6 janvier 2014
Quatre mois d'un intense marathon diplomatique n'y auront pas suffi. En dépit des trésors d'habileté déployés par le diplomate américain Richard Haass, les négociations menées depuis le mois de septembre entre les cinq principaux partis politiques d'Irlande du Nord (1) sur divers points de contentieux toujours en souffrance ont débouché mardi 31 décembre sur une impasse.
Face à cet échec, le premier ministre britannique, David Cameron, n'a pas caché son désappointement, même s'il a estimé que « ces pourparlers avaient permis de dégager de nombreux points d'entente et constituaient une base pour la poursuite des discussions ». Un vœu pieux ? Certes, depuis 2007, unionistes [partisans du maintien de la province d’Ulster au sein du Royaume-Uni] et nationalistes vivent politiquement en bonne intelligence, formant un attelage gouvernemental solide. Mais paix et fraternisation sont deux notions fort différentes.
Les obstacles sur la voie cahoteuse d'une réconciliation pleine et entière sont connus de longue date. Parmi les principales pierres d'achoppement figure la question des drapeaux, l'une des plus « difficiles » à régler, de l'aveu même de l'ancien envoyé spécial des Etats-Unis pour l'Ulster de 2001 à 2003. L'éruption de violence survenue il y a un an en témoigne.
Le 3 décembre 2012, le conseil municipal de Belfast, où les nationalistes sont majoritaires, avait décidé, à la faveur d’un vote (29 voix pour, 21 contre), de ne plus faire flotter quotidiennement le drapeau britannique sur le fronton de l’Hôtel de ville mais seulement dix-huit jours par an ; une première depuis 1906. Provocation intolérable pour les loyalistes fidèles à la couronne britannique. D'abord circonscrit et sans leader, le mouvement de protestation, auquel s’étaient mêlés des jeunes âgés d’une dizaine d’années à peine, avait rapidement gagné en ampleur. Jusqu'à se muer, plusieurs semaines durant, en bataille rangée avec les forces de l'ordre. Bilan de ces émeutes urbaines : plus d'une centaine de policiers blessés et au moins autant d'arrestations.
En Irlande du Nord, la question de l'étendard a toujours revêtu une dimension particulière : considéré par les unionistes protestants comme leur drapeau national, l'Union Jack est, à l'inverse, assimilé par les républicains catholiques [désireux de rompre les amarres avec le Royaume-Uni pour rejoindre la République d'Irlande] à un symbole d'occupation. D'où leur volonté d'abattre ce totem coûte que coûte...
Autre pomme de discorde, celle des marches – à 95 % protestantes. Si toutes ne font pas polémique, celle organisée le 12 juillet de chaque année provoque régulièrement des turbulences. Ce jour-là, l'Ordre d'Orange, organisation maçonnique fondée en 1795 et vouée à « combattre énergiquement les erreurs et les doctrines funestes de l’Eglise de Rome », a l’habitude d’organiser un défilé en commémoration de la bataille de la Boyne. En 1690, le protestant Guillaume III, dit Guillaume d'Orange (2), avait vaincu les armées de son prédécesseur, le roi catholique Jacques II d'Angleterre (1685-1688), non loin de Drogheda, à une cinquantaine de kilomètres au nord de Dublin. Une tradition qui, en se perpétuant, ne manque pas d’exacerber les tensions.
Campé sur son « héritage culturel », le camp unioniste voit toujours dans cette manifestation chamarrée un outil d'expression de son identité, autant qu'un moyen de rappeler, à ceux qui seraient tentés de l'oublier, le clivage multiséculaire qui sépare les deux communautés. Difficile cependant d'ignorer le fossé béant qui défigure les quartiers de Belfast – séparés par les mal nommés « murs de la paix » – et divise les écoles. D'un côté, les établissements catholiques, de l'autre, les établissements publics, de facto fréquentés exclusivement par la population protestante. Déchirure géographique, mais aussi brisure des mentalités...
Troisième abcès de fixation, et non des moindres : les suites à donner aux crimes perpétrés pendant « les Troubles », période s’étalant de 1969 à la signature de l’accord de paix du Vendredi Saint (The Good Friday Agreement), le 10 avril 1998. Près de 3 500 personnes ont perdu la vie au cours de ces trois décennies de heurts interconfessionnels sanglants. Une plaie toujours à vif dans la psyché collective.
Bien qu'aucun consensus n’ait émergé du septième « round » de tractations qu’il a supervisé, Richard Haass s’est refusé à parler d’un « échec », insistant, avec moult circonlocutions, sur les progrès accomplis. Dans un souci de transparence, la proposition d’accord, bien que rejetée, a été rendue publique par l’exécutif nord-irlandais. Plusieurs pistes y ont été esquissées comme la possibilité d’accorder une « immunité limitée » aux volontaires désireux de livrer des informations sur les crimes commis pendant « les Troubles » ou l’interdiction, pour républicains et loyalistes, de défiler en tenue paramilitaire.
Fait relativement inhabituel, les représentants nationalistes et unionistes se sont abstenus de tout échange indélicat, voire acrimonieux. Et ce alors même que les premiers ont largement soutenu les suggestions émises par M. Haass et que les seconds les ont rejetées, émettant de fortes réserves sur le choix de certaines « formulations ».
Et maintenant ? Un groupe de travail comprenant des délégués des cinq partis va être mis en place pour tenter d'aplanir les différends qui subsistent. Mais, Richard Haass s’étant retiré du jeu, l’avenir paraît plus nébuleux. L’histoire, en effet, l’a prouvé : sans aide extérieure, les politiciens de Stormont [le Parlement nord-irlandais] ont une fâcheuse inclination au jusqu'au-boutisme. Ce qui fait dire à certains analystes qu’à l’approche des élections européennes de mai, la fenêtre d'opportunité est peut-être close. D’autant qu’aux crispations politiques usuelles s’ajoute un malaise socio-économique grandissant, particulièrement au sein des populations unionistes désargentées de l’est de Belfast...
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(1) Sinn Féin et Social Democratic and Labour Party (SDLP) côté nationaliste ; Democratic Unionist Party (DUP) et Ulster Unionist Party (UUP) côté unioniste. A ces quatre formations s'ajoute l'Alliance Party of Northern Ireland, de tendance libérale et non confessionnelle.
(2) Guillaume III, de la dynastie des Stuarts, fut roi d’Angleterre, d'Ecosse et d’Irlande de 1689 à 1702.
Ulster : l'impossible réconciliation ?
Une brève histoire de l'Irlande du Nord
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23 décembre 1920 : le Government of Ireland Act sépare, par une frontière administrative, l’Ulster de l’Irlande du Sud et accorde aux deux régions une large autonomie. Une mesure jugée insuffisante par les nationalistes, qui aspirent à obtenir une véritable indépendance.
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22 juin 1921 : le roi George V inaugure officiellement le Parlement d’Irlande du Nord.
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1969 : la période dite « des Troubles » s’ouvre (elle durera trente ans). Face à l’incapacité de la police à assurer efficacement l’ordre public, le gouvernement de Belfast fait appel à Londres, qui envoie l’armée. Le conflit se militarise.
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30 janvier 1972 (« Bloody Sunday ») : l'armée britannique ouvre le feu sur des militants pacifistes à Londonderry. Quatorze catholiques sont tués. La même année, la Grande-Bretagne dissout le Parlement protestant d'Irlande du Nord et assume le pouvoir depuis Londres (Direct Rule).
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10 avril 1998 : un accord de paix historique est conclu, qui prévoit le partage du pouvoir entre élus protestants et catholiques au sein d’institutions semi-autonomes, dont une assemblée et un gouvernement d’Irlande du Nord.
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28 juillet 2005 : l'armée républicaine irlandaise (IRA) ordonne à ses militants d’abandonner la lutte armée.
Défilé des « orangistes », le 12 juillet 2010, à Bangor, en Irlande du Nord.