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Les négociations sur le Brexit (la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne) ont relancé la vieille pomme de discorde entre Britanniques et Espagnols à propos de la souveraineté sur le rocher de Gibraltar, ici photographié le 17 mars 2016 (Jorge Guerrero/AFP).

 

 

Infographie AFP

 

Gibraltar, le Rocher de la discorde

4 avril 2017

 

Il n’aura guère fallu de temps avant que les esprits s’échauffent et que certaines langues acérées se délient. Quelques jours seulement après qu’elles eurent activé l’article 50 du traité de Lisbonne lançant formellement le processus de retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne (UE) – lequel devrait en théorie s’étaler sur deux ans – les autorités britanniques sont montées au créneau pour défendre Gibraltar. 

 

A l’origine de cette réaction épidermique, un document présenté en fin de semaine dernière par le président du Conseil européen, Donald Tusk. Celui-ci dispose que l’Espagne devra donner son aval pour que tout accord, notamment commercial, négocié par le Royaume-Uni dans le cadre du Brexit puisse s’appliquer au territoire britannique ultramarin (cédé à la Couronne en 1713 en vertu du traité d’Utrecht) situé à la pointe sud de la péninsule ibérique et revendiqué par Madrid. 

 

En juin dernier, les quelque 33 000 résidents du Rocher avaient voté à près de 96 % pour le maintien au sein de l’UE (« Remain ») – aux antipodes du vote anglais, favorable au désarrimage avec Bruxelles (« Leave ») à 51,9 %. Cela ne les empêche pas pour autant de se sentir britanniques. Il n’est qu’à voir le centre-ville pour s’en convaincre : les rues sont bordées de cabines téléphoniques rouges emblématiques du style britannique et les bobbies, ces policiers à la coiffe reconnaissable entre toutes, y patrouillent au quotidien...

 

Les Gibraltariens ne sont pour l’heure guère disposés à briser le statu quo pour un aventurisme de mauvais aloi. Pas plus qu’ils ne l’étaient auparavant. En novembre 2002, ils avaient déjà rejeté par référendum la perspective d’une souveraineté partagée avec l’Espagne à... 98,97 %. Certes, de l’aveu même de Londres, ce vote n’avait aucun poids juridique, mais il reflétait malgré tout une inclination évidente à la préservation de l’ordre établi. En septembre 1967, lors d’une précédente consultation, organisée sous l’ère franquiste, plus de 99 % avaient refusé net de passer sous la souveraineté de Madrid.  

 

Aujourd’hui secouée par la « bombe Brexit », comme titrait en une le quotidien anglophone local Panorama, lundi 3 avril, la presqu’île de 7 kilomètres carrés est de nouveau au centre de toutes les attentions, et plus encore des convoitises espagnoles. Ce qui ne manque pas de provoquer les cries d’orfraie d’une partie de la classe politique britannique, notamment conservatrice. 

 

Fer de lance du Brexit et chef de la diplomatie, le très capricant Boris Johnson a allumé la première mèche. Dans le Sunday Telegraph, l’ancien maire de Londres (de 2008 à 2016) a assuré que « Gibraltar [n’était] pas à vendre, ne [pouvait] pas se marchander et ne [serait] pas soldé ». Lord Howard, vieux routier du parti tory, qu’il a dirigé entre 2003 et 2005, est allé encore plus loin, en jouant les brandons de discorde.

 

Dans un entretien à la chaîne Sky News, il a affirmé que la première ministre, Theresa May, ferait preuve de la même « détermination » que Margaret Thatcher en 1982. Cette année-là, la « Dame de fer » était partie en guerre contre l’Argentine pour préserver l’hégémonie britannique sur les Malouines (Falklands, en anglais) dans l’Atlantique Sud. Une opération militaire de deux mois qui s’était soldée, en juin, par une victoire britannique au prix d’environ 900 morts (650 côté argentin, 250 côté britannique).

 

Face à cette saillie, que Mme May a détournée par l’humour en disant préférer le dialogue au conflit (« Jaw-Jaw is better than war-war »), le chef de la diplomatie espagnole, Alfonso Dastis, a riposté, en se disant « surpris du ton adopté au Royaume-Uni, un pays connu pour son flegme ». Les libéraux-démocrates et travaillistes britanniques, eux, avaient pris le contre-pied des Tories, dénonçant, qui les « rodomontades gouvernementales », qui des « déclarations incendiaires ».  

 

Pris dans ce duel de mots, les frontaliers sont les plus inquiets. Et pour cause : ils sont près de 10 000 à se rendre chaque jour à Gibraltar pour y travailler. Pour eux, tout changement pourrait avoir un impact majeur. Cela avait déjà été le cas en 1969, lorsque Francisco Franco avait fermé de son propre chef la frontière terrestre, contraignant habitants et marchandises à emprunter la voie des mers ou des airs. Le blocage avait perduré jusqu’en 1985, époque à laquelle l’Espagne, en pleines négociations pour rejoindre les rangs de l’UE (elle adhéra à l’Union l’année suivante), avait consenti à relâcher son étreinte.

 

Vu le contexte post-Brexit, et les tentations sécessionnistes qui l’accompagnent – en Ecosse et en Catalogne, particulièrement –, il est loisible de penser que le Royaume-Uni fera tout pour préserver sa mainmise sur le Rocher. D’autant que certains, outre-Manche, cultivent toujours sans le dire une vieille nostalgie de l’empire, déjà mutilée par la perte de l’Inde, en 1947. Quant à l’Espagne, il est peu probable qu’elle renonce à ce qui semble être devenu pour elle une arme de négociation...

 

 

 

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