Un officier de la marine ivoirienne fait des gestes devant trois navires qui s'apprêtent à participer à des opérations de lutte contre la piraterie maritime, le 25 août 2016, à Abidjan (Issouf Sanogo/AFP).
Barthélémy Blédé
La piraterie maritime, fléau de l’Afrique
23 octobre 2016
D’aucuns s’attendaient à ce que les débats, tenus à huis clos, fussent longs et houleux. Ils auront finalement duré moins d’une heure. A la faveur d'un sommet extraordinaire organisé samedi 15 octobre à Lomé, la capitale du Togo, les chefs d’Etat de l’Union africaine (UA) ont adopté la « charte africaine sur la sûreté et la sécurité maritimes et le développement » – une première mondiale saluée avec enthousiasme par le Tchadien Idriss Déby Itno, président en exercice de l'UA depuis la fin du mois de janvier.
Trente et une des cinquante-trois délégations présentes ont paraphé ce texte, dont l'un des buts avoués est de renforcer la lutte contre la piraterie maritime. L'occasion, pour « Relations internationales : Etats critiques », de mieux comprendre ce phénomène particulièrement pernicieux pour le devenir du continent – avec la collaboration de Barthélémy Blédé, spécialiste des questions maritimes et chercheur principal au bureau de Dakar de l'Institut d'études de sécurité (ISS Africa).
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Quels pays la piraterie maritime touche-t-elle ?
Il y a deux espaces qui sont particulièrement visés : les côtes au large de la Somalie [Etat de la Corne de l’Afrique (Est) en guerre civile depuis la chute, en janvier 1991, du régime autoritaire de Siad Barre], qui commencent à être sécurisées, et les pays bordés par le golfe de Guinée, à l’Ouest. Parmi ceux-ci, le Nigeria – et notamment le delta du Niger, qui représente la plus vaste réserve d’hydrocarbures du continent – est le plus touché. D’après les données du Bureau maritime international (BMI), une centaine d’attaques y ont été perpétrées au cours de la période 2011-2015. Viennent ensuite, par ordre décroissant, le Togo (30 attaques), le Bénin (22), le Congo (22), la Côte d’Ivoire (14), la Guinée (12) et le Ghana (11).
Au cours du premier semestre de 2016, sur 98 actes de piraterie maritime recensés dans le monde (contre 134 pour la même période de 2015), 34 se sont produits dans les eaux africaines, d’après le rapport du BMI. Globalement, le phénomène reflue : en 2003 et 2010, en effet, le Bureau avait répertorié 445 attaques dans l’année.
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Le centre de gravité de la piraterie maritime s’est-il déplacé au fil du temps ?
Oui. Au niveau mondial, le détroit de Malacca, en Indonésie, demeure la zone la plus « active » en matière de piraterie et de vol à main armée en mer. Mais, en Afrique, les choses ont évolué ces dernières années. Avant la fin de 2011, les côtes somaliennes, la mer Rouge et le golfe d’Aden [qui sépare la Corne de l’Afrique de la péninsule Arabique] étaient les endroits les plus « fréquentés ». Depuis, le golfe de Guinée a pris le relais. D’un lieu à l’autre, les méthodes changent. « Les pirates somaliens s’en prennent aux navires de passage pour réclamer des rançons [ils viennent d’ailleurs de libérer, samedi 22 octobre, 26 otages asiatiques qu’ils détenaient depuis près de cinq ans]. Ceux du golfe de Guinée attaquent surtout des pétroliers pour en voler la cargaison et la vendre, même si le nombre de prises d'otages a augmenté depuis quelque temps », observe Barthélémy Blédé.
Comment expliquer que la piraterie maritime décline dans la Corne de l’Afrique et qu’elle prospère en Afrique de l’Ouest ? Pour M. Blédé, cela tient à une différence de perception. « La Somalie étant considérée comme un ‘Etat failli’, les navires qui croisent au large de ses côtes embarquent à bord des gardes armés. En outre, les marines des grandes puissances y interviennent directement. A l’inverse, les pays du golfe de Guinée, où les institutions républicaines fonctionnent, n’acceptent pas encore l’intervention d’hommes armés étrangers dans leurs eaux. Et il est peu probable que le Nigeria, qui est la première ou la deuxième puissance en Afrique, tolère un jour l’incursion de forces étrangères dans les siennes », souligne-t-il.
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Que représente le fléau de la piraterie maritime pour les Etats qui en sont victimes aux niveaux économique, politique et stratégique ?
Il existe, à l’évidence, une corrélation entre sûreté maritime et économie. Importations et exportations dépendent en effet étroitement du niveau de sécurité du transport maritime. L’Afrique ne fait pas exception à la règle. D’une manière générale, les armateurs répugnent à envoyer leurs navires dans des ports « à risque ». Ceux qui le font doivent être prêts à y mettre le prix car, non seulement les primes d’assurance sont élevées, mais les marins exigent des salaires plus importants. Par un effet mécanique, les taux de fret, autrement dit les coûts de transport, augmentent. Or, comme le note Barthélémy Blédé, « celui qui, in fine, paie la facture est le consommateur. La hausse des prix sur le marché peut créer des troubles sociaux, lesquels, à leur tour, sont susceptibles d’avoir des répercussions sur la vie politique nationale ». Sur le plan stratégique, l’insécurité maritime se nourrit des conflits armés, à l’issue desquels armes légères et de petits calibres circulent.
Là où l’insécurité maritime se développe, les trafics portuaires ralentissent. M. Blédé l’a constaté dans le cadre de ses recherches. Et les exemples sont légion. « Je pourrais citer notamment celui du port d’Abidjan, port de transit naturel du Burkina Faso, par où les Burkinabés n’ont pas fait passer un seul gramme de leur coton à l’export en 2003 à cause de la crise ivoirienne déclenchée en 2002. Ou celui du port de Cotonou (Bénin), où le trafic avait chuté en 2012, le pays ayant été le théâtre de vingt attaques ou tentatives d’attaques de piraterie et de vols à main armée en mer l’année précédente », énumère-t-il.
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Quels sont les outils de lutte mis en place jusqu’ici et sont-ils efficaces ?
Au large de la Somalie, le fait que des gardes armés se trouvent à bord des embarcations et que les navires marchands et de pêche soient escortés par des bâtiments militaires étrangers a contribué à faire reculer le nombre d’actes malveillants.
Dans le golfe de Guinée, il existe, depuis le sommet de Yaoundé de juin 2013, une « architecture » de sécurité maritime à quatre échelons (national, sous-régional, régional et interrégional), mais celle-ci ne fonctionne pas encore pleinement.
Néanmoins, des efforts encourageants sont constatés au niveau des Etats eux-mêmes. « Ils acquièrent des moyens d’intervention en mer et mènent des patrouilles régulières dans leurs eaux territoriales. Quelques-uns d’entre eux comme le Nigeria, l’Angola, le Cameroun, le Sénégal et le Ghana disposent de moyens navals pouvant aller plus loin, voire en haute mer », se félicite M. Blédé.
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La charte de Lomé peut-elle changer la donne et permettre de mieux protéger le continent ?
La charte de Lomé, lorsqu’elle entrera en vigueur, aura une valeur contraignante. Elle instaurera un fonds pour le financement des actions de sécurité et de sûreté maritimes et sa mise en œuvre sera encadrée par un comité de suivi. Cela va-t-il faire enfin bouger les lignes ? Barthélémy Blédé veut y croire. « Il est à souhaiter que les annexes de la charte, qui sont attendues en juillet 2017 au plus tard, clarifient le mode de financement du fonds. Il est aussi à souhaiter que tous les pays africains y participent. Je pense en particulier au Cameroun, au Sénégal et à l’Afrique du Sud. C’est à ce prix seulement que cet instrument permettra de mieux protéger le continent », conclut-il.
Aymeric Janier