rodrigo Duterte a été élu par 38 % des électeurs. Comme tous les chefs d’Etat depuis 1986, c'est donc un président minoritaire [il n'y a qu'un seul tour de scrutin aux Philippines. Le vainqueur est celui qui le remporte, quel que soit son pourcentage de voix, généralement bas vu le nombre élevé de candidats]. Parmi ceux qui l’ont soutenu, beaucoup l’ont fait, non pas pour des questions de politique étrangère, mais pour des raisons nationales. A commencer par la lutte contre la criminalité. Il avait promis d’éradiquer le narcotrafic et de rétablir l'ordre. Sur l’île de Mindanao, il demeure d’ailleurs très respecté, car il a su neutraliser les différentes factions – communistes et musulmanes – qui semaient le chaos, même si cela s’est fait au prix d’une poigne de fer.    

 

A présent, ces électeurs se mettent à douter. Ils se demandent in petto jusqu’où Rodrigo Duterte est prêt à aller et s’il va embrasser la vulgate de l’extrême gauche, dont plusieurs figures l’exhortent à rompre les liens avec Washington. Cette inquiétude n’est pas dénuée de fondement. De nombreux Philippins, en effet, ont de la famille aux Etats-Unis ; des expatriés qui assez naturellement s’interrogent sur l’évolution des choses.       

 

>> Depuis leur indépendance, les Philippines ont-elles toujours été proches des Etats-Unis ? 

 

Non, il y a eu de nombreuses périodes de tension. Peu après l'indépendance [en 1946], certains hommes politiques philippins opposés aux Etats-Unis ont réclamé une décolonisation complète. Ils se sont arrangés, et ce au plus haut niveau de l’Etat, pour que le président joue le rôle du « gentil policier » et le vice-président, celui du « méchant policier » déversant son fiel antiaméricain dans la presse. Cette répartition implicite des rôles a prévalu jusqu’à l’imposition de la loi martiale par le président Ferdinand Marcos, en septembre 1972.  

 

Avec Marcos, la situation a changé. Ce dernier a l'image d'un homme qui fut très proche des Américains, mais, à y regarder de plus près, il appert qu'il a cautionné toute une diplomatie de l'ombre. En 1967-1968, pendant la guerre du Vietnam, il a ainsi envoyé des missions secrètes auprès du Viêt Minh, car il était pleinement conscient que les Américains ne resteraient pas dans le pays indéfiniment. Sa position consistait à dire que le Vietnam, quelle que fût sa couleur politique, était un voisin géographique des Philippines et qu'en conséquence, il fallait traiter avec lui. Quand le secrétaire d'Etat américain de l’époque, Henry Kissinger, s'en est aperçu, grâce au renseignement français, il n’a évidemment pas apprécié... Marcos a procédé de même avec la Chine et l’Union soviétique.

 

Après sa chute, en 1986, Cory Aquino a pris le pouvoir. C’est sous son mandat, en 1990, que les sénateurs ont décidé de ne pas renouveler le bail des bases militaires américaines qui étaient situées à Olongapo City et à Clark. Cela a représenté le nadir des relations américano-philippines. Cette phase de crispation a duré jusqu'en 2002-2003, avec des hauts et surtout des bas, même si le président Fidel Ramos (1992-1998) était en phase avec Washington.

 

A partir de 2002-2003, des liens plus étroits se sont noués dans le cadre de la lutte contre le terrorisme. Gloria Macapagal-Arroyo a insufflé un nouvel élan au partenariat bilatéral, mais elle a aussi essayé d’établir une sorte de « relation triangulaire » entre les Philippines, les Etats-Unis et la Chine, ce qui a fortement déplu outre-Atlantique. Concrètement, elle a accordé de nombreux contrats aux entreprises chinoises, ce qui lui a valu les critiques cinglantes de la faction pro-américaine des Philippines, mais aussi de Washington, qui n’a pas accepté que Pékin pût décrocher ces contrats à sa place.       

 

En conséquence, les Américains ont soutenu l'opposition à Arroyo pour essayer de la faire démettre de ses fonctions. En prenant les rênes du pouvoir en 2010, Benigno Aquino III [le fils de Cory Aquino], qui au début n’était pas foncièrement antichinois, s’est efforcé de maintenir cet équilibre. Mais après l’incident du récif de Scarborough, en avril 2012 [à la faveur d’une opération militaire, la marine chinoise s’est emparée de ce récif situé en mer de Chine méridionale et revendiqué par les Philippines, mais aussi par Taïwan et Pékin, sous le nom de Huangyan], son point de vue a radicalement changé. Au regard de l'histoire récente, la volonté Rodrigo Duterte de ménager Américains et Chinois n’a donc rien de révolutionnaire.   

 

>> A plusieurs reprises, les autorités américaines ont sermonné Rodrigo Duterte sur les droits de l'homme, qu'il bafoue allégrement, selon eux, dans sa guerre totale contre le narcotrafic. Ces remontrances peuvent-elles l'amener à davantage de modération ?

 

Il semblerait au contraire que ces reproches aient tendance à exacerber son antiaméricanisme. Il faut savoir que la guerre contre la drogue dure depuis plus de deux décennies à Davao, ville dont Rodrigo Duterte a été maire pendant vingt-deux ans. Par le passé, il a été régulièrement attaqué sur cette question-là par Amnesty International, Human Rights Watch ou encore le département d'Etat américain. Chaque fois que les autorités américaines ou les Nations unies ont envoyé sur place des commissions d'étude sur les droits de l'homme, cela a entraîné une sorte d’effet boomerang. C’est pourquoi je pense que cette approche est contre-productive.

 

Je tiens en même temps à souligner que les ONG liées au mouvement communiste qui, sous les administrations précédentes, étaient les plus virulentes aux Philippines en cas de meurtres et d'exécutions extrajudiciaires sont mutiques depuis trois mois. C’est pour le moins étonnant. Il n’y a plus désormais que les ONG non classées à gauche, l’Eglise catholique et certaines personnalités politiques comme la sénatrice Leila de Lima qui font leur travail. Ministre de la justice de Benigno Aquino III, cette dernière supervise ainsi, depuis 2009, des enquêtes sur les violations des droits de l’homme commises à Davao pendant le mandat de Rodrigo Duterte [Le Sénat, contrôlé par les affidés du chef de l'Etat, lui a retiré, lundi 19 septembre, la présidence de la commission chargée d'enquêter sur les dérives de la politique anticriminalité du président, qui s'est traduite par la mort de plus de 3000 personnes depuis la fin du mois de juin]

 

>> Quel peut être l'avenir du partenariat américano-philippin ? 

 

Je pense que Rodrigo Duterte va en quelque sorte « apprendre son métier ». De toute façon, la Constitution donne mandat au président, qui est le commandant en chef de l'armée, de protéger la ZEE (zone économique exclusive) des Philippines. Il va donc devoir coordonner des patrouilles navales avec les Etats-Unis et, éventuellement, le Vietnam et le Japon. A mon avis, il va sans doute continuer, dans les mois qui viennent, à défier verbalement les Etats-Unis, et même peut-être insulter de nouveau ses représentants à l'occasion, mais sans pour autant renoncer aux accords de défense qui unissent les deux pays.

 

>> Dans quelques mois, Rodrigo Duterte sera amené à travailler soit avec la démocrate Hillary Clinton soit avec le républicain Donald Trump. Comment imaginez-vous alors la relation bilatérale ? 

 

Je pense qu’il serait plus à l’aise avec Hillary Clinton. Si Donald Trump devait l'emporter, je crois qu'il y aurait un risque d’explosion tant ces deux personnalités sont abrasives. Dans une telle situation, Rodrigo Duterte serait, à mon sens, tenté de se rapprocher de la Chine. En effet, le candidat républicain a souligné qu’au cas où il accéderait à la Maison Blanche, les alliés des Etats-Unis devraient financer leur propre sécurité. Or, je vois mal Duterte s’engager dans cette voie. Preuve en est, il a déjà demandé au ministère de la défense de prospecter pour acheter des armes à la Chine et à la Russie. Il sent que le vent tourne et qu'il est peut-être préférable de solliciter Pékin plutôt que de s'abriter exclusivement sous le parapluie américain...      

 

Propos recueillis par Aymeric Janier

 

 

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