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Sukmawati Sukarnoputri, fille de Sukarno et sœur de l’ex-présidente indonésienne Megawati Sukarnoputri, à Jakarta, le 4 avril 2018 (Beawiharta/Reuters).

Repères

 

  • Superficie  1 905 000 km².

  • Population : plus de 260 millions d’habitants.

  • Capitale : Jakarta.

  • Monnaie : la rupiah (ou roupie indonésienne).

 

  • Fête nationale : le 17 août (en souvenir de la proclamation de l’indépendance vis-à-vis des Pays-Bas, le 17 août 1945.

 

  • Communautés religieuses : musulmans (87 %), protestants (7 %), catholiques (3 %), hindous (1,7 %), bouddhistes (0,7 %), autres (0,5 %).

 

 

 

De l’instrumentalisation de la loi sur le blasphème en Indonésie

9 avril 2018

 

Il n’aura fallu qu’une poignée de mots pour déclencher une tempête. Une de plus dans un pays balayé, ces derniers temps, par de puissantes bourrasques politico-religieuses. En déclamant son poème « Ibu Indonesia » (Mère Indonésie), à la fin de mars, au Convention Center de Jakarta, à l’occasion de la Semaine de la mode, Sukmawati Sukarnoputri ne pensait sans doute pas s’attirer le violent opprobre des milieux islamiques fondamentalistes.

           

Et pourtant... La fille de Sukarno – premier président de la République d’Indonésie, de 1945 à 1967 – et sœur cadette de Megawati Sukarnoputri (au pouvoir entre 2001 et 2004) a provoqué le courroux des islamistes, toujours prompts à s’engouffrer dans la moindre brèche et à verser dans la quérulence pour faire ployer leurs adversaires.

           

Sa « faute impardonnable » ? Ces quelques vers : « Mère Indonésie / Je ne sais rien de la loi islamique / Ce que je sais, c’est que le chignon de Mère Indonésie est très beau / Plus gracieux que le voile que tu portes... / Je ne sais rien de la loi islamique / Ce que je sais, c’est que le chant de Mère Indonésie est très beau / Plus mélodieux que ton appel à la prière... »  

           

Les mouvements intégristes l’ont aussitôt accusée d’avoir brocardé le cadar (voile intégral) et l’adhân (l’appel à la prière), deux outrages relevant à leurs yeux du blasphème, et donc tombant sous le coup de la loi, avec les poursuites pénales que cela induit.

           

En Indonésie, vaste pays archipélagique d’Asie du Sud-Est de plus de 260 millions d’habitants et qui abrite la plus forte population musulmane au monde, on ne badine pas avec la foi. Dès janvier 1965, Sukarno a ainsi émis un décret présidentiel dont l’objectif était d’empêcher l’émergence et la diffusion de croyances mystiques (kepercayaan) ne se rattachant à aucune des six religions officiellement reconnues (agama) – l’islam, le protestantisme, le catholicisme, l’hindouisme, le bouddhisme et le confucianisme.

           

Outre cette volonté de prévenir toute forme de divergence – dont la promotion de l’athéisme –, ce texte, ayant acquis force de loi en 1969 sous la présidence de Suharto, visait également à sanctionner les actes diffamatoires (penodaan) à l’égard des religions.

           

A cela s’est ajouté l’article 156a du Code pénal indonésien, lequel dispose que « toute personne qui, d’une façon délibérée et publique, exprime des opinions ou se livre à des activités en principe assimilables à de l’hostilité et considérées comme blasphématoires ou irrespectueuses à l’égard d’une religion pratiquée en Indonésie » est passible d’une peine allant jusqu’à cinq ans d’emprisonnement.    

           

Reste que les termes de la loi pèchent par excès de confusion. Aussi la justice se trouve-t-elle régulièrement en porte-à-faux, pour ne pas dire en fâcheuse posture, lorsqu’il s’agit d’interpréter objectivement ce qui relève ou non de l’authentique blasphème. Ce manque de clarté dans les textes profite aux groupes religieux, qui en tirent parti pour accentuer la pression, non seulement sur leurs opposants, mais aussi sur le pouvoir politique.

           

« Il est manifeste que, dans ce poème, transparaît une insulte à l’égard des enseignements de l’islam », a déclaré Eggi Sudjana, avocat du Front des défenseurs de l’islam (FPI), avant d’ajouter : « Nous espérions que le cas d’Ahok serait le dernier, mais, à présent, d’autres que lui osent à nouveau insulter l’islam. » Ex-gouverneur de Jakarta issu de la minorité chrétienne, Basuki Tjahaja Purnama – plus connu sous le nom d’« Ahok » – a été condamné en mai 2017 à deux ans d’emprisonnement pour avoir blasphémé.

           

Lors d’un rassemblement électoral, en septembre 2016, il avait cité la sourate 5 du Coran (Al-Maidah, La table), verset 51 : « Ô les croyants ! Ne prenez pas pour alliés les juifs et les chrétiens ; ils sont alliés les uns des autres. Et celui d’entre vous qui les prend pour alliés devient un des leurs. Allah ne guide certes pas les gens injustes. » Ce faisant, il voulait démontrer que ses détracteurs cherchaient à dissuader les électeurs de voter pour lui sous prétexte qu’il n’appartenait pas à la majorité musulmane. Un argumentaire qui, loin de porter ses fruits, avait provoqué les foudres des cercles islamo-nationalistes.

 

Résultat : « Ahok » avait échoué à décrocher un deuxième mandat (et ce en dépit d’un score encourageant au premier tour de l’élection, lors duquel il avait rassemblé 43 % des voix, contre 40 % à son rival musulman, Anies Rasyid Baswedan, finalement vainqueur), avant d’être embastillé. « Ce jugement va ternir l’image de nation tolérante dont bénéficie l’Indonésie », avait réagi Champa Patel, directrice du bureau régional Asie du Sud-Est et Pacifique d’Amnesty International dans un communiqué.

           

Si, au cours des années 2000, la loi a parfois été utilisée pour condamner des personnes ayant blasphémé le christianisme – ce fut le cas de Mangapin Sibuea, en 2004, pour avoir fondé une secte pentecôtiste baptisée « Prophet Hut », ou de Nimrot Lasbaun, en 2009, pour avoir lui aussi créé sa secte, « Sion City of Allah », et enjoint à ses fidèles de ne pas recevoir la Sainte Communion –, depuis quelque temps, elle est surtout instrumentalisée par les islamistes les plus rigoristes.

           

Ces derniers n’hésitent pas à faire feu de tout bois. Comme l’expliquait le docteur Melissa Crouch, maître de conférences à l’université de Nouvelle-Galles du Sud à Sydney, dans un entretien au blog « Indonesia at Melbourne », paru en novembre 2016, les motifs d’accusation sont très variables. Ce peut être le fait de dire que les cinq prières quotidiennes (le salât, l’un des piliers de l’islam) ne sont pas nécessaires, de suggérer qu’il est permis de prier en deux langues – l’indonésien et l’arabe – ou encore de laisser entendre qu’il n’est pas fondamental d’être musulman pour accéder au paradis...

           

Sukmawati Sukarnoputri, qui a déjà eu maille à partir avec certains groupes musulmans conservateurs, estime que les attaques qu’elle subit ont avant tout une coloration politique. Bien qu’elle ait présenté ses excuses, les larmes aux yeux, à celles et ceux qui ont pu se sentir offensés par ses propos, le FPI a choisi de camper sur ses positions, assurant qu’il maintiendrait sa plainte. Sans doute pour mieux exhiber sa force avant les élections qui se profilent – régionales cette année, législatives et présidentielle en 2019.  

           

Dans ce contexte, qu’Andreas Harsono, chercheur au sein de l’ONG Human Rights Watch, qualifie « d’atmosphère de peur (...) où personne ne sait quand il peut être dénoncé à la police pour blasphème contre l’islam », les hiérarques politiques sont enclins au mutisme. Même le président en place, Joko Widodo, répugne à s’immiscer dans un débat explosif, dont il sait pertinemment qu’il pourrait lui valoir un cinglant retour de flamme. Un silence assourdissant dont, à terme, la stabilité démocratique du pays pourrait faire les frais.     

 

Aymeric Janier

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