Des enfants assistent à un cours à Yambio, capitale de l'Etat de l'Equatoria-Occidental, le 3 juin 2015, dans le cadre d'une campagne de scolarisation menée par l'Unicef. Celle-ci vise à (ré)intégrer dans le système éducatif près de 400 000 enfants à travers le pays (Charles Lomodong/AFP).
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Repères
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Superficie : 644 000 kilomètres carrés.
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Population : environ 12 millions d'habitants.
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Capitale : Djouba (ou Juba).
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Monnaie : la livre sud-soudanaise.
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Fête nationale : le 9 juillet (en référence au 9 juillet 2011, date de naissance officielle de la République du Soudan du Sud, 193e Etat de l'ONU).
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Communautés religieuses : majorité chrétienne, minorités musulmanes et animistes.
Soudan du Sud : le calvaire d'une enfance sacrifiée
24 juin 2015
D'eux et de leurs souffrances muettes, on ne parle guère. Ou si peu. Victimes oubliées, les enfants paient pourtant un lourd tribut aux conflits qui ensanglantent le monde. Le drame qui se joue au Soudan du Sud, jeune Etat ayant arraché au forceps son indépendance vis-à-vis du Soudan à l'été 2011, ne fait hélas pas exception à la règle. Depuis la mi-décembre 2013, ce pays pauvre d’Afrique orientale est le théâtre d’une guerre ouverte entre la soldatesque du président Salva Kiir, un Dinka, et les hommes liges de Riek Machar, un Nuer, ancien vice-président tombé en disgrâce après avoir prétendument fomenté un coup d’Etat.
Pris dans le feu d’une guerre qui a déjà fait des dizaines de milliers de morts et plus de deux millions de déplacés (soit environ un sixième de la population), les enfants subissent, impuissants, la violence mortifère des combats. Pire, ils seraient victimes d’exactions caractérisées. Dans un communiqué rendu public le 17 juin, le directeur général de l’Unicef, Anthony Lake, a ainsi dressé un tableau particulièrement alarmant de la situation. « Au moins 129 enfants de l'Etat d’Unité (nord) ont été tués en seulement trois semaines, en mai. Des survivants racontent qu'on a laissé des garçons émasculés se vider de leur sang. Des fillettes d’à peine huit ans ont été violées collectivement puis assassinées », écrit-il.
La litanie de l'horreur ne s’arrête pas là. « Des enfants ont été attachés les uns aux autres avant que leurs agresseurs ne leur tranchent la gorge. D'autres ont été jetés dans des bâtiments en feu », ajoute le responsable onusien qui, « au nom de l’humanité et de la décence la plus élémentaire », appelle à ne plus prendre pour cible des innocents. Violence gratuite ou tuerie calculée ? Difficile de le dire, tant les informations sont parcellaires.
« Apparemment, il s’agirait de représailles exercées à l’encontre des Nuer par l'armée gouvernementale. La méthode est tout à fait nouvelle. Jusqu’ici, les affrontements entre ethnies Nuer et Dinka, dont la relation est un mélange complexe de concurrence et de collaboration, n’avaient pas atteint un tel degré de férocité », explique Christian Delmet, ethnologue et chercheur associé au Centre d’études des mondes africains (CEMAf). « Dans les chroniques de guerre du Soudan du Sud, et même du Soudan, je n’ai jamais rien vu de tel », précise-t-il. D’ordinaire, les enfants étaient enrôlés dans la troupe ou comme bergers, mais pas tués de sang-froid, qui plus est dans des conditions aussi atroces.
Les commandants fidèles à Salva Kiir auraient-ils voulu faire passer un message ? « C’est possible, d’autant que, ces dernières semaines, plusieurs caciques de l’armée ont fait défection. Ce serait alors une manière de dire aux rebelles : ‘arrêtez vos manœuvres ou nous éliminerons indistinctement les vôtres (les Nuer), hommes, femmes et enfants' », analyse M. Delmet, qui conserve malgré tout une certaine prudence : « Cela peut aussi être interprété comme un règlement de comptes limité à la région de Bentiu. »
Naguère, un tel déchaînement de violence aurait été difficilement envisageable. Et pour cause : des « prophètes » faisaient office d’agents médiateurs, transcendant les clivages claniques et tribaux pour porter un message d’unité. Forts de leur charisme et d’une autorité respectée, ils pouvaient intervenir en cas d’incident grave. A mesure que la voix de ces « pacificateurs » s’est tue, certaines limites ont sauté...
Dix-huit mois après le déclenchement des hostilités entre Salva Kiir et Riek Machar, les garçons qui n’ont pas subi la loi des armes les portent en bandoulière pour le compte d’obscurs chefs militaires. Le pays compterait ainsi près de 13 000 enfants soldats disséminés à travers de nombreuses factions. Ceux qui n’ont pas encore l’âge de combattre singent dans leurs jeux ce qu’ils voient au quotidien. « Avant, ils fabriquaient des animaux en terre et mimaient des scènes de la vie sociale. A présent, leurs jouets sont des tanks et des avions. Ils reproduisent leur réalité : la guerre, la violence », observe Christian Delmet.
Les filles, elles, sont soumises à d’autres formes de pression. En 2013, Human Rights Watch estimait ainsi, dans un rapport très documenté, que 48 % des Sud-Soudanaises de 15 à 19 ans étaient mariées de force, voire dès l'âge de 12 ans. Des unions précoces pourtant proscrites, en théorie, par le « Child Act » de 2008. L'ONG soulignait que cette pratique, ancrée dans la culture nationale pour des raisons essentiellement financières, était nuisible à leur développement personnel en les exposant à la violence conjugale et en les tenant éloignées du système éducatif. Preuve en est, d’après l’Unicef, seules 6 % d’entre elles allaient au bout de l'école primaire, l’un des taux les plus bas du monde.
A cela s'ajoute un autre drame, humanitaire celui-là. Avant d'être expulsé par les autorités sud-soudanaises, au début du mois de juin, pour avoir prédit « l'effondrement total » du pays, le représentant de l'ONU, Toby Lanzer, avait souligné « qu'un enfant sur trois [était] sévèrement sous-alimenté et que 250 000 risqu[aient] de mourir de faim ». Cette famine découle, non des conditions climatiques difficiles, mais de l'extrême brutalité des affrontements entre loyalistes et insurgés, qui ont eu – et continuent d'avoir – un impact désastreux sur l'activité agricole.
Face au calvaire enduré par les enfants sud-soudanais, certaines ONG, comme l'Unicef, s'efforcent d'apporter des solutions concrètes. A travers des programmes de démobilisation/réinsertion pour les enfants soldats et de scolarisation. Objectif affiché : (ré)intégrer dans le système éducatif près de 400 000 enfants. La tâche est titanesque car, en cinquante ans, le Sud n'a pas développé ses infrastructures, qu'elles soient institutionnelles, hospitalières ou scolaires.
Ce manque patent d'investissement dans l'avenir s'explique par l'impéritie des élites dirigeantes. « Lorsque la paix entre le Soudan et l'Armée populaire de libération du Soudan (forces armées du Soudan du Sud) a été scellée, en 2005, John Garang a envoyé ses compagnons d'armes se former au pouvoir en Afrique du Sud et au Kenya, mais ces militaires se sont révélés par la suite incapables de gouverner. Ils n'ont pas su faire participer la société civile à l'administration du pays, d'où la tragédie actuelle », argumente M. Delmet.
Désenchantée, sevrée de perspectives, la jeunesse se cherche un avenir ailleurs. Du moins celle qui le peut. « Seuls les 'broussards' sont restés, c'est-à-dire les petits paysans, les petits éleveurs. Eux se sont déplacés et vivent dans des camps où il n'y a pas de travail. Ils tirent leur subsistance de ce que produisent les troupeaux et les récoltes », note M. Delmet. Les autres, ceux qui ont eu l'heur de suivre une formation supérieure, sont déjà partis. Ils sont installés en Europe, aux Etats-Unis, au Canada ou encore en Australie.
Supplantant l'euphorie d'il y a quatre ans, le désespoir semble s'être installé durablement au Soudan du Sud. Ses racines sont profondes. Et le pronostic de Christian Delmet n'incite guère à l'optimisme : « Salva Kiir et Riek Machar pourront difficilement se réconcilier car le fossé de haine qui les sépare est trop grand. L'idéal serait qu'une nouvelle génération émerge et prenne leur place. Mais y en a-t-il seulement une au sein de l'appareil du parti et de l'armée ?»