top of page
 

Le nouveau premier ministre indien, Narendra Modi (à droite), s'est entretenu avec son homologue pakistanais, Nawaz Sharif, le 27 mai à New Delhi, afin de désamorcer les tensions toujours très vives entre leurs pays, tous deux détenteurs de l'arme nucléaire depuis 1998 (Raveendran/AFP).

 

 

 

Version en anglais (publiée sur le site américain du Huffington Post)

 

 

 

 

Des Indiens passent devant une sculpture en sable créée par l'artiste Sudarsan Pattnaik sur la plage de Puri (Etat d'Odisha, Est) et représentant les premiers ministres indien, Narendra Modi (à gauche), et pakistanais, Nawaz Sharif, le 25 mai. Dessus figure le slogan "Peace gets a chance" ["Une chance pour la paix"] (Asit Kumar/AFP).

 

 

« L'Inde et le Pakistan ne sont pas enclins aux concessions »

 

30 mai 2014​

Dix jours après son écrasante victoire aux élections législatives indiennes [sa formation, le Bharatiya Janata Party (BJP), a glané 282 des 543 sièges à la Lok Sabha, la chambre basse du Parlement], le nationaliste hindou Narendra Modi a officiellement prêté serment, lundi 26 mai, comme nouveau premier ministre. Une cérémonie d’investiture empreinte de solennité, à laquelle était convié un vaste aréopage de personnalités, dont son homologue pakistanais Nawaz Sharif, une première remarquée depuis la partition du sous-continent, à l’été 1947.

 

Cette politique de la main tendue peut-elle contribuer à forger une relation plus apaisée entre New Delhi et Islamabad, marquée par des décennies d’animosité, voire de franche hostilité ? Les deux frères ennemis, qui, par le passé, se sont déjà livré trois guerres (1947-48, 1965, 1971), sauront-ils remiser rancœurs et rancunes pour écrire un nouveau chapitre de leur histoire ? L’analyste pakistanais Malik Siraj Akbar, installé à Washington, tente de décrypter ce qui attend le tandem Modi-Sharif, dans un contexte régional troublé.

 

>> Comment interprétez-vous le geste de Narendra Modi à l'égard de Nawaz Sharif ? 

 

Malik Siraj Akbar : Narendra Modi a remporté une victoire historique. Le BJP voulait marquer cet événement en grande pompe, c'est pourquoi il a convié les chefs d'Etat et de gouvernement de la région [les dirigeants de l'Afghanistan, du Bangladesh, du Népal et du Sri Lanka, entre autres, ont fait le déplacement dans la capitale indienne]. Le Pakistan, en raison de l'importance qu'il revêt aux yeux de l'Inde, ne pouvait être décemment ignoré. Cela aurait défrayé la chronique et M. Modi aurait été aussitôt dépeint comme un dirigeant antipakistanais.

 

>> Narendra Modi, qui se présente lui-même comme un « nationaliste hindou », peut-il faire avancer la cause du rapprochement entre l'Inde et le Pakistan ?

 

D'un point de vue historique, le BJP a toujours entretenu de meilleures relations avec le Pakistan que le Parti du Congrès de la dynastie Nehru-Gandhi. Cependant, le contexte est sensiblement différent par rapport aux années 1990 lorsque le premier ministre indien de l'époque, Atal Bihari Vajpayee, lui aussi membre du BJP, avait signé avec son homologue, Nawaz Sharif, la Déclaration de Lahore, en février 1999 [celle-ci visait à rapprocher les deux pays et à favoriser le dialogue pour régler notamment le contentieux du Cachemire]. Aujourd'hui, de vives tensions opposent les deux pays sur les questions de sécurité régionale.

 

L'Inde souhaite que le Pakistan fasse preuve de davantage de transparence dans sa manière de gérer l'épineux dossier des groupes terroristes islamistes comme le Lashkar-e-Taiba, accusé d'avoir perpétré les attentats de Bombay en novembre 2008 (166 morts). Quant au peuple indien, il attend surtout de Narendra Modi qu'il protège le pays contre d'autres attaques potentielles. De son côté, le Pakistan s'inquiète de l'influence grandissante de l'Inde en Afghanistan et de son soutien présumé aux nationalistes (séparatistes) de la province du Baloutchistan. Or, chaque partie rejette les allégations de l'autre. Cela prouve que New Delhi et Islamabad ne sont pas enclins à faire des concessions sur ces points pourtant cruciaux.  

 

>> A présent que Narendra Modi est au pouvoir, va-t-il, selon vous, privilégier le pragmatisme ou l'idéologie ?

 

D'aucuns affirment que Narendra Modi a été élu en raison du « nationalisme hindou » qu'il revendique. D'autres pensent que le succès de sa politique économique au Gujarat, Etat du centre-ouest de l'Inde dont il a été le ministre en chef pendant treize ans (de 2001 à 2014), a fortement contribué à accroître sa popularité. Même si M. Modi choisit de se concentrer exclusivement sur l'aspect économique, la relation avec le Pakistan sera malgré tout déterminante. En effet, toute crispation militaire avec Islamabad ne peut qu'entraver le développement indien. Par conséquent, M. Modi devra s'attacher à resserrer les liens avec le « pays des purs ». Cela dit, si le Pakistan persiste à instrumentaliser le Lashkar-e-Taiba ou le réseau Haqqani en Afghanistan dans le but de miner les intérêts indiens, il y a fort à parier qu'il répondra à ce défi par la manière forte, et ce afin de ne pas laisser les questions sécuritaires trop longtemps en suspens, ce qui pourrait avoir un impact négatif sur les perspectives de croissance.

 

>> Une réconciliation ou, à tout le moins, une détente est-elle possible entre New Delhi et Islamabad dans un proche avenir ?

 

Désamorcer les tensions entre l'Inde et le Pakistan requiert bien plus que de simples déclarations d'intention ou des rencontres bilatérales, fussent-elles au niveau des premiers ministres. Malheureusement, les deux pays ne sont toujours pas disposés à avoir une discussion franche et ouverte sur les dossiers en souffrance. Les Pakistanais considèrent le Cachemire comme la principale pierre d'achoppement sur le chemin de la paix, tandis que les Indiens, eux, estiment que le soutien apporté par Islamabad aux groupes terroristes cachemiris est le plus gros obstacle à une normalisation des relations interétatiques. Le rôle et l'influence que jouent les deux pays en Afghanistan est également devenu un sujet central qui, tôt ou tard, devra être abordé. Tant qu'ils se regarderont en chiens de faïence à ce propos, il ne pourra pas y avoir de confiance mutuelle.

 

>> Comment les extrémistes de chaque pays vont-ils réagir à la politique d’ouverture prônée par Narendra Modi ?

 

Des pressions s'exercent de part et d'autre, c'est certain. Dès le départ, l'armée pakistanaise s'est montrée réticente à engager des pourparlers de paix avec l'Inde. Le Pakistan, en effet, se considère fièrement comme le porte-voix des musulmans de la planète. La politique non écrite de l'Etat consiste à soutenir la cause des musulmans où qu'ils se trouvent. A cette aune, il n'est pas étonnant que les militaires s'opposent aux pourparlers avec Narendra Modi, qu'ils accusent d'avoir commandité le massacre de milliers de « frères musulmans » en 2002 dans le Gujarat (même s'il a été blanchi par la justice en 2012). Nawaz Sharif risque d'avoir d'autant plus de  difficulté à avancer ses pions que, dans le pays, c'est l'armée, et non le premier ministre, qui contrôle la politique indienne. Cette tradition est si solidement ancrée dans les mœurs qu'un chef de gouvernement pakistanais qui parviendrait à infléchir le cours de la politique indienne de l'armée serait aussi capable de changer la direction du pays...  

 

>> Nawaz Sharif a-t-il les moyens de s’élever contre « l’Etat profond » pakistanais, cette alliance nébuleuse entre le renseignement, l’armée et les djihadistes ?

 

Nawaz Sharif dispose de la majorité politique nécessaire pour s'élever contre « l'Etat profond », mais il est conscient que le prix à payer serait particulièrement élevé. Cela pourrait lui valoir son poste. Bien qu'il soit soutenu par une opinion publique favorable à la paix, il ne jouit pas de l'appui institutionnel des hommes en uniforme pour promouvoir des relations plus cordiales avec l'Inde ou prendre des mesures effectives contre les mouvements djihadistes. Or, rien ne suggère un changement récent de perception ou d'attitude de la part de l'armée envers le géant indien...

 

Propos recueillis par Aymeric Janier

 

bottom of page