Le président rwandais, Paul Kagamé, s'exprime devant l'Assemblée générale des Nations unies, le 29 septembre 2015, à New York (Timothy A. Clary/AFP).
Repères
-
Superficie : 26 338 kilomètres carrés (soit à peu près la superficie de la Bretagne).
-
Population : 12 millions d'habitants.
-
Capitale : Kigali.
-
Monnaie : le franc rwandais.
-
Fête nationale : le 1er juillet.
-
Communautés religieuses : catholiques (56,5 %, d’après des données issues du recensement de 2002), protestants (26 %), adventistes (11,1 %), musulmans (4,6 %), animistes (0,1 %).
Rwanda : l’espoir d’alternance démocratique enterré
5 janvier 2016
Il y a quelques années, il vantait à qui voulait l’entendre son éthique politique et sa rectitude morale. Loin de lui l’idée d'être associé à tous ces potentats africains prêts à recourir aux stratagèmes les plus vils pour ne pas choir de leur fauteuil présidentiel. Et pourtant... Le chef de l’Etat rwandais, Paul Kagamé, 58 ans, vient de rejoindre ce club – pas si fermé – de dirigeants n’ayant pour seule appétence que de se maintenir au pouvoir.
Envolées les paroles lucides de 2010, lorsqu’il affirmait, tête haute, que « ceux qui cherchent un troisième mandat en cherchent un quatrième, puis un cinquième ». Lors de ses vœux à la nation, le 31 décembre au soir, il a annoncé qu’il briguerait un troisième mandat lors du scrutin présidentiel prévu l'an prochain. « Vous m’avez demandé de diriger à nouveau ce pays après 2017. Etant donné l’importance que vous y accordez, je ne peux qu’accepter », a-t-il déclaré. Une manière habile de dissimuler sa propre ambition derrière le masque séduisant de la volonté populaire.
Grâce à la révision constitutionnelle, approuvée à 98,4 % des voix le 18 décembre par référendum et conforme à ses vœux, Paul Kagamé pourrait, en théorie, enchaîner un nouveau septennat, puis deux quinquennats. Autrement dit, rester en fonction jusqu’en... 2034. Il aurait alors 77 ans et quarante ans de pouvoir effectif derrière lui. De quoi tutoyer le record de longévité de Mouammar Kadhafi : 42 ans à la tête de la Libye, de 1969 à 2011.
Depuis juillet 1994, la situation a radicalement changé au « pays des mille collines ». Après avoir chassé les extrémistes hutu responsables du génocide (entre 800 000 et un million de morts en trois mois, pour l’essentiel des membres de la minorité tutsi), le Front patriotique rwandais s’est employé à redresser une nation exsangue, dont le tissu économique, institutionnel et social était en lambeaux.
Homme fort de Kigali, Paul Kagamé a incarné cette « renaissance ». Non content d'apporter l'équilibre à un Etat ethniquement déchiré entre hutu et tutsi, il a contribué à le mettre sur les rails de la prospérité. Développement des services, promotion des nouvelles technologies, lancement de vastes programmes agricoles : aujourd’hui, le petit pays d’Afrique centrale voisin des Grands lacs affiche une santé insolente. Ainsi, en 2014, son taux de croissance atteignait 7 %, contre 4,7 % en 2013, selon la Banque mondiale. D’après le rapport Perspectives économiques en Afrique, il devrait avoisiner 7,5 % en 2015 et 2016.
Cette vitalité économique, reconnue et saluée par les partenaires de Kigali, ne saurait cependant dissimuler un autre versant plus sombre du Rwanda : l'inclination grandissante de Paul Kagamé à l'autoritarisme. En témoigne son acharnement à bâillonner ceux qui se dressent en travers de son chemin.
Les exemples sont légion, dont celui de l’opposante Victoire Ingabire, embastillée depuis 2010 pour « conspiration contre les autorités par le terrorisme et la guerre », « minimisation du génocide » et « propagation de rumeurs dans l'intention d'inciter le public à la violence ». Ou celui de l'ancien chef des services de renseignement, Patrick Kareyega, cet ancien proche de Kagamé devenu l'un de ses plus farouches détracteurs, retrouvé mort étranglé le 1er janvier 2014 dans une chambre d’hôtel de Johannesburg.
« La trahison a des conséquences. Tous ces types [les dissidents installés à l’étranger] n’auraient rien été sans le Rwanda (...) Quiconque trahit notre cause ou souhaite du mal à notre peuple deviendra une victime », avait prévenu par la suite Paul Kagamé, renforçant la conviction de l’opposition en exil qu’il s’agissait d’un assassinat politique – hypothèse aussitôt battue en brèche par l’ambassadeur rwandais en Afrique du Sud, Vincent Karega.
Les objurgations du pouvoir n’épargnent pas non plus la presse, priée de se mettre au diapason de l’Etat. Les voix dissonantes sont muselées, seuls les médias proches du gouvernement ayant les coudées franches... pour appuyer son argumentaire. C'est ainsi qu'au début du mois de novembre, dans un éditorial flatteur, The Rwanda Focus insistait sur la nécessité d’éviter toute forme d’aventurisme politique, arguant que les institutions n’étaient pas assez solides pour faire face aux éventuelles conséquences qu’aurait l’absence, à la tête du pays, du « seul homme capable d’assurer sa stabilité ».
En écho à la décision de Paul Kagamé de proroger son bail présidentiel, les Etats-Unis ont exprimé leur « profonde déception ». « Il manque une occasion historique de renforcer et de consolider les institutions démocratiques que le peuple rwandais s’est échiné à bâtir depuis plus de vingt ans », a déploré le porte-parole du département d’Etat, John Kirby, dans un communiqué.
Et dire qu'il n'y pas si longtemps, Washington voyait en Paul Kagamé – comme en son homologue ougandais Yoweri Museveni – un symbole d’espoir et d’ouverture démocratique qui dépoussiérerait la mentalité post-indépendantiste des « présidents à vie » (l’actuel doyen du continent, l’Equato-Guinéen Teodoro Obiang Nguema, affiche trente-sept ans de pouvoir au compteur). A présent, tous deux tiennent fermement les rênes de leur pays et ne sont disposés à les céder sous aucun prétexte.
Ce cas de figure n’est, hélas, pas isolé. Sur le continent, d’autres dirigeants cherchent à modifier ou à contourner la loi pour perpétuer leur règne, quitte à encourir les foudres de leurs concitoyens. Parmi eux, Denis Sassou-Nguesso au Congo et Joseph Kabila en République démocratique du Congo.
Aux antipodes de l’exemple donné le 30 décembre en Centrafrique. Là-bas, après trois années de violences intercommunautaires entre chrétiens et musulmans, les autorités de transition ont organisé un double scrutin – présidentiel et législatif – pour tirer le pays d'une ornière funeste. Et les électeurs se sont rendus massivement aux urnes, avides de se choisir un nouveau destin...
Aymeric Janier