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11 décembre 2013

Dès les prémices de sa présidence, en 2009, Barack Obama avait exposé sans fard son ambition. Instruit par l’expérience désastreuse des guerres menées par son prédécesseur, George W. Bush, en Afghanistan et en Irak – lesquelles ont durablement écorné l’image de l’Oncle Sam sur la scène internationale –, il aspirait plus que tout à extraire les Etats-Unis du pandémonium moyen-oriental. Un souhait qui, se brisant sur le mur froid des réalités, a eu tôt fait de se transformer en vœu pieux.

 

Au cours de ses quatre premières années à la Maison Blanche, l'ancien sénateur de l'Illinois (2005-2008) n’a en réalité jamais perdu de vue cette région volatile, creuset de tensions et d’incompréhensions. Elle est même devenue le principal fil rouge de sa politique extérieure. Réactivation réelle mais maladroite du processus de paix israélo-palestinien (notamment sur l’épineuse question de la colonisation), discours du Caire du 4 juin 2009 censé jeter les bases d’une relation plus sereine avec le monde arabo-musulman, politique de la « main tendue » avec l’Iran : la diplomatie s’est déployée sur plusieurs fronts. Avec le souci de promouvoir l’apaisement, fût-ce au prix de certaines contorsions langagières.

 

Cette politique « orientalo-centrée » a toutefois produit des résultats très contrastés. « Le dialogue israélo-palestinien s'est soldé par un fiasco, le contentieux avec l’Iran à propos de son programme nucléaire s’est envenimé, menaçant de dégénérer en conflit armé. Quant aux ‘printemps arabes’, ils ont pris les Etats-Unis par surprise, et même parfois à contre-pied, comme en Egypte, au Yémen ou à Bahreïn. Ce qui a conduit l’Administration Obama à tester une nouvelle attitude, plus prudente, dans la crise libyenne [en 2011] : celle du ‘leadership from behind’, qui consiste à encourager un nouvel engagement militaire de l’Occident dans un pays arabe sans s’impliquer directement », rappelle François Bujon de l'Estang, ancien ambassadeur de France aux Etats-Unis.

 

En dépit des avantages de cette posture, qui a opportunément placé les militaires français et britanniques aux avant-postes, Barack Obama a résolu de consacrer son second – et dernier – mandat à l’Asie-Pacifique. Rien d’étonnant, souligne M. Bujon de l’Estang, quand on sait « qu’il a toujours été attiré par cette zone et s’est souvent décrit comme un président du Pacifique ». De cette volonté est d’ailleurs née la « doctrine du pivot », recentrage stratégique, dont Hillary Clinton, en sa qualité de Secrétaire d’Etat, avait explicité les tenants et aboutissants en octobre 2011, dans le magazine Foreign Policy.

 

Si les Etats-Unis veulent à l’évidence se détacher du Moyen-Orient au profit de l’Asie, aidés en cela par l'attitude irrédentiste de Pékin en mer de Chine, le peuvent-ils réellement ? Analystes et observateurs ne croient guère à cette hypothèse, persuadés que les pesanteurs moyen-orientales ne peuvent être entièrement occultées sous peine de conflagration. De fait, les conflits non résolus représentent toujours autant d’abcès de fixation qui menacent la sécurité régionale et poussent les Américains à rester aux aguets. A commencer par le nœud gordien, jamais tranché en soixante-cinq ans, entre Israéliens et Palestiniens. Dans un style différent de Mme Clinton, John Kerry est aujourd’hui à la manœuvre. Mais la pusillanimité mâtinée d’intransigeance des parties en présence grève toute perspective de sortie par le haut.

 

Après vingt et un mois de bras de fer et plus de 126 000 morts selon l’OSDH (Observatoire syrien des droits de l’homme), la crise syrienne préoccupe également au plus haut point les hiérarques américains. Pour l'heure, ces derniers ont réussi à faire prévaloir la diplomatie, grâce au concours de la Russie et de son projet de démantèlement du vaste arsenal chimique amassé depuis les années 1970 par les régimes de Hafez et Bachar Al-Assad. « Cela représente certes une bonne chose, mais il est peu probable que cette initiative seule mène sur la voie d'un règlement du conflit, dont les implications sont profondes pour la stabilité du Levant et au-delà », tempère Michele Dunne, chercheuse spécialiste du Moyen-Orient à la Carnegie Endowment for International Peace.

 

Sur ce théâtre à ciel ouvert se mêlent des acteurs radicaux dont le jusqu’au-boutisme ne peut laisser les Américains indifférents. « Parmi les islamistes, le discours qui émerge est que l’Occident, et notamment les Etats-Unis, a trahi les Syriens et les a abandonnés à leur sort face au pouvoir de Damas, tout comme il a trahi les Egyptiens en soutenant un pronunciamiento contre un dirigeant élu [Mohamed Morsi]. Il y a tout lieu de craindre que cela favorise le recrutement d’individus prêts à perpétrer des attaques terroristes en Occident », prévient Michele Dunne. D’autant que « l’hydre Al-Qaïda, donnée un temps pour morte, bouge encore, non seulement en Syrie et en Egypte, mais aussi en Irak, au Yémen et au Liban », ajoute Alireza Nader, analyste politique à la Rand Corporation.

 

Sur le dossier du nucléaire iranien, l’accord intérimaire scellé à Genève le 24 novembre entre Téhéran et le groupe dit des « 5 + 1 » (Chine, Etats-Unis, France, Grande-Bretagne, Russie et Allemagne) est certes un pas en avant, favorisé par la « diplomatie du sourire » mise en scène par le nouveau président, Hassan Rohani, et la « flexibilité héroïque » prônée en coulisse par le Guide suprême, Ali Khamenei, véritable détenteur du pouvoir au sein de la République islamique. Reste que, là encore, la perspective d’un accord global n’est pas acquise, ce qui contraint les Etats-Unis à ne pas baisser la garde.

 

Toute la difficulté consiste, pour l’Administration Obama, à rassurer ceux qui se sont sentis lésés par l’accord, à commencer par Israël et l’Arabie saoudite, où certaines voix ont prétendu que ce dégel allait marquer un retour à la relation américano-iranienne qui prévalait dans les années 1960-1970, à l’époque du chah. Une crainte qu’Alireza Nader s'attache à relativiser. « La peur [des deux pays] d'être abandonnés et de voir le paysage moyen-oriental changer est exagérée. A mes yeux, l'accord de Genève n'implique pas un réalignement régional. Outre le nucléaire, les lignes de fracture entre Téhéran et Washington sont nombreuses. Sans parler du fait qu’en Iran, l’idéologie de la résistance à 'l’impérialisme’ américain est encore solidement ancrée dans le système politique », explique-t-il.

 

Soucieux de donner des gages à la monarchie saoudienne, le Secrétaire à la défense, Chuck Hagel, a réaffirmé le 7 décembre, à l'occasion d'une conférence sur la sécurité à Manama (Bahreïn), le maintien d’un contingent de 35 000 hommes dans la région du golfe Persique, appuyés par une impressionnante force de frappe (tanks, hélicoptères Apache, porte-avions, systèmes de défense antimissile, radars, drones de surveillance...). Une manière de rappeler que l’engagement américain n’est pas un vain mot, surtout au cas où il prendrait fantaisie aux Gardiens de la révolution iraniens de bloquer le détroit d’Ormuz, par lequel transitent 40 % du trafic maritime pétrolier de la planète.

 

L’énergie, justement, est un secteur qui, aux Etats-Unis, connaît une mutation rapide, grâce à l’exploitation du gaz de schiste et d’autres ressources « non conventionnelles ». Le pays devrait devenir exportateur net de gaz à partir de 2015 et exportateur net de pétrole sans doute à partir de 2020. La part des importations dans la consommation totale d’énergie, quant à elle, est déjà tombée à 19 % en 2011, contre 30 % en 2005. A l’horizon 2040, elle ne devrait plus être que de 8 ou 9 %, d’après certaines projections. « Cela va donner à la diplomatie américaine des marges de manœuvre considérables, qu’elle avait perdues au cours de ces dernières décennies », anticipe François Bujon de l’Estang.

 

De quoi oublier totalement le puzzle moyen-oriental ? Pas nécessairement, dans la mesure où les alliés asiatiques des Etats-Unis – le Japon et l’Inde, par exemple – ne pourront s'affranchir du Golfe pour leur approvisionnement en or noir. « Nous pouvons nous désintéresser de la région et avoir envie de nous en échapper, mais celle-ci ne le souhaite pas forcément. Au cours des années à venir, l’Asie, en tant que centre de l'économie mondiale, va revêtir une importance de plus en plus grande pour les Etats-Unis, qui auront un rôle à jouer dans le maintien de la stabilité et de la sécurité régionales, lesquelles sont aujourd’hui loin d’être garanties », pronostique Jeffrey Mankoff, du Centre d’études stratégiques et internationales (CSIS), sis à Washington. « Pour autant, ajoute-t-il, cela ne veut pas dire qu'ils puissent tourner le dos en un claquement doigt au Moyen-Orient à l'heure où ce dernier est en plein bouleversement. » Le Moyen-Orient ou la quadrature du cercle, même pour la première puissance mondiale.

 

Aymeric Janier

Les Etats-Unis pris au piège du Moyen-Orient

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