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Des militants du Difa-e-Pakistan (le Conseil de défense du Pakistan, composé d'une quarantaine de partis politiques et religieux) manifestent contre les Etats-Unis à Karachi (sud du Pakistan), le 2 janvier 2018 (Asif Hassan/AFP).

 

Avis de tempête sur la relation américano-pakistanaise

4 janvier 2018

Actualisation du 5 janvier 2018 : Dans la soirée du 4 janvier, les Etats-Unis ont suspendu le versement de plusieurs centaines de millions de dollars d’aide sécuritaire au Pakistan, réclamant qu’une « action décisive » soit prise contre les factions talibanes établies dans le pays.

Depuis son accession à la Maison Blanche, en janvier 2017, Donald Trump use – et abuse – de Twitter, réseau social qu’il utilise, de jour comme de nuit, pour convoyer toutes sortes messages politiques plus ou moins empreints d’aménité. Aux Etats-Unis, comme à l’étranger, beaucoup s’efforcent de décrypter, non sans mal, cette « diplomatie du tweet » aux accents souvent rageurs (et ravageurs).

 

En ce tout début d’année 2018, le président américain a choisi de s’en prendre de front au Pakistan, ce vieux partenaire indocile d’Asie du Sud – et puissance nucléaire depuis 1998 – avec lequel Washington entretient de longue date une relation orageuse en raison de ses palinodies vis-à-vis du fondamentalisme islamique. En 280 signes, il n’a pas épargné son allié, bien au contraire. Il l’a tancé sans retenue.       

 

Qu’on en juge : « Au cours des quinze dernières années, les Etats-Unis ont bêtement alloué au Pakistan plus de 33 milliards de dollars d’aide [27,4 milliards d’euros] et il ne nous a rien apporté en retour, si ce n’est des mensonges et de la duplicité, prenant nos dirigeants pour des idiots. Il a offert un havre sûr aux terroristes que nous pourchassons en Afghanistan, sans nous fournir une grande aide. Cela suffit ! », a-t-il écrit.

 

Sans surprise, cette saillie manuscrite, qui n’a rien d’un lapsus calami, a provoqué le courroux des autorités pakistanaises. En signe de protestation formelle, David Hale, l’ambassadeur des Etats-Unis à Islamabad, a été convoqué. Un geste de défiance rare par lequel le « pays des purs » entendait rappeler qu’il ne « se [laisserait] plus dicter sa conduite par qui que ce soit ». Quant au chef de la diplomatie pakistanaise, Khawaja Muhammad Asif, il a estimé que la prise de position de Donald Trump « n’[avait] aucun sens ».

 

Unanimes dans leur condamnation des propos tenus par le hiérarque républicain, les responsables politiques pakistanais ont insisté sur les « sacrifices énormes » consentis à la lutte contre le terrorisme : « des dizaines de milliers de vies – chez les civils et les forces de sécurité – (...) ce qui ne saurait être banalisé avec si peu de pitié en ne parlant que de valeur monétaire ». Ils ont aussi suggéré que l’emportement du chef de l’Etat américain venait de son échec à pacifier l’Afghanistan voisin.           

 

Reste qu’au-delà des susceptibilités – réelles ou exagérées à dessein –, la versatilité d'Islamabad est une réalité. « Le Pakistan abrite une large galaxie d’organisations terroristes qui attaquent à la fois l’Inde et les troupes américaines en Afghanistan. Bien avant que Trump arrive au pouvoir, certains hauts gradés américains, dont l’amiral Mike Mullen [ancien chef d'état-major des armées de 2007 à 2011], avaient évoqué publiquement les liens qu’entretenait le pays avec des groupes islamistes radicaux », explique Malik Siraj Akbar, un analyste pakistanais établi à Washington.

           

« Il a toléré et protégé des mouvements extrémistes sunnites qui ont tué des milliers de chiites. Quant à l’ancien dictateur Pervez Musharraf [président de 2001 à 2008], qui, pendant des années, a prétendu être un ami de Washington, il a récemment dit en public tout le bien qu’il pensait de Hafiz Saeed, l’un des terroristes les plus recherchés par les Etats-Unis et le cerveau des attentats de Bombay, en Inde, en novembre 2008 [166 morts, plus de 300 blessés] », poursuit-il.  

    

Las de ce double jeu, source de moult désillusions, le gouvernement Trump a, de toute évidence, entrepris de hausser le ton. Dans la soirée du 4 janvier, il a suspendu le versement de plusieurs centaines de millions de dollars d’aide sécuritaire, réclamant qu’une « action décisive » soit prise contre les factions talibanes établies dans le pays. De quoi sans doute alimenter le sentiment antiaméricain qui prévaut de part et d’autre de l’échiquier politique. Cela risque d’être d’autant plus le cas que le Pakistan se prépare déjà aux prochaines élections législatives. Une agora de choix pour tous ceux qui vouent l'Oncle Sam aux gémonies.

 

Qu'en est-il du peuple ? Pour M. Akbar, « celui-ci se soucie moins de la relation avec les Etats-Unis que du Corridor économique sino-pakistanais (CPEC), qui suscite un vif engouement au niveau national ». Lancé en 2013, le CPEC s’inscrit dans le cadre du vaste projet chinois « Une ceinture, une route » (One Belt, One Road – OBOR), qui prévoit de relier l’ancien empire du Milieu à l’Europe et à l’Afrique via l'Asie centrale et le Moyen-Orient. Une « nouvelle route de la soie », dont le numéro un chinois Xi Jinping, père du projet, ne cesse de faire la promotion...

 

Forts du soutien croissant de Pékin, qui devrait se chiffrer à terme en dizaines de milliards de dollars – avec la promesse sous-jacente de centaines de milliers de créations d’emploi –, les Pakistanais tendent à accorder moins d’importance à l’état de la relation avec les Etats-Unis. Pour eux, la détérioration des liens bilatéraux apparaît surtout comme la preuve que leur pays est en train de retrouver son statut de « nation souveraine ».

 

A mesure que le fossé d’incompréhension se creuse entre Washington et son « allié majeur hors OTAN » (une dénomination privilégiée, qui ouvre la voie à une coopération resserrée en matières militaire et sécuritaire avec les Etats-Unis), Donald Trump pourrait être tenté de se rapprocher de l’Inde, ennemi héréditaire du Pakistan, à qui elle a livré quatre guerres (1947, 1965,1971 et, dans une moindre mesure, 1999).

 

Ce scénario est d’autant plus envisageable que le locataire de la Maison Blanche est réputé proche du premier ministre indien, Narendra Modi – un ancien homme d’affaires comme lui. Certes, briser le lien avec le Pakistan n’est pas chose aisée, dans la mesure où les Etats-Unis ont besoin de son aide logistique pour accéder à leurs troupes basées en Afghanistan et où le danger de voir l’arsenal nucléaire du pays (entre 130 et 140 ogives en 2017, selon l’institut de recherche suédois Sipri) tomber aux mains des islamistes est loin d’être nul.

 

Mais, conclut Malik Siraj Akbar, « l’Inde a aussi son importance aux yeux des Américains et du reste du monde, notamment de par son rôle de plus grande démocratie du monde, d’économie émergente et de chef de file dans le domaine des technologies de l’information ». Autant d’atouts qui ne font que reléguer le Pakistan au rang de partenaire turbulent, instable et, partant, peu digne de confiance.                      

                        

Aymeric Janier

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