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Le président ouzbek, Islam Karimov, s'exprime devant la presse à l'issue d'une réunion au Kremlin, à Moscou, le 20 avril 2010 (Alexander Zemlianichenko/AFP).

 

 

Repères

 

  • Superficie 447 400 kilomètres carrés.

 

  • Population : 30,6 millions d’habitants.

 

  • Capitale : Tachkent (littéralement « ville de pierre », « tach » signifiant pierre et « kent », ville).

 

  • Monnaie : le soum.

 

  • Fête nationale : le 1er septembre.

 

  • Communautés religieuses : musulmans sunnites (88 %), orthodoxes (9 %).

 

 

 

L’Ouzbékistan toujours sous la férule d’Islam Karimov

 

3 avril 2015

 

Au soir du lundi 30 mars, Islam Karimov, probablement reclus dans son palais blanc d'Oq Saroy, n'a pas dû s'émouvoir outre mesure de sa réélection à la tête de l'Ouzbékistan, ex-République soviétique d'Asie centrale peuplée d'un peu plus de trente millions d'habitants. Et pour cause : le satrape de Tachkent, au pouvoir depuis 1989, n'a jamais connu de victoire à la Pyrrhus, lot en principe réservé aux démocrates.

 

De fait, à 77 ans, il vient d'être reconduit dans ses fonctions pour cinq ans, avec un score digne des plus grandes heures du stalinisme : 90,39 % des suffrages exprimés pour un taux de participation de 91,01 %, selon les chiffres officiels communiqués par la Commission électorale. Un quatrième mandat acquis sans coup férir, en violation patente de la Constitution du 8 décembre 1992, laquelle dispose, dans son article 90, que l’on ne peut exercer plus de deux mandats consécutifs.

 

Nul besoin de prescience pour anticiper le fait qu'Islam Karimov s'acheminait vers un nouveau succès électoral après ceux, déjà écrasants, de 1991 (87,1 % des voix), 2000 (95,7 %) et 2007 (90,76 %). Ses trois adversaires du moment, candidats falots par excellence, étaient en effet tous issus de partis... le soutenant officiellement. Dans de telles conditions, tout suspense paraissait illusoire.

 

Observatrice attentive du scrutin, l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) s'en est d'ailleurs émue, évoquant en sus des « irrégularités ». En cause notamment le nombre élevé de votes par procuration et une couverture médiatique biaisée qui aurait donné « un net avantage » à l'ancien apparatchik. « Comme au Turkménistan, et dans une moindre mesure au Tadjikistan, la presse en Ouzbékistan ne dispose pratiquement d'aucune marge de manœuvre. La surveillance et la censure y sont très étroites. La population, par exemple, n’a pas été informée du ‘printemps arabe’ [en 2011] », souligne Catherine Poujol (1), historienne spécialiste de l’Asie centrale et professeur à l’Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco).    

 

Si les opposants déclarés au padichah (le roi) ne sont pas légion, cela tient au sort peu enviable qui leur est promis. D'après les associations de défense des droits de l'homme, entre 10 000 et 12 000 prisonniers politiques croupiraient dans les geôles du pays, contre 7 000 à la fin des années 1990. Dans un rapport très documenté rendu public en septembre et intitulé « Until the Very End – Politically Motivated Imprisonment in Uzbekistan » (« Jusqu'à la toute fin – L'emprisonnement politique en Ouzbékistan »), Human Rights Watch accusait les autorités d'avoir embastillé des milliers d'opposants, réels ou supposés, et ce dans tous les milieux. Parmi les cibles du régime, des artistes, des entrepreneurs, des journalistes, mais aussi des figures du monde de la culture et des dignitaires religieux. 

 

Les nombreux témoignages recoupés par l'ONG faisaient état d'une utilisation généralisée de la torture, avec des méthodes représentatives de l'implacabilité du « système Karimov » : chocs électriques, pendaison par les poignets et les chevilles, menaces d'humiliations sexuelles diverses, privation d'eau ou de nourriture. Le cas de Karyum Ortikov, entre autres, est éloquent.

 

Ancien employé de l'ambassade britannique soupçonné d'espionnage, il aurait été supplicié en 2009 par les agents du Service de sécurité nationale (SNB) au motif d'une prétendue implication dans un trafic d'êtres humains. Neuf mois ponctués de sévices physiques et psychologiques, ses bourreaux allant jusqu'à lui brûler les parties génitales avec un journal enflammé, à lui enfoncer des aiguilles sous les ongles ou à le menacer de viol par des détenus porteurs du sida s'il ne passait pas aux aveux. Libéré en mai 2011 après avoir tenté à plusieurs reprises d'attenter à ses jours, il a, depuis, refait sa vie aux Etats-Unis. D'autres auraient eu droit à des traitements « alternatifs », mais tout aussi inhumains, comme l'asphyxie avec des sacs plastiques ou l'immersion dans des cuves d'eau bouillante.      

 

L'allergie d'Islam Karimov à toute forme de défiance s'est aussi manifestée lors de la répression du 13 mai 2005, à Andijan (est), dans la vallée de Fergana. Ce jour-là, les forces féales au pouvoir avaient terrassé dans le sang un soulèvement populaire visant à obtenir davantage de démocratie. Des adolescents affirmaient avoir été « tirés comme des lapins », tandis que d'autres témoins disaient avoir assisté à des « exécutions sommaires ». Cet épisode tragique – dont le bilan oscillait entre plusieurs centaines et plus d'un millier de morts, selon les sources – avait valu au pays une mise au ban de la communauté internationale. Du moins, en apparence, car, en réalité, l'aide américaine n'a jamais cessé d’affluer...

 

Adepte de la politique du « moi ou le chaos », le président ouzbek a toujours vanté la stabilité de l’Etat... à condition que celui-ci demeurât sous sa férule. Promouvoir l’ordre et la rigueur pour obvier au chaos : le ressort est utile, surtout que le pays n’est pas à l’abri de menaces sécuritaires, notamment depuis le ralliement du Mouvement islamique d’Ouzbékistan à l’Etat islamique, en octobre. « Les citoyens, lorsque l'on parvient à discuter avec eux, affirment redouter l’après-Karimov. Le discours récurrent, c’est : ‘au moins, lui, on le connaît. Il est au pouvoir depuis suffisamment longtemps pour ne plus rien désirer, ne plus rien accaparer, donc on le préfère aux autres’ », explique Mme Poujol. 

 

Preuve qu’il tient une place de choix sur l'échiquier politique régional, Islam Karimov a reçu, dès l’annonce de sa réélection, les chaleureuses félicitations de ses homologues russe, Vladimir Poutine – qui a salué sa « grande autorité » –, et kazakh, Noursoultan Nazarbaïev, dont le propre mandat sera remis en jeu le 26 avril.

 

Politicien madré, il sait que l’Ouzbékistan, dont le taux croissance a atteint 8,1 % en 2014, est assis sur de solides richesses. Outre de vastes réserves de gaz et de pétrole, il possède aussi de l’or et du coton (il en est le cinquième exportateur mondial), ressource que les autorités sont d’ailleurs accusées d’exploiter en recourant au travail forcé d’enfants.

 

Cette manne aiguise les appétits rivaux de la Russie, de la Chine et des Etats-Unis. Islam Karimov en joue grâce à une diplomatie multivectorielle habile, mais en se fixant des limites. Pas question pour lui d’abdiquer la souveraineté du pays. Depuis le rattachement à la hussarde de la péninsule de Crimée à la Russie, en mars 2014, il s’est rapproché de Moscou, sans toutefois rejoindre l’Union économique eurasiatique chère à Vladimir Poutine. Parallèlement, il veille à ne négliger ni Pékin ni Washington, à qui il a d’ailleurs offert un appui logistique précieux au plus fort de l'engagement américain dans l’Afghanistan voisin.

 

Depuis que la rupture est consommée avec sa fille aînée Gulnara, accusée de corruption et assignée à résidence après avoir osé comparer son père à Staline, d’aucuns s’interrogent sur la succession d’Islam Karimov. Celui-ci semble vouloir éviter à tout prix le scénario cauchemardesque d’une prise de pouvoir par les religieux ou les islamistes, auxquels il a déclaré une guerre totale dès 1991. Mais rien n’est écrit à l’avance.

 

Et Catherine Poujol de conclure, en écho : « Pour l’heure, il n’y a pas de successeur avéré, seulement des noms qui circulent, comme ceux de Rustam Inoyatov [le chef du SNB] et de Shavkat Mirziyoyev [le premier ministre]. Cela étant, dans ce type de régime, il faut aussi compter avec l’inattendu. Celui qui parvient au sommet de l’Etat n’est pas forcément celui que l’on pressentait au départ. C’est ce qui s’est passé au Turkménistan [lorsque Gourbangouly Berdymoukhamedov a pris la relève de Saparmourat Niazov à la mort de ce dernier, en décembre 2006]. Pour autant, cela n'a pas entraîné le chaos et les institutions ont continué de fonctionner... »                                              

 

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(1) Dernier livre paru : L’Asie centrale, au carrefour des mondes, Editions Ellipses, novembre 2013, 288 pages.

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