Gadi Eizenkot assiste à la cérémonie annuelle en l'honneur du premier premier ministre d'Israël, David Ben Gourion, à Sde Boker (kibboutz situé dans le désert du Néguev), le 27 novembre 2014 (Amir Cohen/Reuters).
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Gadi Eizenkot et les futurs défis de l’armée israélienne
21 février 2015
Le passage de témoin s’est déroulé à Jérusalem, sous le patronage du premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, et en présence du ministre de la défense, Moshe Ya'alon, ainsi que de nombreux hauts responsables. Comme un symbole d'unité. Après avoir été promu lieutenant-général, Gadi Eizenkot, 54 ans, est devenu lundi 16 février le 21e chef d’état-major de l’armée israélienne (Tsahal ou IDF pour « Israel Defense Forces »), en remplacement de Benny Gantz, qui se retire après trente-huit années d’une carrière particulièrement riche.
Il y a quelques jours, le chef du gouvernement avait fait le panégyrique de M. Gantz, salué pour avoir su préserver l’Etat hébreu « en des temps troublés ». « Je souhaiterais vous remercier pour ces longues années passées au service de la sécurité d’Israël, et notamment ces quatre dernières années ; une période marquée par des soubresauts sans précédent à l’échelle régionale », avait-il déclaré. Et de dérouler le triptyque des périls guettant l’Etat hébreu : l’Iran, le Hezbollah – affidé chiite de Téhéran au Liban – et le Hamas (sunnite), contre lequel Tsahal a mené ses deux dernières opérations militaires d’ampleur à Gaza (« Pilier de défense » en novembre 2012 et « Bordure protectrice » en juillet-août 2014).
Au cours de ses quatre années de mandat, Benny Gantz, formé à l’école des parachutistes dès 1977, aura marqué l’IDF de son empreinte. « Il est arrivé à son poste au lendemain d’une profonde crise interne marquée par une guerre des généraux. Il a réussi à rétablir une véritable sérénité au sein de l'armée et, surtout, une confiance totale entre celle-ci et le ministre de la défense », observe Michaël Bar-Zvi, docteur en philosophie et ancien officier au sein d'une unité d’élite de Tsahal.
Sur le papier, le successeur de Benny Gantz jouit, lui aussi, d’une solide expérience. Incorporé au sein de l’IDF en 1978, Gadi Eizenkot, issu d’une famille modeste d’origine marocaine (1), a fait ses classes au sein de la brigade Golani, l'une des unités de commandos d’infanterie les plus prestigieuses du pays, qui a participé à tous les grands conflits de ces soixante dernières années : crise du canal de Suez (1956), guerre des Six-Jours (1967), guerre du Kippour (1973), opération Litani (invasion du Liban du Sud jusqu’au fleuve Litani, 1978) et intifadas palestiniennes. Ancien secrétaire militaire d’Ehud Barak, il a également dirigé, entre autres, la division Judée-Samarie (la Cisjordanie) de 2003 à 2005 et assuré le commandement de la région nord (2006-2011). Autant dire qu’il connaît la réalité du terrain...
Tenant d’une « armée forte », seul gage de victoire, selon lui, sur les champs de bataille, réels ou virtuels, il s’est dit prêt à relever tous les défis. Et dans une région minée de longue date par une extrême volatilité, ceux-ci sont légion. « Il y a d’abord la préparation d’un nouvel affrontement avec le Hamas, avec la nécessité de trouver une réponse efficace à la menace des tunnels [par lesquels les combattants du mouvement palestinien s'infiltrent clandestinement sur le sol israélien]. A cela s’ajoutent la gestion sécuritaire de la Judée-Samarie – surtout si, comme cela semble probable, le processus de paix avec les Palestiniens ne connaît aucune avancée – et le risque d’ouverture d’un nouveau front sur le Golan syrien avec le Hezbollah », estime M. Bar-Zvi. « Outre Gaza, Gadi Eizenkot devra s'assurer que la situation en Cisjordanie ne dégénère pas en conflit généralisé et protéger les frontières, notamment avec le Liban et la Syrie contre tout ennemi, qu'il s'agisse de forces régulières ou irrégulières », corrobore un historien militaire israélien sous le couvert de l'anonymat.
Mais c'est surtout sur l'ennemi iranien, parrain de la milice chiite aux 100 000 roquettes et missiles (selon l'IDF), que se cristallisent les regards des hiérarques politiques. M. Nétanyahou, qui, sous la bannière du Likoud (droite conservatrice), briguera un troisième mandat lors des élections législatives anticipées du 17 mars, a ainsi lancé : « Le Moyen-Orient s'écroule, les Etats se délitent et dans ce vacuum prospère un empire, l'Iran, qui aspire à se doter de l'arme nucléaire. »
Gadi Eizenkot s’inscrira-t-il dans la continuité de Benny Gantz ou privilégiera-t-il la rupture ? Michaël Bar-Zvi souscrit plutôt à la première option : « Etant tous les deux issus d'unités de commandos d'infanterie, ils partagent la même vision stratégique et tactique. Ils ont également des positions très proches sur la question iranienne et ne sont pas des fervents partisans d'une intervention à tout prix, mais seulement en dernier ressort. En outre, ils ont la même conception sur la nécessité de limiter autant que possible les interférences entre l’armée et le milieu politique », explique-t-il. « Le nouveau chef d'état-major n'a rien d'une tête brûlée ou d'un révolutionnaire. Il passe plutôt pour quelqu'un de compétent, capable de naviguer entre les cercles militaires et politiques sans se faire d'ennemis », précise une source bien informée au sein de l'IDF.
Dans un contexte de coupes budgétaires et de réduction d'effectifs, la tâche qui attend Gadi Eizenkot semble herculéenne. Réputé « humble et réaliste » par ses pairs, il n'en demeure pas moins un homme à poigne. De fait, il est à l'origine de la « doctrine Dahiya », du nom d'un quartier chiite de Beyrouth pilonné par l'aviation israélienne au cours de la guerre israélo-libanaise de 2006. La finalité de ce paradigme ? Prôner, dans un contexte de guerre asymétrique en milieu urbain, un usage « disproportionné » de la force pour mieux dissuader les velléités de l'adversaire. En octobre 2008, il avait d'ailleurs affirmé sans ambages : « Ce qui est arrivé à Dahiya arrivera à tous les villages d'où partent les tirs contre Israël [...] De notre point de vue, ce ne sont pas des villages civils, mais des bases militaires [...] Il ne s'agit pas d'une recommandation, mais d'un plan qui a été approuvé [...] S'en prendre à la population est le seul moyen de retenir Hassan Nasrallah (le secrétaire général du Hezbollah depuis 1992). »
Loyal, mais connu pour sa liberté de ton et d'opinion, Gadi Eizenkot devra, à en croire la plupart des observateurs, gérer un environnement (encore) plus hostile que son devancier. En sera-t-il capable ? Nul doute en tout cas qu'il aura besoin de toute son expérience pour parvenir à louvoyer efficacement entre les écueils qui ne manqueront pas de jalonner son parcours à la tête de l’IDF, forte d'environ 176 500 soldats d'active et 445 000 réservistes...
Aymeric Janier
(1) Son patronyme dérive du nom berbère Azankad.