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Australie : le défi des ­« réfugiés de la mer »

26 juillet 2013

Au cours des dernières années, et singulièrement depuis 2010, la tendance s'est pérennisée de manière inquiétante. Aiguillonnés par une misère et une détresse à laquelle ils ne voient aucune issue, des milliers d'émigrés désargentés venus d'Asie (Afghanistan, Birmanie, Sri Lanka) et du Moyen-Orient (Iran, Irak) essaient de rallier l'eldorado australien par la mer, quitte à braver tous les périls. Une quête d’espoir qui, bien souvent, se brise de manière brutale sur les flots tumultueux de l'océan Indien.

 

Ainsi, mardi 23 juillet au soir, un navire transportant entre 200 et 250 réfugiés a sombré après s’être disloqué au large de Cidaun (côte méridionale de l’île indonésienne de Java), tandis qu’il faisait route vers l'île Christmas (1) par forte houle. Grâce à l’altruisme des villageois, partis au secours des « boat people » avec leurs bateaux de pêche, 189 personnes ont pu être sauvées. Des dizaines de naufragés, équipés de gilets de sauvetage ou accrochés à des débris flottants, ont réussi à regagner le rivage après plusieurs heures de nage. Au moins onze migrants ont en revanche péri.

 

Bien que l'Australie demeure une destination marginale pour les demandeurs d'asile (elle représentait seulement 2,6 % des 441 300 dossiers déposés dans le monde en 2011, selon le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR)), la question de l'immigration clandestine y refait surface de manière récurrente, suscitant des débats houleux sur l'échiquier politique et, parfois, de spectaculaires palinodies.

 

A l’été 2012, excipant des conclusions tirées d’un rapport d'experts, l'ancien premier ministre travailliste Julia Gillard (2010-2013) s'était résolue à réintroduire, sans la nommer, la « solution du Pacifique » (Pacific Solution), système érigé en dogme par l'ex-chef de gouvernement libéral (conservateur) John Howard entre 2001 et 2007 mais honni par sa base et conspué par les défenseurs des droits de l’homme. Le principe ? Déléguer l'accueil des « boat people » à des centres de rétention extraterritoriaux à Nauru et Manus (Papouasie-Nouvelle-Guinée), dans l'attente du traitement, généralement très long, de leur requête d'asile. En échange, Canberra s’engageait à verser de généreux subsides, notamment dans les secteurs de la santé et de l’éducation.

 

Objectif affiché : décourager les réfugiés d'entreprendre un dangereux périple vers l'île-continent. Las pour les autorités, la pression de ces flux migratoires ne s'est pas atténuée. D'après les chiffres du ministère de l'immigration, 17 202 passagers (sur 278 bateaux) ont débarqué clandestinement sur le territoire australien en 2012, contre 4 565 en 2011 (sur 69 embarcations), soit une augmentation de 376,8 %. Cette année, plus de 15 600 sont déjà arrivés illégalement par voie maritime. Rien de comparable avec la période 2002-2004, au cours de laquelle 69 clandestins avaient vogué vers l’Australie sur trois navires…

 

Au-delà de ces chiffres, brandis tels des épouvantails par des libéraux partisans du contrôle étroit, sinon absolu, des frontières, transparaît une autre réalité statistique beaucoup plus sombre. Celle de tous ces infortunés anonymes qui, happés par l’océan, n’atteindront jamais l’Australie, terre promise synonyme de croissance (+ 3,1 % en 2012), d’emploi et de vie meilleure. Depuis octobre 2009, ils seraient plus de 800 à avoir connu ce sort funeste.

 

Tenant d’une politique d’assouplissement lors de son premier mandat (2007-2010), l'actuel premier ministre (travailliste) Kevin Rudd, rattrapé par une embarrassante réalité, suit désormais une ligne plus stricte. En témoigne la campagne publicitaire lancée dans le pays le 19 juillet sur divers supports (journaux, Internet, radio), avec un slogan dissuasif visant hommes, femmes et enfants – « Si vous venez ici en bateau sans visa, vous ne serez pas autorisés à vous installer en Australie » – assorti de cette exhortation : « Ne mettez pas en danger la sécurité de votre famille, ne gaspillez pas votre argent ». Difficile d’être plus explicite… Par ailleurs, le ministre de l’intérieur, Jason Clare, a annoncé que des primes seraient offertes à ceux qui contribueraient à mettre hors d’état de nuire les passeurs et leurs complices. Montant de la récompense promise par la police fédérale : jusqu’à 200 000 dollars australiens (environ 140 000 euros).

 

Conséquence de ce raidissement, vilipendé par la chef de file des écologistes alliés du gouvernement, Christine Milne – laquelle a évoqué « un jour honteux pour l’Australie » –, des émeutes ont éclaté dans la nuit du 19 au 20 juillet, à Nauru. Selon un photographe local, près de la moitié des 545 demandeurs d’asile du centre de rétention de l’île se sont échappés et plusieurs bâtiments ont été incendiés. Le coût de cette soudaine flambée de violence, reflet d’un sentiment aigu de déréliction, a été estimé à 60 millions de dollars australiens (42 millions d’euros).

 

Sous pression, Kevin Rudd répugne cependant à l’idée de mener des « actions unilatérales », autrement dit user de la force pour contraindre les « boat people » à faire demi-tour, ce que prônent sans détour les libéraux. Pour l’heure, il privilégie plutôt une approche concertée avec les autres Etats de la région, notamment l’Indonésie, la Malaisie et la Thaïlande, traditionnelles zones de transit pour les clandestins en partance vers l’Australie. Une approche à laquelle souscrit également John Menadue, ancien secrétaire du département de l’immigration de 1980 à 1983 sous le gouvernement de Malcolm Fraser, un libéral qui plaida pour une attitude plus « humaine » envers les réfugiés issus à l’époque du Vietnam, du Cambodge et du Laos. « Seul un partage du fardeau [de l’immigration clandestine] au niveau régional peut contribuer à faire émerger une solution durable », plaide-t-il.

 

A peine revenu aux affaires, à la faveur d’un duel fratricide avec Julia Gillard et de la disgrâce de cette dernière à la fin du mois de juin, Kevin Rudd se sait très attendu sur le dossier sensible de l’immigration. D’autant que se profilent, en principe le 14 septembre (la date doit encore être confirmée), des élections fédérales pour lesquelles les derniers sondages donnent son parti au coude à coude avec l’opposition emmenée par Tony Abbott. A cette aune, il le sait, tout excès d’angélisme pourrait saborder ses ambitions de victoire.

 

* * *

(1) L’île Christmas est un territoire extérieur australien, bien qu’elle soit située à 2 600 km au nord-ouest de Perth, capitale de l’Etat d’Australie-Occidentale, et à seulement 360 km de Java (Indonésie). Canberra a acquis la souveraineté de ce territoire le 1er octobre 1958, aux dépens du Royaume-Uni.

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