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Manifestation des « North East England Infidels », groupe dissident ultra-radical de l'EDL, le 29 mai 2010 à Newcastle.

 

 

EDL : la fausse conversion de Tommy Robinson ?

17 octobre 2013​

Après avoir participé à l’hallali, les loups peuvent-ils se métamorphoser du jour au lendemain en agneaux dociles et inoffensifs ? Le débat fait rage en Angleterre depuis que Tommy Robinson, de son vrai nom Stephen Yaxley-Lennon, a annoncé mardi 8 octobre qu'il quittait la tête de l’English Defence League (EDL).

 

Depuis quelques années, ce mouvement d'extrême droite est notoirement connu outre-Manche pour ses saillies récurrentes contre l'islam et vilipendé par ses nombreux détracteurs comme repaire de « racistes ». Une étiquette farouchement rejetée par l’EDL qui, dans son manifeste en ligne, se targue d’être une « organisation de défense des droits humains (...) » face « à l'intolérance et à la barbarie inspirées par la religion, qui prospèrent dans certaines parties de la population musulmane en Grande-Bretagne ». Dans sa ligne de mire ? Ceux qui cherchent à promouvoir subrepticement la charia [la loi coranique], considérée comme un « apartheid » et une « menace pour [la] démocratie ».

 

L'ancien chef de file et fondateur de l'EDL, âgé de trente ans, a justifié sa démission par le fait que le groupe, agrégat hétéroclite de hooligans, d’éléments de droite radicalisés et de nationalistes violents, devenait trop jusqu'au-boutiste pour lui et qu'il ne parvenait plus à en contrôler les partisans les plus radicaux. Forte, selon les estimations du cercle de réflexion indépendant Demos, d'environ 25 000 à 35 000 « membres actifs » (il n’existe aucune liste officielle), et éclatée en différentes « divisions locales » à travers le pays, l’EDL a vu le jour en juin 2009 à Luton, petite ville ouvrière pauvre située à une trentaine de kilomètres au nord de Londres.

 

Elle se voulait alors une riposte face à une poignée d’islamistes locaux qui, trois mois plus tôt, avaient protesté contre un défilé rendant hommage aux soldats du Royal Anglican Regiment, de retour de mission en Afghanistan. Depuis, le bras de fer n'a cessé de se durcir, au fil de marches de plus en plus provocatrices dans diverses villes (Bolton, Bradford, Leicester, Manchester, Newcastle...) – les plus importantes depuis celles organisées dans les années 1970-1980 par le British National Front (BNF), déjà farouchement hostile à la doxa multiculturaliste.

 

« Il existe une continuité entre les deux mouvements. Mais dans les années 1970, la violence de rue paraissait assez banale, dans la mesure où c’était une époque d’intense radicalisation, des deux côtés du spectre politique. Depuis les années 2000, elle est devenue plus rare. De fait, elle détonne par rapport aux mœurs du reste de la classe politique », explique Jean-Yves Camus, chercheur associé à l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS) et spécialistes des extrêmes droites en Europe.

 

« Le BNF misait aussi sur l’action électorale, avec un certain succès dans les années 1972-1973. A l’EDL, les tentatives de transformation en parti politique n’ont jamais abouti. D’abord parce qu’elle comptait sur l'éclatement complet, voire la disparition, du British National Party (BNP) pour récupérer son potentiel militant, mais n’a jamais réussi à le faire en raison de sa propre désorganisation. Ensuite, parce que ses membres viennent pour faire le coup de poing, et non pour l’idéologie », poursuit-il.

 

Tout en affirmant que les manifestations de rue « n'étaient plus efficaces », Tommy Robinson a assuré qu'il désirait « mener une révolution contre l'extrémisme islamique plutôt que contre les musulmans en général [ces derniers seraient près de 2,7 millions en Grande-Bretagne] ». Oubliée la loi du talion, le « nouveau » Tommy Robinson, qui à plusieurs reprises a ferraillé avec le groupe antifasciste Unite Against Fascism, aspire désormais – du moins le prétend-il – à défendre ses croyances de manière démocratique par le biais d’un nouveau mouvement, dont il a cependant soigneusement évité d’esquisser les contours...

 

Parmi les sympathisants de l'EDL, en majorité des hommes (81 %) issus de la white working class, la classe ouvrière blanche, cette défection inattendue a été accueillie de diverses manières. Si certains ont salué le personnage, qui a qualifié sa démarche de « pas en avant », d'autres l'ont vitupéré, l'accusant sans ambages de trahison idéologique. Que Tommy Robinson ait ou non cédé à la pression en raison des nombreuses menaces de mort qu'il a reçues, son retrait marque un tournant pour l'EDL.

 

Un nouveau chef de file va-t-il émerger ou le mouvement, très actif sur Internet et soucieux de nouer des liens avec des « organisations sœurs » à l’échelle européenne (Bloc identitaire français, German Defence League, Polish Defence League), va-t-il se dissoudre, laissant le BNP de Nick Griffin seul à droite ? « Il est encore trop tôt pour le dire. A ce stade, l’ultra-droite anglaise est extrêmement fractionnée. Elle n’a pas de leader charismatique et semble vouée à l’échec perpétuel, qu’il s’agisse de l’EDL ou du BNP, miné par les allégations de malversations financières et les procès en incompétence intentés à certains de ses élus locaux. Le seul parti qui tire son épingle du jeu – mais sa matrice idéologique est bien différente –, c’est le United Kingdom Independence Party [UKIP, souverainiste et eurosceptique, fondé en 1993], qui n’a aucune propension à la violence et prend soin d’écarter ceux qui franchissent la ligne jaune du racisme ostentatoire et de l’antisémitisme », souligne Jean-Yves Camus.

 

« Je crois que les éléments les plus capables [de l’EDL et du BNP] vont attendre de voir quel est le score de l’UKIP aux élections européennes de 2014 pour décider s’ils le rejoignent ou non. Les autres, eux, continueront à vivre dans le magma de l’ultra-droite, qui n’a jamais vraiment récupéré de la faillite du BNF », pronostique-t-il.

 

Pour ce qui est de Tommy Robinson, juge le Guardian, « il a peut-être quitté l'EDL, mais il n'a rien d'un Gandhi ». Au fond, argue-t-il, il n'a rien renié de ses convictions. D’autres ne sont pas davantage convaincus qu'il ait trouvé son chemin de Damas et soutiennent qu'à l'instar de son ex-adjoint Kevin Carroll, lui aussi démissionnaire de l'EDL, il est toujours habité par le poison du racisme et de la haine ; une haine qu’il s’efforce de draper habilement dans des habits de respectabilité.

 

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Pour aller plus loin : lire l’article du Guardian, daté de mai 2010 : « English Defence League : Inside the violent world of Britain’s new far right ».

 

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