top of page
 

Le président égyptien, Abdel Fattah Al-Sissi, lors d'une cérémonie de signature de contrats militaires avec la France, le 10 octobre 2015, au Caire (Kenzo Tribouillard/AFP).

 

Repères

 

  • Superficie 1 000 000 km².

 

  • Population : 86 millions d’habitants.

 

  • Capitale : Le Caire.

 

  • Monnaie : la livre égyptienne.

 

  • Fête nationale : le 23 juillet [en référence à la révolution des officiers libres du 23 juillet 1952 (dirigée par Néguib et Nasser), qui renversa le roi Farouk 1er et restaura la pleine indépendance du pays après soixante-dix ans de tutelle britannique].

 

  • Communautés religieuses : musulmans sunnites, chrétiens (Coptes, qui représentent entre 10 et 15 % de la population).

 

 

 

Egypte : « Al-Sissi n’avait pas besoin d’élections pour verrouiller le pays »

 

22 octobre 2015

 

Quatre ans après la révolution du 25 janvier qui a chassé du pouvoir Hosni Moubarak, l’Egypte fait face à un double défi, économique et sécuritaire avec la menace que font planer les djihadistes sur le plus grand des pays arabes. Dans ce contexte, la population était appelée aux urnes, les 18 et 19 octobre, à la faveur de la première des deux phases d’un scrutin législatif destiné à renouveler le Parlement (la deuxième phase se déroulera à la fin du mois de novembre). Au total, 54 millions de citoyens seront invités à s'exprimer.  

 

Ces élections peuvent-elles instiller un changement dans l’Egypte d’Abdel Fattah Al-Sissi ? Chercheur associé à la chaire « histoire contemporaine du monde arabe » au Collège de France, Tewfik Aclimandos livre son analyse à « Relations internationales : Etats critiques ». 

           

>> Quel est l'enjeu de ces élections législatives ?

 

Tewfik Aclimandos : L’enjeu est à la fois simple et complexe. Théoriquement, la nouvelle Constitution adoptée en 2014 confère au Parlement égyptien, qui fait office d’intermédiaire entre intérêts locaux et pouvoir central, des prérogatives sans précédent dans l'histoire du pays [il devra réviser toutes les lois promulguées depuis la dissolution de l’ancienne assemblée dominée par les islamistes, en juin 2012 ; il aura pour mission d’approuver le choix du chef du gouvernement effectué par le président de la République ; il pourra, sous réserve d’une majorité de deux tiers des députés, réclamer un référendum pour obtenir la destitution du chef de l’Etat...]. Le problème est que cela ne reflète pas la vie politique locale, qui est inexistante. A preuve, il n’y a pas de parti présidentiel... ce qui peut apparaître aussi comme une bonne chose dans la mesure où l’histoire a démontré qu’une telle formation [comme le Parti national démocratique à l’époque de Moubarak (1981-2011)] – était hégémonique et malhonnête.      

 

>> Des tendances se dégagent-elles quant à l’issue du vote ?

 

Tout laisse à penser que la liste « Pour l’amour de l’Egypte », considérée comme proche du président Abdel Fattah Al-Sissi, va l’emporter. Au vu des dernières indications, le parti salafiste Al-Nour, à l'inverse, est parti pour réaliser un mauvais score, ce qui est étonnant – car un taux de participation bas (26,56 % lors de la première phase) lui est généralement favorable – mais peut s'expliquer. Ses militants ne lui pardonnent peut-être pas son ralliement à la coalition du 30 juin (2013), qui a renversé Mohamed Morsi [le premier président démocratiquement élu de l’Egypte et issu des Frères musulmans]. Il se peut aussi qu’ils n’aient pas accepté l’idée de quotas de Coptes (chrétiens) et de femmes parmi les candidats.        

 

>> Qu’en est-il des Frères musulmans ?

 

Il y a des candidats issus de la Confrérie, mais celle-ci n’a pas le vent en poupe. Les trois quarts de l’opinion publique, y compris les salafistes, veulent s’en débarrasser. Le fait d’ôter tout pouvoir de nuisance aux Frères musulmans est l’une des raisons pour lesquelles les Egytiens sont favorables au pouvoir. Sans les Frères, je pense que le régime actuel aurait beaucoup plus de difficultés qu’il n’en a aujourd’hui. Beaucoup de citoyens sont très critiques vis-à-vis des priorités économiques fixées par le président, de sa politique de grands travaux (notamment son projet de nouvelle capitale administrative, située en plein désert, entre Le Caire et Suez) ou de la hausse sensible du coût de la vie. Bien que son équipe peine à convaincre, ils la soutiennent car ils ne souhaitent tout simplement plus entendre parler des Frères.  

 

>> Ce scrutin marque-t-il un retour en force des pratiques de l’ancien régime ?

 

Oui, il y a assurément des points communs, notamment au niveau des achats de votes. Comme par le passé, le pouvoir a tendance à fermer les yeux sur les pratiques qui l’arrangent et à traquer celles qui pourraient lui nuire.  

 

Quant à savoir si des vétérans de l’ère Moubarak vont faire leur retour au Parlement [qui comptera 596 députés], c’est une hypothèse tout à fait plausible, même si l'actuel pouvoir a tout fait pour les dissuader de se présenter, y compris en usant d’intimidation. Il faut comprendre que l'ancien régime s'appuyait sur des réseaux locaux incontournables ; des familles liées à l’Etat central, que celui-ci soit moubarakien, frère ou sissi-esque.      

 

>> Que pensent ces feloul (« résidus » du régime de Moubarak) d’Al-Sissi ?

 

Les avis sont contrastés. Les hommes d’affaires qui étaient proches de Gamal Moubarak sont hostiles au régime d’Al-Sissi, à la fois pour de mauvaises et de bonnes raisons. Commençons par les mauvaises raisons : l'actuel raïs leur demande de payer des impôts, ce qui n'était pas le cas lorsque Moubarak dirigeait le pays. Depuis qu’Al-Sissi est en fonction, le pouvoir est plus regardant sur la fraude fiscale. Il a tendance à faire intervenir le bras économique de l’armée, ce qui les oblige à réduire leur marge bénéficiaire. Ce ressentiment a aussi, cependant, des motifs légitimes : au regard des difficultés économiques du pays, l'Etat les paye souvent avec beaucoup de retard. En outre, ils n’ont plus d'interlocuteur clairement identifiable dans l'équipe du président comme au temps de son prédécesseur. La haute fonction publique, elle, est beaucoup moins réservée à l’égard d’Al-Sissi.

   

>> De nombreux observateurs estiment que ces élections ne sont destinées qu’à renforcer la mainmise d'Al-Sissi sur le pays. Partagez-vous ce sentiment ?

 

Non. Al-Sissi n’avait pas besoin de ces élections pour accentuer le verrouillage du pays. S'il a fini par les organiser, c'est parce qu'il a la certitude que le résultat lui sera favorable. Mais rien ne va changer, ni en mieux ni en pire. Et si quelque chose doit changer, je pense que ce sera plutôt en mieux. En effet, si par hasard le scénario espéré par Al-Sissi ne se concrétisait pas, un contre-pouvoir pourrait émerger. Il faut savoir qu’en Egypte, c’est surtout le droit de s’associer ou de manifester qui est très encadré. La presse en général est assez libre et, quand elle ne l’est pas, c’est parce que la justice s’en mêle, non parce que le pouvoir cherche à la museler. Cela étant dit, je ne veux pas absoudre totalement le régime : il lui arrive d’avoir envie de tailler des croupières à certains journalistes...      

 

>> Que pensent les Egyptiens de ces élections ?

 

Le piètre taux de participation est éloquent. Si peu de personnes se sont déplacées jusque dans les bureaux de vote, c’est parce qu’elles ne voient pas ce que cela va leur apporter. L’image que les Egyptiens ont de leur Parlement est comparable à celle que le général de Gaulle avait en son temps de l’ONU – un « machin », dont personne ne sait exactement à quoi il sert...

 

Le fait que, malgré l’appel à voter du président, l’abstention soit très élevée, est interprété de diverses manières. Pour certains, c’est un désaveu patent, pour d’autres un avertissement, pour d'autres encore la preuve que la population, plutôt satisfaite, ne veut pas d'un Parlement susceptible de lui créer des ennuis. Le pays en a peut-être assez de sa classe politique. Reste à savoir si cela inclut ou non Al-Sissi. 

 

Ces derniers temps, sa cote de popularité a beaucoup baissé, même si elle demeure élevée. D’un côté, l’opacité totale de la justice et la vie chère jouent en sa défaveur. De l’autre, les Egyptiens lui savent gré de ne pas céder de terrain dans la lutte face aux djihadistes dans le Sinaï. Exception faite des islamistes, il existe d’ailleurs un consensus national à ce propos. La population est également très fière du Canal de Suez, récemment élargi.         

 

>> Quatre ans après la révolution du 25 janvier, où en est le pays ?

 

La vie culturelle est beaucoup plus active qu’auparavant. La population, quant à elle, est plus politisée et n’est plus disposée à accepter les mensonges qu'on lui sert. Après leur passage au pouvoir de 2012 à 2013, qui fut un désastre absolu, les Frères musulmans ont perdu toute légitimité politique et religieuse, au moins pour quelque temps. Ce qui m’inquiète, c’est que l’appareil d'Etat pense que la solution est un retour du nassérisme et de son caractère autoritaire. Moubarak interdisait tout, mais tolérait beaucoup. Le régime actuel est moins tolérant. Pour l’heure, cela passe. Mais qui sait combien de temps le peuple le supportera ? Vous ne pouvez pas réprimer ses libertés et ne rien lui donner en échange pour améliorer ses conditions de vie...         

 

Propos recueillis par Aymeric Janier  

 

bottom of page