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Des manifestants défilent à Dacca, le 3 novembre 2015, lors d'une grève générale décrétée en réponse au meurtre de l'éditeur Faisal Arefin Dipan, un intellectuel bien connu au Bangladesh, qui publiait les ouvrages d'auteurs partisans de la laïcité et hostiles aux islamistes radicaux (Ashikur Rahman/Reuters). 

 

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Repères

 

  • Superficie  147 570 km².

 

  • Population : environ 160 millions d’habitants.

 

  • Capitale : Dacca.

 

  • Monnaie : le Bangladesh Taka.

 

  • Fête nationale : le 26 mars (fête de l’indépendance vis-à-vis du Pakistan, acquise en 1971) et le 16 décembre (fête de la Victoire face à l’armée pakistanaise).

 

  • Communautés religieuses : musulmans sunnites (89,7%), hindouisme (9,2%). Faible présence d’animistes, de chrétiens et de bouddhistes. L’islam est religion d’Etat depuis 1988.

 

 

 

« Le Bangladesh ne deviendra pas un Etat failli à court terme »

 

25 mai 2016

 

Au cours des dernières semaines, le Bangladesh (ex-Pakistan oriental) a été le théâtre de plusieurs assassinats. Blogueurs indépendants, défenseurs de la laïcité, militants de la cause homosexuelle ou encore chefs religieux issus de minorités : les victimes, parfois tuées en plein jour, à leur domicile ou dans la rue, avaient toutes pour point commun de ne pas souscrire à la définition de l'islam promue par les groupes islamistes radicaux, qui traquent sans relâche ceux qu'ils considèrent comme des « blasphémateurs ».

 

L’exécution par pendaison, à la mi-mai, de Motiur Rahman Nizami, chef du Jamaat-e-Islami, le principal parti islamiste, pour crimes de guerre en 1971 n’a fait qu’ajouter au climat de tension ambiant. Quels sont les ressorts de la violence religieuse qui sévit dans le pays ? Les islamistes sont-ils aussi puissants que d’aucuns le suggèrent ? Sous couvert d’anonymat, une analyste spécialiste de la région répond aux questions de « Relations internationales : Etats critiques ». 

 

>> Comment s’exprime la violence au Bangladesh ? 

 

Il existe deux formes de violences religieuses au Bangladesh : l’une est dirigée contre les minorités, à savoir : les hindous, les bouddhistes, les Ahmadis [cette communauté originaire d'Inde et se réclamant de l'islam considère son fondateur, Mirza Ghulam Ahmad (1835-1908), comme prophète et messie, ce qui la rend hérétique aux yeux des musulmans] et, plus récemment, les chiites ; l’autre vise les blogueurs, les athées, les guides spirituels (pirs) et les défenseurs de la laïcité.

 

D'un point de vue historique, ce sont les hindous qui ont été les premières victimes de la violence. Généralement, leurs propriétés étaient illégalement saisies par des accapareurs de terres qui agissaient en connivence avec l’administration au nom du Vested Property Act [l'Enemy Property Act adopté pendant la guerre indo-pakistanaise de 1965 a été abrogé et renommé Vested Property Act en 1972 ; une loi controversée permettant au gouvernement de confisquer la propriété d’un individu considéré comme ennemi de l’Etat]. Aujourd’hui encore, les lieux de culte hindous sont souvent pris pour cible. Les attaques contre les bouddhistes, elles, sont plus récentes : elles font écho aux violences perpétrées par les bouddhistes contre les musulmans au Myanmar (Birmanie).

 

Enfin, depuis 2013, les islamistes sont de plus en plus visibles. Ils n’hésitent pas à tuer au couteau ou à la machette ceux qui ne partagent pas leur vision de l’islam : les blogueurs laïques, les militants engagés en faveur de la culture, les défenseurs de la cause homosexuelle, sans oublier les pirs, qui s’attachent à renvoyer une image tolérante de l'islam. 

 

>> Quel est le véritable poids des islamistes dans le pays ? 

 

Les islamistes radicaux ne pèsent pas très lourd au Bangladesh (ils ne représentent que 10 à 12 % de l’électorat), mais la terreur qu’ils répandent a de lourdes conséquences. A l’origine, les partis islamiques ont éclos en 1977, après que le général Zia ur Rahman eut levé l’interdiction qui frappait les formations religieuses depuis l’indépendance [elles avaient été proscrites en raison de leur collaboration avec « l’occupant pakistanais » pendant la « guerre de libération » de 1971]. Ils sont entrés dans le jeu politique en 1990 et se sont alliés avec le Parti nationaliste du Bangladesh (BNP, créé en 1978), ce qui leur a permis de prospérer. Leur influence demeure toutefois limitée. 

 

>> Qu'en est-il des relations actuelles du Bangladesh avec le Pakistan ? Et avec l’Inde ? 

 

Le dialogue entre Dacca et Islamabad est tendu en raison des procès qui ont lieu pour juger les crimes commis pendant la guerre. Le Bangladesh a ainsi fustigé récemment l'attitude critique du Pakistan vis-à-vis d’un processus judiciaire qu’il considère comme une affaire interne relevant de sa souveraineté nationale.

 

Par comparaison, le gouvernement du Bangladesh entretient d’excellentes relations avec l’Inde. Les deux pays sont engagés dans divers projets bilatéraux et New Delhi a fourni en mars à Dacca une ligne de crédit de 2,8 milliards de dollars (environ 2,5 milliards d’euros) avec un taux d'intérêt inférieur à 1 % pour l’aider à développer ses infrastructures.

 

Leurs interactions ne se limitent pas là : ils coopèrent de manière étroite sur le plan sécuritaire, partagent des renseignements en matière de terrorisme, appartiennent au BBIN [coopération sous-régionale qui rassemble le Bangladesh, le Bhoutan, l’Inde et le Népal] et collaborent dans diverses initiatives liées à « l’économie bleue », c’est-à-dire tout ce qui touche aux ressources de la mer. 

 

>> Le gouvernement de Sheikh Hasina semble impuissant à endiguer les violences visant les minorités et les militants laïques. Comment l’expliquer ?

 

Dans le cas des violences faites aux hindous, cela tient au fait que de nombreuses personnes proches du gouvernement sont elles-mêmes impliquées dans l’accaparement des terres et les attaques perpétrées contre cette communauté. D'une manière plus générale, il semblerait que les autorités tiennent un double discours : d’un côté, elles affirment qu’elles font tout pour que les tueurs soient poursuivis en justice, mais, de l’autre, les enquêtes sont bâclées et la police peine à progresser.

 

De nombreux citoyens leur reprochent de ne pas faire preuve de sincérité, par calcul politique. Cela ne gêne pas le pouvoir d'accuser l'opposition d'être responsable des meurtres, alors même que les forces de sécurité arrêtent des membres du Jamaat-ul-Mujahideen Bangladesh [JMB, parti prônant l’instauration d’un Etat islamique fondé sur la charia].

 

Auparavant, lorsqu’un blogueur était tué, la première ministre se rendait dans sa famille pour présenter ses condoléances ; désormais, le gouvernement promet de poursuivre les assassins, mais affirme, dans le même temps, qu’il ne tolérera pas que l'on puisse heurter les sentiments religieux d'autrui. Cette posture met les criminels et les victimes sur le même plan. Il faut aussi garder à l’esprit le fait que les lois envers les blogueurs – dont les écrits sont souvent assimilés à de la pornographie – sont particulièrement dures

 

>> Comment envisagez-vous l'avenir de la laïcité dans le pays et, plus largement, celui du Bangladesh ? Est-il sur le point de devenir un Etat failli ? 

 

L’avenir de la laïcité au Bangladesh apparaît fragile. Certes, elle est ancrée dans la Constitution, mais cette dernière reconnaît aussi l’islam comme religion d’Etat. Cette contradiction transparaît dans l’attitude du gouvernement. Le recours subtil à la religion sape les fondements laïques. Pour l’heure, la société demeure majoritairement laïque, mais la montée en puissance des islamistes représente un défi. En commettant des meurtres barbares, ils cherchent à instiller la peur dans l'esprit de la population. Cela explique pourquoi ils n'ont pas été inquiétés après avoir tué des blogueurs dans certaines des rues les plus bondées de Dacca.

 

Toutefois, il convient de noter que le pays connaît une forte croissance économique d'environ 6 %. En outre, le gouvernement, même s’il a échoué jusqu’ici à protéger les militants laïques, tient fermement les rênes du pouvoir. A mon sens, le Bangladesh ne deviendra pas un Etat failli à court terme.

 

Propos recueillis par Aymeric Janier

 

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