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La chancelière allemande, Angela Merkel, arrive sur les lieux de l'attentat du marché de Noël, le 20 décembre 2016. Sur la pancarte, à gauche, on peut lire : « Berlin touchée au cœur » (Maurizio Gambarini – DPA/AFP).

 

Allemagne : Angela Merkel au défi du pragmatisme

 

5 janvier 2017

Après l'ère de l'insouciance est venue, presque inévitablement, celle du réalisme froid et des remises en question. A la fin d'août 2015, Angela Merkel assurait, la voix ferme, à la face de ses contempteurs : « Wir schaffen das ». « Nous y arriverons. » Une formule lancée par la chancelière conservatrice allemande pour signifier que son pays saurait répondre efficacement à la crise migratoire frappant l'Europe – la pire que le continent ait connue depuis la deuxième guerre mondiale. Le pari était osé, voire, diront certains, irréaliste.

 

Aujourd'hui, celle que les Allemands appelaient affectueusement « Mutti » (maman) en raison de son caractère rassérénant et sans affectation fait face à une donne tout à fait différente qui l'a contrainte à réviser en partie sa position. Car 2016, annus horribilis, est passée par là.

 

Il y a d'abord eu les agressions sexuelles de masse commises à Cologne (ouest) lors de la Saint-Sylvestre : 650 femmes victimes d'attouchements et de viol par des individus principalement issus d'Afrique du Nord. Choc et effroi dans une ville d'ordinaire réputée pour sa chaleur de vivre au moment des fêtes. 

 

Puis, à l'été, l'autoproclamé Etat islamique (EI) est passé à l'offensive. Le 18 juillet, un jeune réfugié, d’origine vraisemblablement afghane, blessait quatre personnes à la hache dans un train près de Würzburg, en Bavière (sud). Six jours plus tard, un autre réfugié, cette fois d'origine syrienne, se faisait exploser dans un restaurant près d’un festival de musique à Ansbach, toujours en Bavière. Bilan : quinze blessés.

 

Enfin, le 19 décembre, le Tunisien Anis Amri, au volant d'un camion bélier, fauchait 12 vies sur le marché de Noël de Berlin, lieu ô combien symbolique. A chaque fois, la même revendication, venue d'Amaq, l'organe de propagande de l'EI. 

 

La contiguïté temporelle de ces événements a eu l’effet d’un éveilleur de conscience. Jusqu'alors, l'Allemagne considérait les féaux d'Abou Bakr Al-Baghdadi comme une menace extérieure. Certains signes avant-coureurs auraient pourtant dû l'alerter. Tel ce montage photographique daté de mars, où un djihadiste en tenue militaire, de dos, regarde l'aéroport de Cologne avec ce message dénué de toute équivoque : « Ce que tes frères ont accompli à Bruxelles (l'aéroport de Zaventem a été la cible le 22 mars d'attentats-suicides qui ont fait 32 morts et environ 340 blessés), tu peux l'accomplir aussi ». Ou ce faux cliché représentant les bureaux de la chancellerie enveloppés par les flammes et accompagné de cette légende comminatoire : « L'Allemagne est un champ de bataille »

 

Face à la douloureuse évidence des faits, Angela Merkel s'est amendée, sans toutefois se dédire complètement. Certes, elle a pris, à la mi-septembre, ses distances avec son slogan d'antan – devenu « creux parce que l'on a mis trop de choses dedans », selon ses propres termes –, mais elle n'a pas non plus coupé le robinet migratoire.

 

Reste que sa politique généreuse en la matière, et plus largement la Willkommenskultur (culture de l'accueil) à l'allemande, n'emporte plus l'adhésion. Les images de simples citoyens affluant dans les gares, le sourire aux lèvres, avec des pancartes clamant « Refugees welcome ! » (« Bienvenue aux réfugiés ! ») ont disparu.  

 

Sur le plan comptable, Berlin a veillé à ce que le flux, sans se tarir, se réduise fortement. La fermeture de la « route des Balkans », itinéraire naguère privilégié par les migrants, et l'accord âprement négocié en mars entre l'Union européenne et la Turquie – dont Mme Merkel a été l'un des principaux maîtres d'œuvre – y ont contribué.

 

Corollaire : entre janvier et septembre, l'Allemagne n'a accueilli « que » 213 000 candidats à l’asile contre 577 000 au cours de la même période en 2015 – année qui avait vu l'arrivée de 890 000 requérants sur le territoire national, un record. 

 

Habituée à ce que les critiques glissent sur elle sans aucune prise, ce qui lui a valu le surnom de « chancelière Téflon », Angela Merkel a vu, ces derniers mois, son aura s'effriter et, par un effet de vases communicants, la pression s'accroître. Et pas seulement de la part du SPD, le parti social-démocrate dirigé par Sigmar Gabriel et au côté duquel elle gouverne dans une grande coalition noire-rouge (1).

 

Dans les rangs de l'Union chrétienne-démocrate (CDU, droite), qu'elle préside, sa mansuétude sur le dossier migratoire a suscité également de vives crispations. L'Union chrétienne-sociale (CSU), sœur bavaroise de la CDU, n'a pas hésité à la défier sur ce terrain, réclamant un plafond de 200 000 personnes par an. Une exhortation demeurée pour l'heure lettre morte.    

 

A l'approche des élections législatives de septembre, la chancelière, réélue à la tête de la CDU en décembre lors du 29e Congrès du parti à Essen (ouest) avec 89,5 % des voix – son plus « faible » score depuis le Congrès de Düsseldorf (88,4 %) en 2004, qui préludait à sa prise de pouvoir – sait qu'elle joue une partie serrée.

 

Sur le papier, elle demeure favorite pour un quatrième mandat faute de rival vraiment sérieux, du moins pour le moment. Pour autant, la formation nationaliste et anti-immigration Alternative pour l'Allemagne (AfD), déjà représentée dans dix des seize Parlements régionaux, est en embuscade.

 

Ses derniers succès électoraux dans les Länder (Etats-régions) de Mecklembourg-Poméranie-Occidentale (nord, 20,8 % des suffrages lors des élections locales du 4 septembre) et de Berlin (14,2 % des voix, le 18 septembre) attestent cette dynamique. Le reflet d'une Allemagne divisée et pétrie de doute, qui, malgré elle, a perdu son innocence..

 

Aymeric Janier

(1) Le noir est la couleur de la CDU/CSU, le rouge celle du SPD.

 

 

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