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Crise syrienne : le pari risqué du Hezbollah

9 juin 2013​

Finis l'attentisme et les pudeurs qui prévalaient au printemps 2012. Depuis quelques semaines, le Hezbollah libanais a allègrement franchi le Rubicon en officialisant son soutien au régime syrien de Bachar Al-Assad. Dans son discours télévisé du 25 mai, le cheikh Hassan Nasrallah, qui dirige le mouvement chiite sans discontinuer depuis 1992, a clairement assumé cet alignement qui, pour beaucoup, relevait du secret de Polichinelle. « Nous allons continuer jusqu’au bout de la route. Nous acceptons cette responsabilité et les conséquences attendues de cette position », a-t-il déclaré. Et de promettre la « victoire » à son allié.​ ​

 

Si, lors des prémices du conflit, le Hezbollah a fait montre d’une certaine retenue, se contentant d’appuyer le pouvoir syrien par le truchement de conseils discrets dispensés aux forces loyalistes, il est désormais engagé en première ligne, les armes à la main. La reprise de la ville de Qoussair (centre-ouest), mercredi 5 juin, au terme de dix-sept jours d’âpres combats menés rue après rue, en a apporté la preuve éclatante. Sans l’intervention décisive du « Parti de Dieu », il est fort probable que l’armée syrienne aurait, sinon échoué, du moins peiné à reconquérir ce nœud stratégique proche du Liban et situé sur l'axe reliant Damas au littoral méditerranéen.​​ ​ ​

 

En jetant ses forces – sans doute plusieurs milliers d’hommes – dans la bataille pour la « libération totale » de la Syrie, conformément aux injonctions de son parrain iranien, le mouvement chiite avance en terrain miné, et ce pour plusieurs raisons. D’abord parce qu’une posture aussi tranchée ne peut qu’attiser les tensions interconfessionnelles déjà très vives qui minent la région. De fait, les extrémistes sunnites du Jabhat Al-Nosra [Front de la victoire, lié à Al-Qaïda], voués à la chute de Bachar Al-Assad et à la restauration de l’oumma [communauté des croyants musulmans], ont fait savoir que les membres du Hezbollah représentaient désormais « des cibles privilégiées ». « Nous traquerons le Hezbollah jusqu’en enfer », a scandé, en écho, le chef de l’Armée syrienne libre, Salim Idriss. ​ ​

 

A cette perspective, peu rassurante dans une atmosphère déjà profondément viciée, s’ajoute celle, non moins funeste, de voir les heurts opposant chiites et sunnites se multiplier sur le sol libanais. Au fil des mois, Tripoli, la grande ville du nord du pays, s’est muée en un théâtre d’affrontements « par procuration » entre pro- et anti-Assad. Arc-bouté sur ses positions, chacun des deux camps n’hésite pas à faire feu de tout bois pour prendre l'ascendant sur l'adversaire. Quitte à enrôler dans sa guerre des enfants issus de milieux marginaux. Beyrouth, la capitale, se laisse, elle aussi, gagner peu à peu par cette violence insidieuse. Dimanche 9 juin, un manifestant anti-Hezbollah a ainsi été tué par des tirs lors d'une échauffourée devant l'ambassade d'Iran. Dans ce contexte volatil, d'autres groupes djihadistes sunnites pourraient, eux aussi, être tentés d’intervenir, à l’image du Fatah Al-Islam [Conquête de l’islam] ou d’Usbat Al-Ansar [Ligue des partisans], établi près de Saïda (sud). ​ ​

 

Convaincu de la nécessité d’intervenir pour assurer sa survie, le Hezbollah joue enfin une partition délicate en termes de crédibilité. Davantage milice sectaire que mouvement de résistance, le « Parti de Dieu » tend à s'écarter de ce qui, jusqu'ici, représentait le cœur de sa doxa : la lutte à mort contre Israël. Bien que son seuil de tolérance soit élevé, et sa faculté de résilience particulièrement développée, la nouvelle dynamique qui se dessine pourrait l’affaiblir, tout comme la portée de son message. Naguère portée aux nues dans le monde arabe, y compris par les sunnites, pour sa bravoure face à l’État juif (comme lors du conflit de 34 jours de l'été 2006), Hassan Nasrallah est désormais plus proche de la roche Tarpéienne que du Capitole. D’aucuns, au sein de sa propre communauté, ont du mal à ne pas déceler une contradiction fondamentale entre sa volonté, maintes fois répétée, de défendre les Palestiniens et son soutien aveugle au régime tyrannique de Damas. ​

 

Après Qoussair, les forces de Bachar Al-Assad lorgnent désormais Alep (nord), la deuxième ville du pays. Mais la partie s’annonce autrement plus complexe, car les insurgés y sont mieux implantés et bénéficient de voies d'approvisionnement vers la Turquie. Laquelle soutient les « revendications » du peuple syrien et a déjà accueilli près de 400 000 réfugiés sur son territoire. Pour le Hezbollah, le danger est celui de l’enlisement. D’autant qu’à ce stade, le mouvement n’a aucune solution de repli ni stratégie de sortie de crise. La Syrie sera-t-il le Vietnam de Hassan Nasrallah et de ses nervis ? Ce scénario n’est plus totalement illusoire. ​

 

Aymeric Janier

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