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​Des soldats lituaniens lors de la cérémonie marquant le 100e anniversaire de l’indépendance du pays, sur la place Daukanto, en face du palais présidentiel de Vilnius, le 16 février 2018 (Mindaugas Kulbis/AP).

Repères

 

  • Superficie  65 000 km².

  • Population : environ 2,8 millions d’habitants.

 

  • Capitale : Vilnius.

  • Monnaie : l’euro (depuis 2015).

  • Fête nationale : le 16 février (commémoration de la déclaration d’indépendance, en 1918, reconnue quelques jours plus tard par l’Allemagne, alors puissance occupante).

 

  • Communautés religieuses :     catholiques (près de 80 %), orthodoxes (4 %), protestants, juifs et musulmans (Tatars).

 

 

 

La Lituanie face au défi de la Russie poutinienne

5 mars 2018

A la mi-février, dans une ambiance festive et non moins roborative, la Lituanie célébrait le centenaire de son indépendance vis-à-vis de l’Allemagne et de la Russie. A cette occasion, la présidente, Dalia Grybauskaite, déclarait, dans un discours empreint d’optimisme : « Au début du siècle dernier, nous regardions vers l’avenir avec l’espoir de voir des signes de soutien. Aujourd’hui, nous savons que nous avons de vrais amis et alliés, et l’appui de leurs bras puissants. » Une allusion transparente aux Etats-Unis, devenus le principal partenaire stratégique de Vilnius face aux manœuvres politico-militaires de Moscou.

           

De fait, le petit Etat de seulement 2,8 millions d’habitants – le plus peuplé et le plus méridional des trois pays baltes, troïka également composée de la Lettonie et de l’Estonie – nourrit des inquiétudes de plus en plus vives à l’égard de l’ours russe. Cette appréhension n’est pas le fruit d’un imaginaire irrationnel ; elle repose sur une histoire récente tourmentée, dans laquelle la Russie a souvent joué un rôle prépondérant, quoique négatif.

           

Jusqu’à la désagrégation de l’empire, marquée par la chute du dernier tsar Nicolas II en 1917 (il fut exécuté un an plus tard à Iekaterinbourg), la Lituanie n’en formait qu’une province parmi d’autres. Soucieuse d’obvier à l’émergence d’un sentiment national trop prononcé, l’administration russe avait pris soin d’y imprimer sa marque. Ainsi, l’alphabet lituanien, dérivé du latin, avait été interdit, aux dépens du cyrillique.

           

L’acquisition de l’indépendance en février 1918, alors que le pays se trouvait encore sous occupation allemande, ne représenta qu’une parenthèse de courte durée, une brève bouffée d’oxygène avant que l’air démocratique ne vînt à manquer. A partir de 1940, en effet, l’invasion soviétique, puis nazie (de 1941 à 1944), plaça derechef la Lituanie en coupe réglée. Ce ne fut qu’en mars 1990 qu’elle put enfin goûter au plaisir de sa seconde indépendance, en s'extirpant de l'ornière de l’URSS, de laquelle elle était prisonnière depuis 1944.                  

           

Aujourd’hui, l’ombre comminatoire de la Russie plane toujours sur la région. Le pouvoir de Vilnius redoute par-dessus tout qu’elle ne s’étende. Son principal motif de préoccupation : le déploiement par Moscou de missiles Iskander dans son enclave de Kaliningrad, située sur la mer Baltique, entre la Pologne et la Lituanie ; la zone la plus militarisée du Vieux Continent – en réponse au bouclier antimissile que les Etats-Unis souhaitent installer en Europe de l’Est.

           

Ces engins sont capables d’emporter des têtes nucléaires et leur rayon d’action peut atteindre 500 kilomètres, ce qui, en théorie, place à portée de tir de larges pans des Etats baltes, tous membres de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN) depuis 2004. Une perspective qui fait frémir les chancelleries des pays concernés. Mme Grybauskaite a d’ailleurs estimé que l’initiative russe constituait une menace, non seulement pour la Lituanie, mais « pour la moitié des Etats européens ».

           

La Russie, elle, s’efforce de minimiser l’importance géopolitique de ces « jeux de guerre » et de tempérer les craintes aiguës des Baltes. Sans succès. Le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, a eu beau déclarer que « le déploiement d’une arme ou d’une autre (...) et d'unités militaires sur le territoire [russe relevait] uniquement d'une question de souveraineté pour la Fédération de Russie » et « qu’il n’y [avait] aucune raison, pour qui que ce [fût], de s’en émouvoir », son propos n’a pas convaincu.         

           

Instruites par la crise criméenne, au printemps de 2014, les autorités lituaniennes demeurent aux aguets, arc-boutées sur la défense de l’intérêt national. En février, elles ont réitéré le fait qu’elles ne reconnaissaient pas « l’occupation et l’annexion illégales de la Crimée ». Dans un communiqué, le ministère des affaires étrangères a même écrit : « La Lituanie soutient fermement la souveraineté, l’indépendance et l’intégrité territoriale de l’Ukraine (...), condamne les restrictions systémiques imposées sur les droits humains fondamentaux par le régime d’occupation russe (...) ainsi que les persécutions visant les Tatars de Crimée. » Difficile d’être plus explicite.

           

Parlant d’une même voix, la Pologne et la Lituanie ont réclamé, le 1er mars, un renforcement du flanc oriental de l’OTAN. Il faut dire que, tout comme Vilnius, Varsovie n’a gagné son indépendance qu’en 1918 (en novembre), après 123 ans de soumission à ses trois voisins impériaux qu’étaient la Russie, l’Autriche et la Prusse. Rien d’étonnant donc à ce qu’il y ait une identité de vues entre les deux pays.

           

La volonté d’une « consolidation » militaire en Europe de l’Est n’est pas nouvelle. Lors du sommet de l’Alliance atlantique (à Varsovie), les 8 et 9 juillet 2016, « une présence avancée renforcée » en Pologne et dans les Etats baltes avait été décidée, avec le déploiement par rotation de quatre bataillons multinationaux comptant chacun 1 000 soldats. Objectif : dissuader la Russie de se lancer dans tout aventurisme de mauvais aloi.  

           

Comme l’a rappelé il y a peu Linas Linkevicius, le chef de la diplomatie lituanienne : « Nous ne pouvons jamais nous sentir détendus. » Pour soulager cette tension permanente, la petite République compte sur la puissance rassurante de l’allié américain. Justement, le président des Etats-Unis, Donald Trump, a prévu de recevoir les dirigeants de la Lituanie, de la Lettonie [Raimonds Vejonis] et de l’Estonie [Kersti Kaljulaid], le 3 avril à Washington. Le gouvernement de Vilnius espère beaucoup de ce sommet multipartite, notamment à propos d’un éventuel affermissement de la défense aérienne de l’OTAN.

           

Obtiendra-t-il ce qu’il appelle de ses vœux ? Rien n’est moins sûr, tant le locataire de la Maison Blanche est réputé pour son imprévisibilité et ses volte-face subites. En attendant, la Lituanie navigue entre deux eaux : d’un côté, elle n’hésite pas à condamner certains agissements russes (survol d'avions russes à proximité de son espace aérien, cyberattaques, multiplication des exercices militaires dans son voisinage...) ; de l’autre, elle cultive des liens commerciaux étroits avec Moscou, qui demeure son premier partenaire en la matière. D’après le portail d’information lituanien Delfi, les exportations vers la Russie ont avoisiné les quatre milliards d’euros l’an dernier, soit 14,9 % de l’ensemble des exportations du pays.

           

En février, le Polonais Donald Tusk, président du Conseil européen, avait ainsi résumé la situation de la Lituanie : « La meilleure garantie de son indépendance réside dans sa participation aux organisations internationales : les Nations unies, l’OTAN et, bien sûr, l’Union européenne. » A cette aune, Vilnius – membre de l’ONU depuis 1991, de l’Alliance atlantique et de l’UE depuis 2004 et de la zone euro depuis 2015 –, semble en sécurité. Du moins sur le papier. Car les voies de la Russie poutinienne sont impénétrables.

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