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Mauritanie : la fin des illusions démocratiques

25 novembre 2017

En 2007, la Mauritanie, habituée aux pronunciamientos depuis 1978, s’offrait une rare parenthèse démocratique. Ely Ould Mohamed Vall, un hiérarque militaire, décidait de rendre le pouvoir aux civils après deux années de transition consécutives au putsch perpétré contre Maaouya Ould Sid Ahmed Taya, dont il avait été l'un des instigateurs. Un geste surprenant qui, à l’époque, lui avait valu les dithyrambes de la communauté internationale.

           

Dix ans plus tard, la République islamique de Mauritanie, vaste pays désertique sis aux confins d’un Sahel battu par les vents djihadistes, a, semble-t-il, refermé pour de bon cette parenthèse salvatrice. Pis, le régime du général-président Mohamed Ould Abdel Aziz, en fonctions depuis 2009, verse dans un autoritarisme de plus en plus patent.

           

En témoigne l'adoption d'un projet de loi durcissant la législation contre les auteurs d’apostasie (crime de zendagha) et de blasphème. Ceux-ci encourent désormais la peine de mort, et ce même s’ils battent leur coulpe et expriment des remords sincères a posteriori.

           

« Chaque musulman, homme ou femme, qui se moque ou outrage Allah ou Son Messager [Mahomet], Paix et Salut sur Lui, ses anges, ses livres ou l'un de ses Prophètes est passible de la peine capitale [qui n’est plus appliquée depuis 1987] et ce, même en cas de repentir », est-il écrit dans le texte, dont l’agence mauritanienne d’information, l’AMI, s’est récemment fait l’écho.  

           

L'objectif de cette initiative « sans effet rétroactif » est, de l’aveu du gouvernement, « d'abroger et de remplacer » l'article 306 du Code pénal instauré par l'ordonnance 83-162 du 9 juillet 1983 et relatif aux « attentats aux mœurs de l’islam » (hérésie, apostasie, athéisme, refus de prier, adultère...). Le moment choisi pour cette annonce n’est pas fortuit.

           

Le 9 novembre, un jeune Mauritanien, en détention depuis janvier 2014 pour un billet de blog jugé blasphématoire, a vu en appel sa condamnation à mort commuée en une peine de prison de deux ans. Agé d’une trentaine d’années, Cheikh Ould Mohamed Ould Mkheitir avait critiqué sur Internet l’instrumentalisation de l'islam – religion d'Etat – pour justifier certaines discriminations. Forgeron de métier, il s'était élevé contre le système de castes au sein d’une société dominée par les Maures (arabo-berbères), et plus précisément les Maures blancs (Beïdanes).     

           

Devant la Cour d’appel de Nouadhibou, le procureur, revêtant les habits du théologien, s'est fait le parangon de l'intransigeance. « Le prophète a bien excusé de son vivant ceux qui lui ont tenu des propos similaires, mais il n’est plus là parmi nous pour accorder sa grâce et nous devons appliquer la sentence extrême contre le fauteur », a-t-il soutenu. La Cour, cependant, n’a pas cédé à ses exigences. Une posture saluée par les associations de défense des droits de l’homme, mais conspuée par certains fidèles.

           

« Au secours de notre prophète ! », « Condamnez le criminel à mort ! », « La potence, pas la liberté ! », ont scandé des manifestants en colère, avant de tenter de marcher – sans succès – sur le siège de la présidence. Est-ce à dire que la population mauritanienne connaît un sursaut de religiosité ? « Le peuple est musulman à 100 % et l’islam qui y est pratiqué a toujours été un islam de tolérance et de modération. Cependant, à l'instar du reste du monde musulman, le pays n’a pas échappé à la tendance à la radicalisation, alimentée et amplifiée par la force de projection et de financement des mouvances radicales et politiques des fondations originaires d'Arabie saoudite et des autres pays du Golfe », relève Mousry Ahmed Ethmane, chercheuse associée auprès du Centre 4S (Centre des stratégies pour la sécurité du Sahel-Sahara), qui évoque en parallèle une « récupération politique » des autorités [lire le « Trois question à... » ci-dessous].  

           

« Mohamed Ould Abdel Aziz s’est trouvé confronté à la grogne de la rue, chauffée à blanc par certains chefs religieux salafistes. Il s’est senti coincé et a dû lâcher du lest en donnant des gages à ceux-ci, d'où le raidissement de la loi », analyse de son côté Boubacar N’Diaye, professeur de sciences politiques et d’études panafricaines à l’université américaine The College of Wooster (Ohio). Lui aussi évoque une « certaine réceptivité populaire à des prêches radicaux », ainsi qu'une « fièvre religieuse à laquelle la misère ambiante contribue ».      

           

L’affaire, révélatrice du fossé idéologique qui sépare « anciens » (partisans d’une application stricte de la charia, la loi islamique) et « modernes » (enclins à une certaine forme d’indulgence), n’est en tout cas pas terminée. Le parquet mauritanien a en effet décidé de se pourvoir en cassation.

           

Alors que se profile une nouvelle élection présidentielle en 2019, Mohamed Ould Abdel Aziz s’emploie à museler toute opposition et, plus encore, à verrouiller son pouvoir. « Il est déterminé à ne pas permettre à un opposant de le remplacer à la suite d’élections vraiment transparentes, par crainte de représailles », souligne M. N’Diaye. Peu lui chaut que la Constitution lui interdise de briguer un troisième mandat (l’article 28 dispose qu’il est rééligible une seule fois). Il l’a déjà fait amender, sous le vernis de la légalité.

           

En août, 85 % des 1,4 million de citoyens appelés à voter ont ainsi approuvé une révision constitutionnelle lors d’un référendum. Très élevé dans les campagnes, le taux de participation n’a pas dépassé 36 % à Nouakchott, la capitale. Mais le résultat a tout de même conforté l’assise du chef de l’Etat.

           

Cette consultation visait, entre autres, à remplacer le Sénat par des conseils régionaux élus et à modifier le drapeau national (un croissant et une étoile d’or sur fond vert), auquel ont été ajoutées deux bandes rouges pour « valoriser le sacrifice des martyrs » de la résistance à la colonisation française, qui a pris fin en 1960. Une manière habile de flatter l’orgueil national, grand pourvoyeur de voix.

           

L’hymne national a, lui aussi, subi des changements en faveur d’une « consolidation des fondements de la souveraineté nationale ». Motif invoqué : à travers lui « sont vantées les valeurs du peuple et son identité, dans le but de rassembler les citoyens autour des mêmes idéaux suprêmes et les inciter à les préserver et à les défendre ».                         

           

Par-delà les mots, grandiloquents et rassembleurs, transparaît néanmoins une autre réalité, nettement moins flatteuse. Celle d’un pays qui, en dépit d’importantes ressources naturelles (fer, or, cuivre, gaz, pétrole...), est en proie à de fortes disparités et au dénuement. En 2016, les deux tiers de la population vivaient en situation de pauvreté au sens du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) et le pays se classait 156e sur 188 au niveau de l'indice de développement humain.

           

Pour l’opposition, cette situation tient à la mauvaise gestion et à l’accaparement des richesses par le clan dirigeant. « Les inégalités sont aggravées par la patrimonialisation extrême du pouvoir et la mainmise absolue du chef de l’Etat, de sa famille et de sa formation tribale sur les ressources et l'économie nationales », corrobore Mousry Ahmed Ethmane.            

           

A cela s’ajoute le fléau de l’esclavage qui, bien qu’officiellement interdit en 1981, perdure aux dépens des Noirs, Négro-Mauritaniens et Haratines (les Maures noirs, descendants d’esclaves, plus ou moins métissés). D’après l’ONG Walk Free, il ne concernait « plus que » 1 % des habitants en 2016, contre 4 % en 2014. Figure de la lutte abolitionniste et, à ce titre, déjà embastillé à plusieurs reprises, Biram Dah Abeid situe plutôt le pourcentage réel autour de 20 %.

           

Certes, en août 2015, la définition de l'esclavage – qui n’incluait que la privation de liberté et le travail sans salaire – a été élargie. Surtout, il est devenu, à ce moment-là, un « crime contre l’humanité », censé être puni de vingt ans de prison (contre cinq à dix ans jusqu'alors). Pour autant, dans les faits, rares sont les condamnations prononcées par la justice. Le reflet de « traditions » qui peinent à être éradiquées.

 

Aymeric Janier

                    

* * *  

Trois questions à Mousry Ahmed Ethmane, chercheuse associée auprès du Centre 4S (Centre des stratégies pour la sécurité du Sahel-Sahara)   

 

  • Quel(s) but(s)  le régime de Mohamed Ould Abdel Aziz poursuit-il en durcissant la loi antiblasphème ?

 

Ce raidissement trouve son origine dans l'affaire Ould Mkheitir, qui défraie sporadiquement la chronique depuis 2014. Le régime l’a récupérée afin de détourner l’opinion publique des préoccupations socio-économiques quotidiennes et des discours de l’opposition démocratique. Cette récupération politique, par le biais notamment des Renseignements généraux, s'est manifestée dès le début par l'accueil des manifestants par le chef de l'Etat et l'encadrement de la mouvance anti-Mkheitir. Des pressions externes ont poussé le pouvoir à trouver une issue conforme aux normes internationales. Une entente aurait été conclue avec l’Union européenne pour libérer l’inculpé et l’exfiltrer vers la France, où sa famille se trouve déjà. Le prononcé de la dernière peine serait le fruit des discussions et négociations internationales –deux ans de prison et 60 000 ouguiyas d'amende. Cependant, la sentence a été fort mal accueillie par les populations mobilisées et conditionnées depuis trois ans. Face à ce rejet, le pouvoir a entrepris de durcir la législation en vue de regagner la sympathie de la mouvance anti-Mkheitir d'une part, des forces conservatrices et traditionnelles d'autre part. Ce faisant, il entend désamorcer progressivement les manifestations hostiles et apparaître de nouveau comme le garant et défenseur de la religion.

 

  • La population mauritanienne est-elle empreinte d’une religiosité croissante ?

 

Le peuple mauritanien est musulman à 100 % et l’islam qui y est pratiqué a toujours été un islam de tolérance et de modération. Cependant, à l'instar du reste du monde musulman, le pays n’a pas échappé à la tendance à la radicalisation, alimentée et amplifiée par la force de projection et de financement des mouvances radicales et politiques des fondations originaires d'Arabie saoudite et des autres pays du Golfe. Grâce à des capacités de financement et de propagande importantes (flux de capitaux, chaînes satellitaires émettant depuis le Moyen-Orient, maîtrise des réseaux sociaux), ces fondations rigoristes ont pu diffuser et vulgariser les lectures et discours radicaux. En Mauritanie, la paupérisation croissante a poussé de larges segments de la population, et notamment les jeunes, vers la religion, perçue comme un refuge et l’espoir d’un avenir meilleur. Le régime d’Ould Abdel Aziz a encouragé cette tendance, en laissant se propager des mouvances religieuses radicalisées, par la création de d’institutions religieuses, par la réécriture de l'Histoire avec le développement d’un discours officiel glorifiant la « résistance au colonialisme » et par l'encadrement et l'amplification de la mouvance anti-Mkheitir.

 

  • Au-delà de l'aspect religieux, quels sont les principaux maux de la Mauritanie sur les plans économique et social ? Le pays peut-il renouer avec la démocratie dans un proche avenir ou est-il sur la voie d'une dérive autoritaire sans retour ?

 

Sur le plan social, la situation est difficile. Le taux de chômage est élevé, la paupérisation grandissante. Les inégalités sont de plus en plus criantes et les secteurs de la santé et de l'éducation sont dans un état déplorable. Quant à l'unité nationale, elle se trouve fragilisée dans une société pluriethnique où les plaies de la répression exercée en 1989 et 1991 contre les minorités négro-africaines ne sont pas encore cicatrisées et où le régime d’Ould Abdel Aziz exploite et exacerbe les divisions – ce qui alimente de nouvelles fractures sociales. Au niveau économique, le pays n’a pas su tirer profit des retombées importantes du renchérissement des prix des matières premières au cours de la période 2010-2014. Malgré le surplus financier que cela a généré, l'endettement s’est largement accru. Ainsi, l’encours de la dette mauritanienne s’élève désormais à 4,904 milliards de dollars, soit une progression de 153 % entre 2010 et 2015. Les inégalités sont aggravées par la patrimonialisation extrême du pouvoir et la mainmise absolue du chef de l’Etat, de sa famille et de sa formation tribale sur les ressources et l'économie nationales. Enfin, en matière de perspectives politiques, l'attention se focalise principalement sur  l'après-2019, date d’arrivée à échéance du deuxième et dernier mandat présidentiel, conformément à la limitation prévue par la Constitution. Nonobstant cette limitation, plusieurs personnalités du régime, dont le premier ministre, ont publiquement affirmé qu’Ould Abdel Aziz ne quitterait pas le pouvoir dans deux ans. Le référendum d'août portant révision constitutionnelle, malgré le rejet par le Sénat du projet de loi (ce qui légalement signifie l’arrêt du processus de révision), laisse planer le risque de modification des articles limitant à deux le nombre de mandats.

 

Le président de la Mauritanie, Mohamed Ould Abdel Aziz, lors de l’exposition « Trésors de l'islam en Afrique. De Tombouctou à Zanzibar », à l’Institut du monde arabe (IMA), à Paris, le 13 avril 2017 (Geoffroy Van der Hasselt/AFP).

 

Repères

 

  • Superficie  1 030 700 km².

  • Population : environ 4,3 millions d'habitants.

 

  • Capitale : Nouakchott.

  • Monnaie : l’ouguiya.

 

  • Fête nationale : le 28 novembre [en souvenir de la proclamation d'indépendance de la République islamique de Mauritanie, le 28 novembre 1960 (deux ans auparavant, la Mauritanie était devenue une République autonome au sein de la Communauté française)].

 

  • Communautés religieuses : musulmans sunnites (l'islam est religion d'Etat).

 

 

 

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