Des personnes déposent des fleurs sur la place Sainte-Anne de Manchester (nord-ouest de l'Angleterre), en hommage aux victimes de l'attentat terroriste perpétré à proximité de la Manchester Arena, le 24 mai 2017 (Ben Stansall/AFP).
Principaux attentats sur le sol britannique depuis 2001
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7 juillet 2005 : quatre attentats-suicides sont perpétrés de manière coordonnée à Londres, en pleine heure de pointe, dans trois rames de métro et un bus. Bilan : 56 morts (dont les quatre auteurs de l’attaque, revendiquée par un groupe se réclamant d’Al-Qaïda) et près de 700 blessés.
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22 mai 2013 : un soldat de 25 ans, Lee Rigby, est tué dans le sud-est de la capitale anglaise par deux Britanniques d’origine nigériane, Michael Adebolajo et Michael Adebowale. Ceux-ci le renversent en voiture, avant de le frapper à coups de couteau à de multiples reprises et de tenter de le décapiter. L’un des meurtriers déclare avoir voulu « venger les musulmans tués par des soldats britanniques ».
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5 décembre 2015 : Muhaydin Mire, âgé de 30 ans et né en Somalie, blesse au couteau trois personnes, dont une grièvement, à l'entrée de la station de métro de Leytonstone, dans l'est de Londres. Deux jours auparavant, l’aviation britannique avait procédé à ses premiers bombardements contre l’organisation Etat islamique (EI) en Syrie. Muhaydin Mire sera condamné à la prison à vie, avec un minimum incompressible de huit ans et demi.
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22 mars 2017 : Khalid Masood, un citoyen britannique converti à l'islam, fonce dans la foule avec son véhicule sur le pont de Westminster, qui enjambe la Tamise face à Big Ben, avant de poignarder à mort le policier Keith Palmer. Il est ensuite abattu par la police. L'attaque fait cinq morts. Elle est revendiquée par l’EI, mais Scotland Yard n’exhume aucune preuve d'association avec le groupe ou Al-Qaïda.
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22 mai 2017 : Salman Abedi, un étudiant britannique de 22 ans, d’origine libyenne, fait détoner un engin explosif près de l’une des sorties de la Manchester Arena, à l’issue d’un concert de la chanteuse américaine Ariana Grande. L'attaque, dans laquelle l’assaillant meurt sur le coup, fait 22 morts et 75 blessés. Elle est revendiquée par l’EI.
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3 juin 2017 : Khuram Shazad Butt, 27 ans (citoyen britannique d’origine pakistanaise), Rachid Redouane, 30 ans (possiblement de nationalités marocaine et libyenne), et Youssef Zaghba, 22 ans (fils d'une mère italienne et d'un père marocain) mènent une double attaque, la première sur le London Bridge, à l'aide d'un véhicule-bélier, la seconde dans le quartier de Borough Market, au couteau. Bilan : 8 morts et 48 blessés. L'EI s'attribue la responsabilité de l'attentat par le truchement de son organe de propagande, Amaq.
Royaume-Uni : face au terrorisme islamiste, quelle réponse juridique ?
25 mai 2017 (avec chronologie réactualisée le 7 juin, après l'attentat du 3 juin, à Londres)
Paris, Bruxelles, Nice, Berlin, Londres... Depuis deux ans, la liste, déjà longue, des villes européennes frappées par la main noire du terrorisme islamiste semble s’égrener sans fin. Les zélotes du salafisme djihadiste, cette idéologie violente encouragée par le wahhabisme saoudien, déroulent leur chapelet mortifère, meurtrissant un Vieux Continent qui peine à se hisser à la hauteur du défi qui lui est posé.
L’attentat perpétré au soir du lundi 22 mai à Manchester par Salman Abedi, un Britannique de vingt-deux ans d’origine libyenne, a rappelé qu'en dépit du travail de fourmi mené par les services de renseignement britanniques – dont le MI5, chargé de la sécurité intérieure (l'équivalent de la DGSI française) –, le risque zéro n’existait pas.
En mars, les limiers de Scotland Yard, la police londonienne, avaient d’ailleurs affirmé que pas moins de treize projets d’attentat avaient été déjoués dans le pays depuis juin 2013, preuve que le danger, loin de s’être amenuisé, demeure au contraire omniprésent.
Depuis les attaques coordonnées du 7 juillet 2005, qui avaient ensanglanté Londres (voir chronologie ci-contre), le Royaume-Uni s’efforce de parer le plus efficacement possible à la menace, notamment en consolidant son arsenal juridique, lequel s'appuyait dès 2003 sur CONTEST, une stratégie multidimensionnelle fondée sur quatre piliers complémentaires – « pursue » (poursuivre), « prevent » (prévenir), « protect » (protéger), « prepare » (se préparer) – et censée offrir une réponse adéquate à la nouvelle donne post-11-Septembre.
« Après 2005, la législation a évolué, notamment par la création de nouveaux délits en vertu du Terrorism Act 2006 [loi de 2006 sur le terrorisme, approuvée par la Chambre des Lords, la Chambre haute du Parlement, le 22 mars et sanctionnée par la reine Elizabeth II le 30 mars] et par l’instauration d’ordonnances de contrôle », explique Helen Fenwick, professeur à la faculté de droit de Durham, dans le nord-est de l’Angleterre.
En pratique, la loi de 2006 a introduit des incriminations inexistantes jusqu’alors pour mieux s’attaquer aux « actes préparatoires », à « l’entraînement » et à « l’encouragement au terrorisme » (comme la diffusion de publications à caractère terroriste). L’apport de ce texte ? Pour la première fois, la matérialité des faits ne devenait plus nécessaire pour poursuivre des comportements, pas plus que l’intention attribuée aux personnes incriminées.
Le gouvernement pouvait ainsi agir « en amont ». « Aujourd’hui, cette disposition est utilisée de manière extensive, en particulier pour appréhender les personnes qui cherchent à rejoindre la zone syro-irakienne pour soutenir l’organisation Etat islamique (EI) ou celles qui les aident à s’y rendre », observe Mme Fenwick.
Les ordonnances de contrôle (control orders), quant à elles, ont été mises en place après que les juges siégeant à la Chambre des Lords eurent estimé que le précédent système, qui autorisait la détention de suspects de terrorisme étrangers sans procès ou perspective d’expulsion, contrevenait aux droits de l’homme.
Prises par le ministre de l’intérieur, après approbation juridictionnelle, ces mesures d’exception ont permis d’imposer certaines restrictions aux individus, nationaux ou étrangers, soupçonnés de terrorisme : accès encadré à des moyens de communication tels que le téléphone et Internet, limitation de la liberté d'association, de circulation, d'entrer en contact avec certaines personnes, assignation à résidence... Un cadre plus contraignant régulièrement dénoncé par les associations comme une forme de détention à domicile et à durée indéterminée punissant, non seulement le suspect, mais aussi ses proches.
Confronté pendant des décennies au terrorisme de l’IRA – l’armée républicaine irlandaise, hostile à toute forme d’allégeance à la Couronne et favorable au rattachement de l’Irlande du Nord (Ulster) à la République d’Irlande (Eire) –, le Royaume-Uni privilégie-t-il la même approche juridique avec les radicaux musulmans ? « Oui et non. La plupart des délits utilisés dans le cadre de la lutte contre l’IRA – à l’instar de l’appartenance et du soutien à une organisation interdite ou du financement du terrorisme par le blanchiment d’argent – ont été repris, quoique dans une forme différente, pour combattre le terrorisme islamique. En revanche, l'internement n'a jamais été appliqué aux musulmans britanniques suspects », souligne Helen Fenwick.
Cette disposition avait été appliquée en Irlande du Nord, à l’été 1971, lors de la période dite des Troubles (1968-1998). Face à l’escalade de la violence dans la province, le premier ministre (unioniste) d’alors, Brian Faulkner, s’était résolu à faire appel à Londres pour interner les suspects terroristes sans jugement, « car la campagne de l’IRA avait atteint un degré de férocité sans précédent ».
L’opération « Demetrius », menée avec l’appui d'autorités britanniques pour le moins rétives, avait débouché sur des rafles à grande échelle, mais échoué dans son but. En effet, cet épisode, loin d’apaiser la situation, n'avait fait que l'envenimer, créant une solidarité de fait au sein de la population nationaliste (majoritairement catholique), convaincue d’être la seule visée par l’arbitraire gouvernemental...
Sans doute ce précédent aura-t-il convaincu les responsables politiques de ne pas s’aventurer sur cette voie cahoteuse. La « dé-radicalisation », en revanche, semble être une méthode privilégiée, comme en France. « Près de 4 000 personnes ont été soumises à des programmes de ce genre l’an dernier, dans le cadre de la “Prevent Strategy” (stratégie de prévention), une politique destinée à empêcher les musulmans, et notamment les enfants et les étudiants, de basculer dans le terrorisme », précise Mme Fenwick. Son efficacité, cependant, reste à démontrer, faute d’études suffisantes sur le sujet.
Vu le contexte, l’urgence d’agir et d’obtenir des résultats est en tout cas évidente. Si 400 combattants djihadistes d'origine britannique se trouvent actuellement aux côtés de l'EI dans la zone syro-irakienne, 400 autres, eux, sont de retour sur le sol britannique. Autant de bombes à retardement potentielles...
Aymeric Janier