Le milliardaire républicain Donald Trump s’exprime lors de sa première conférence de presse en tant que président élu des Etats-Unis, le 11 janvier 2017, dans la Trump Tower de New York (Timothy A. Clary/AFP).
Etats-Unis : Donald Trump ou l'ère de l'incertitude
22 janvier 2017
Nouveau commandant en chef, nouvelles priorités. Le 20 janvier, Donald Trump a été officiellement investi 45e président des Etats-Unis. Après huit années de gouvernance Obama, il a, semble-t-il, la ferme intention d'effacer l'héritage laissé par son prédécesseur. A bien des égards, la rupture point à l'horizon. A l'occasion de la passation de pouvoir qui vient de se dérouler, « Relations internationales : Etats critiques » évoque cinq dossiers diplomatiques brûlants dont le magnat républicain devrait se saisir à l'orée de son mandat.
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Les relations avec le Mexique et le Canada
Donald Trump l'a clamé à toute force au cours des mois qui ont précédé le scrutin présidentiel du 8 novembre : outre l'expulsion des clandestins délinquants installés aux Etats-Unis (dont il estime le nombre à environ deux millions), il souhaite ériger un mur à la frontière avec le Mexique. Motif invoqué : la prétendue mauvaise réputation de son voisin. « Quand le Mexique nous envoie des gens, il n'envoie pas les meilleurs éléments. Il envoie ceux qui posent problème. Ils apportent la drogue, ils apportent le crime. Ce sont des violeurs », avait-il lancé en juillet, sans s'embarrasser d'une quelconque pudeur diplomatique. Des propos qui, sans surprise, ont provoqué le courroux de Mexico.
Depuis, les tensions bilatérales ne se sont pas atténuées. Au cœur de la discorde, la volonté du milliardaire républicain de voir le Mexique prendre à sa charge le coût du mur, lequel pourrait avoisiner les 25 milliards de dollars. Impavide, le président Enrique Peña Nieto a déclaré que son gouvernement mènerait des négociations « ouvertes », où tout serait sur la table, qu'il s'agisse « de sécurité, d'immigration ou de commerce ». Les discussions, à l'évidence, s'annoncent houleuses, d'autant que M. Trump a aussi l'ambition de réviser, voire d'abroger l'accord de libre-échange nord-américain (Alena) qui, depuis 1994, réunit Etats-Unis, Mexique et Canada.
Avec Ottawa, la prise de contact s'annonce peut-être plus facile, quoique... En prévision de l'arrivée au pouvoir de Donald Trump, le premier ministre (libéral) Justin Trudeau a procédé à un vaste remaniement gouvernemental, le plus important depuis sa propre prise de fonction, en novembre 2015. Fait éloquent, Stéphane Dion, qui n'avait pas dissimulé son mépris pour la vision « trumpienne » (il avait notamment voué aux gémonies son projet d'interdire aux musulmans l'accès au territoire américain), a été remplacé par Chrystia Freeland à la tête de la diplomatie.
Cet aggiornamento ne doit rien au hasard : Mme Freeland, première femme à détenir le prestigieux portefeuille des affaires étrangères depuis Barbara McDougall, entre 1991 et 1993, passe pour être une habile manœuvrière. C'est elle notamment qui aurait contribué à sauver de l'échec le traité de libre-échange entre l’Union européenne et le Canada (CETA), en octobre. Son agilité d'esprit suffira-t-elle à amadouer l’impulsif Trump ?
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Le cas russe
A l'opposé de son prédécesseur, pas franchement enclin – doux euphémisme – à pactiser avec Vladimir Poutine, Donald Trump paraît vouloir nouer des relations plus étroites avec Moscou. Et qu'importe que la Russie puisse être à l'origine du cyberpiratage du Parti démocrate, ce qu'il a reconnu publiquement, donnant de facto raison à ses services de renseignement. L'impétrant républicain a de surcroît laissé entendre qu'il pourrait souscrire à une levée des sanctions imposées au Kremlin moyennant un appui dans la lutte contre les djihadistes. Le « reset » (redémarrage) des relations bilatérales, dont Obama s'était fait le chantre en 2009, va-t-il advenir pour de bon ?
Fût-elle réelle ou exagérée (nul ne le sait pour l'instant), la perspective d'un rapprochement entre les deux puissances suscite en tout cas des craintes exacerbées de la part des pays de l'Organisation du traité de l'Atlantique nord (OTAN) situés aux marches de la Russie. Les pays baltes (Lituanie, Lettonie, Estonie) et la Pologne redoutent notamment que l'irrédentisme russe ne se traduise par un scénario d'invasion – auquel, du reste, certains se préparent. Instruites par l'annexion à la hussarde de la Crimée, en mars 2014, et l'immixtion russe dans l'est de l'Ukraine, les autorités de Vilnius ont ainsi, par mesure prophylactique, distribué à la population des manuels de survie en cas d'agression.
Dans ce contexte volatil, le récent déploiement en Pologne de près de 4 000 soldats américains appartenant à la « Brigade de fer » de Fort Carson (Colorado), dans le cadre du renforcement de l'OTAN sur son flanc est (opération « Atlantic Resolve »), est certes source d'espoir. Mais il n'apaise pas totalement l'angoisse que suscite l'imprévisibilité de Donald Trump, capable dans le même temps d'affirmer que l'Alliance atlantique, née en avril 1949, est « très importante » et... « obsolète ». Une fois au pouvoir, le républicain va-t-il continuer à pointer du doigt les pays qui, selon lui, n'assument pas leur participation financière à l'organisation et, si oui, ira-t-il jusqu'à les mettre à l'index ?
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Le dossier israélo-palestinien
Pendant son double bail présidentiel, le démocrate Barack Obama aura entretenu des relations notoirement exécrables avec le premier ministre (conservateur) israélien, Benyamin Nétanyahou. Différence d'approche, différence de sensibilité. Comme d'aucuns le subodoraient, ce tandem désassorti s'est séparé sur un hiatus majeur. Le 23 décembre, le Conseil de sécurité de l'ONU a adopté la résolution 2334 « exigeant de nouveau d'Israël qu'il arrête immédiatement et complètement toutes ses activités de peuplement dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et respecte pleinement toutes les obligations juridiques qui lui incombent à cet égard ». La surprise est venue de ce que les Etats-Unis se sont abstenus lors du vote, une manière de faire entendre à l'Etat hébreu que soutien ne vaut pas suivisme aveugle...
Donald Trump, à l'inverse, a étalé au grand jour sa proximité avec Israël. Preuve de cette identité de vues, il a dit envisager le transfert de l'ambassade américaine de Tel-Aviv à Jérusalem. Une initiative qui, si elle se concrétisait, représenterait un séisme diplomatique majeur, en rupture totale avec la politique traditionnelle, non seulement de Washington, mais aussi de la communauté internationale, partisane d'un règlement négocié entre les parties belligérantes.
Surtout, un tel saut dans l'inconnu aurait des conséquences sécuritaires imprévisibles et mettrait assurément un coup d'arrêt à la solution à deux Etats dont Barack Obama s'était fait le promoteur dans son discours du Caire du 4 juin 2009 et que Benyamin Nétanyahou avait lui-même appuyée (avant de se rétracter) à l'université Bar-Ilan, dix jours plus tard. Le dédain affiché par « Bibi » pour la Conférence de Paris du 15 janvier – qualifiée de « futile » – à la faveur de laquelle plus de 70 pays ont réaffirmé leur attachement au principe de deux Etats vivant en paix côte à côte augure d'un enlisement durable des pourparlers...
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Le nucléaire iranien
Va-t-il être pérennisé ou, au contraire, vidé de sa substance ? L'incertitude plane sur le devenir de l'accord sur le nucléaire iranien, scellé à la mi-juillet 2015 à Vienne (Autriche) entre la République islamique et le groupe des « 5 + 1 » (Etats-Unis, Russie, Chine, Royaume-Uni, France et Allemagne), accord qui, le 16 janvier 2016, a abouti à une levée partielle des sanctions visant Téhéran en échange de la limitation de son programme atomique.
Jusqu'ici, Donald Trump n'a eu de cesse de fustiger ce texte qui, à ses yeux, représente une forme de renoncement. Reste à savoir si une remise à plat globale est dans les limbes. L'hypothèse est peu vraisemblable car elle placerait les Etats-Unis en porte à faux avec leurs partenaires, attachés à ce que le fragile rapprochement esquissé avec le régime chiite des mollahs ne soit pas anéanti.
En Iran même, les autorités défendent le statu quo avec âpreté. « Le dossier Barjam [acronyme persan désignant l'accord] ne sera pas rouvert. Nous ne le permettrons pas. C'est du reste une position que partagent tous les signataires », a tranché Majid Takhtravanchi, vice-ministre des affaires étrangères chargé des affaires européennes et américaines.
Le président Hassan Rohani n'est pas le dernier à embrasser cette posture, lui qui pourrait briguer un second mandat lors des élections législatives de mai. Pour l'heure, cependant, il s'efforce toujours de « vendre » l'accord à ses compatriotes comme une aubaine économique... ce qu'il est très loin d'être, eu égard à certaines restrictions persistantes d'ordre financier, à la frilosité des entreprises européennes à investir et à la résistance de la frange conservatrice du pays, qui répugne à toute ouverture.
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Le rapport à l’Asie
Alliance ne devrait pas rimer avec totale dépendance. Tel est le message que Donald Trump entend faire passer à ses alliés asiatiques, Japon et Corée du Sud en tête. L'objectif est de les amener, tout comme certains pays de l'OTAN, à investir davantage dans leur propre sécurité afin de soulager l'Oncle Sam. Une exhortation « respectueuse » qui cause un vif émoi à Tokyo et Séoul, à l'heure où tous deux sont confrontés à la poussée chinoise dans la région Asie-Pacifique – montée en puissance qui se manifeste, entre autres, par un expansionnisme territorial continu en mer de Chine méridionale.
La Chine, justement, pourrait bien être l'abcès de fixation principal de « l’ère Trump ». En choisissant d’officialiser son échange téléphonique avec la présidente de Taïwan, Tsai Ing-wen, au début du mois de décembre, le dirigeant républicain a pris le risque de franchir le Rubicon – ou, en l'occurrence, le Yangzi Jiang – avec le géant asiatique, qui considère Taïwan comme faisant partie intégrante de son territoire. La démarche est d'autant plus osée que Washington et Taipei n’ont plus de relations diplomatiques depuis 1979, lorsque Jimmy Carter a reconnu le principe de la « Chine unique ». Qu'à cela ne tienne, Donald Trump paraît être prêt à pousser les feux de la confrontation.
D’autres défis l’attendent aussi ailleurs. Le magnat va ainsi devoir se colleter avec l'extravagant (et non moins fruste) président des Philippines, Rodrigo Duterte, lequel a répété à qui voulait l'entendre qu'il était hors de question que Manille – lié à Washington par un traité de défense mutuelle datant de 1951 – devînt un vassal des Etats-Unis. Il aura aussi, à l’instar de son devancier, la difficile tâche de gérer la Corée du Nord et son tout-puissant dirigeant Kim Jong-un, personnage aussi capricant que lui.
Face aux rodomontades guerrières du maître de Pyongyang, qui au début du mois de janvier, a annoncé avec morgue que son pays « en était aux préparatifs finaux avant le premier test d’un missile balistique intercontinental [d'une portée supérieure à 5 500 kilomètres, donc potentiellement capable de toucher les Etats-Unis] », Donald Trump s’est contenté de garantir qu’aucun engin nord-coréen n'atteindrait jamais le sol américain. Mais, là encore, le flou prédomine sur ses futurs desseins. Preuve en est, il a d’abord qualifié Kim Jong-un de « fou », avant de se dire disposé à « manger un hamburger avec lui »...
Aymeric Janier