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​Des soldats philippins inspectent l’étendue des dégâts dans la cathédrale de Jolo (province de Sulu), lundi 28 janvier 2019, au lendemain de l’attentat qui a fait au moins 20 morts et plus de 100 blessés (Nickee Butlangan/AFP).

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Les Philippines rongées par le fléau du terrorisme

31 janvier 2019

La violence, encore et toujours, comme horizon unique et, semble-t-il, indépassable. En proie à une instabilité prégnante depuis des décennies, le sud tourmenté des Philippines – pays archipélagique majoritairement chrétien – connaîtra-t-il jamais une ère de détente ? Pour l’heure, en tout cas, cette perspective paraît chimérique. Il n’est qu’à voir l’attentat-suicide perpétré dimanche 27 janvier à Jolo, capitale de la province méridionale de Sulu (où l’islam prédomine), qui a fait au moins 20 morts et plus de 100 blessés.

 

Deux explosions ont secoué coup sur coup la cathédrale de Notre-Dame du Mont-Carmel : la première, pendant la messe, dans l’enceinte même du bâtiment ; la seconde, très peu de temps après, sur le parking extérieur, alors que des militaires arrivaient sur les lieux. Selon plusieurs témoins, la porte et les vitraux de l’édifice ont été pulvérisés.

 

La réaction du palais de Malacanang – siège de la présidence de la République philippine, à Manille – ne s’est pas fait attendre. Dans un communiqué, Salvador Panelo, le porte-parole du chef de l’Etat Rodrigo Duterte, a ainsi déclaré : « Nous poursuivrons jusqu’au bout du monde les cruels auteurs de ce crime ignoble, jusqu’à ce que chacun des tueurs soit amené devant la justice et mis derrière les barreaux. La loi sera sans pitié pour eux. »

 

« C’est le deuxième attentat-suicide revendiqué par l’Etat islamique [EI] par le truchement de son organe de propagande Amaq depuis celui perpétré par un ressortissant marocain à Lamitan, dans la province de Basilan (sud), le 31 juillet 2018 [10 morts] », souligne Rohan Gunaratna, professeur à l’Université technologique de Nanyang, à Singapour, et spécialiste des questions de sécurité et de terrorisme.

 

Dans tout le pays, les forces de police ont été placées en état d'alerte maximale, afin d’empêcher d’autres actes de terrorisme. Mercredi, cependant, la mosquée de Zamboanga (sud-ouest de l’île de Mindanao) a, elle aussi, été prise pour cible, à coups de grenade. Bilan : deux morts et quatre blessés, d’après l’armée. Dans un souci d’apaisement, des responsables politiques ont appelé à préserver l’unité interreligieuse.  

 

Malgré la revendication de l’EI, les autorités philippines, elles, pensent que l'attaque de dimanche a été commise par Ajang-Ajang, un groupe constitué de proches de membres d’Abou Sayyaf ayant été tués dans des affrontements avec les troupes gouvernementales. Née à l’orée des années 1990 sur fond de velléités séparatistes, cette organisation islamiste de sinistre réputation s’est spécialisée dans les enlèvements contre rançon et la piraterie maritime, deux activités particulièrement lucratives qui lui ont permis de gonfler son butin, mais aussi ses rangs.       

 

La piste évoquée par le pouvoir est également privilégiée par Rommel Banlaoi, président de l’Institut philippin pour la recherche sur la paix, la violence et le terrorisme. « Il [le groupe Ajan-Ajan] est la cible d'opérations de sécurité de haut vol et s’est spécialisé dans les représailles », a-t-il expliqué à l’Agence France-Presse, tout en précisant : « Si Abou Sayyaf a prêté allégeance à l'EI [en 2014], cela n'est pas forcément vrai de la totalité des membres d’Ajang-Ajang, une faction disparate. »

 

La tragédie de Jolo a-t-elle un rapport quelconque avec la large victoire des partisans de la création de la « région autonome bangsamoro dans le Mindanao musulman » lors du référendum du 21 janvier (1,7 million de votes pour le oui et seulement 254 600 pour le non) ? L'hypothèse d’un lien n'est pas totalement à exclure, car les électeurs de Sulu se sont prononcés contre. Le fait que le Front Moro islamique de libération (MILF), qui combat Abou Sayyaf aux côtés du gouvernement, soit vraisemblablement appelé à diriger l’autorité de transition de Bangsamoro pourrait aussi avoir nourri des griefs, en menaçant certains intérêts ou arrangements politiques.

 

Quoi qu’il en soit, l’attentat jette de nouveau une lumière crue sur le péril que le terrorisme islamiste fait peser sur l'Asie du Sud-Est. En juin 2017, déjà, à l’issue du Shangri-La Dialogue, forum international annuel sur la défense et la sécurité dans la zone Asie-Pacifique, créé en 2002, le ministre singapourien de la défense, Ng Eng Hen, l’avait qualifié de « préoccupation sécuritaire la plus importante ». Son homologue indonésien, Ryamizard Ryacudu, avait, pour sa part, évoqué une « menace [ayant] atteint un niveau d’urgence sans précédent ». « Ce sont des machines à tuer. Leur théâtre d’opération est désormais mondial », avait-il affirmé, estimant à environ 1200 le nombre d'affidés de l'EI aux Philippines.          

           

La bataille féroce livrée par Abou Sayyaf (qui, de son côté, ne compterait plus que 300 à 400 hommes liges) à Marawi, entre mai et octobre 2017, a rappelé le pouvoir de nuisance que conservait le groupe, en dépit des offensives répétées du gouvernement central pour l’éradiquer définitivement. Certes, il y a deux ans, les islamistes avaient été vaincus, mais cela s’était fait au prix d’un terrible bilan (plus de 1100 morts) et de la destruction de la ville...

 

Les services de renseignement, eux, s’inquiètent de la coopération croissante entre les islamistes locaux et des djihadistes venus d’ailleurs – d’Indonésie, de Malaisie, mais aussi d’Arabie saoudite, du Yémen ou de Tchétchénie. Leur crainte majeure ? Qu’un nouveau foyer comme celui de Mossoul (Irak) ou Rakka (Syrie) voie le jour et serve de base à la préparation d’opérations violentes. « Un certain nombre de groupes locaux ont embrassé l’idéologie de l’EI. Cela lui a permis d’y établir l’une de ses wilayats [province du « califat »]. Dans ces conditions, les gouvernements de la région, et au-delà, devraient coopérer avec le pouvoir philippin afin d’empêcher que ce noyau formé par Daech [l’acronyme arabe de l’EI] ne s’étende », prévient M. Gunaratna.

 

Pour faire face à cette hydre aux multiples excroissances, Rodrigo Duterte, quoi qu’il aime à se présenter comme un homme fort et impavide, a été obligé, non seulement de décréter la loi martiale, mais aussi de demander un appui étranger. En mai 2017, alors qu’il effectuait sa première visite officielle en Russie, il avait imploré son hôte, Vladimir Poutine, de lui livrer des armes. Ce dont le maître du Kremlin s’était réjoui, affirmant qu’« il y [avait] beaucoup de perspectives » économiques entre Moscou et Manille, notamment « dans le domaine militaro-technique ».

 

Dans le contexte présent, quel crédit accorder aux paroles du conseiller à la sécurité nationale, Hermogenes Esperon, lequel a assuré que le gouvernement ne permettrait pas aux poseurs de bombes de « gâcher la volonté de paix du peuple » ? Bien peu, sans doute. Après le drame de Jolo, en effet, les efforts menés conjointement par les autorités et les ex-rebelles musulmans pour tourner la page d’une insurrection vieille de près d'un demi-siècle et ayant fait 150 000 morts apparaissent plus que jamais fragiles.

 

 

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