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Manifestant antigouvernemental à Caracas, le 15 février 2014 (Juan Barreto/AFP).

 

 

Venezuela : « Maduro souffre d’un problème de légitimité et d’autorité »

25 février 2014

Disparu le 5 mars 2013, Hugo Chávez n'est plus là pour haranguer les foules et conspuer ad nauseam « l'ennemi américain », mais le Venezuela n'est pas apaisé pour autant. Depuis trois semaines, dans les rues comme sur les réseaux sociaux, le pays apparaît fracturé, otage de divisions profondes entre partisans et détracteurs de Nicolás Maduro, l'héritier du « Comandante » aujourd'hui président.

 

Cette vague de protestations, qui ne semble pas refluer, a déjà fait 14 morts, dont au moins 8 par balle, et près de 140 blessés. Alors que le chef de l'Etat a annoncé dimanche 23 février le lancement d'un « dialogue national » avec « tous les courants sociaux, politiques, corporatistes et religieux », Paula Vasquez (1), chargée de recherche au CNRS et docteur en anthropologie à l'Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS), décrypte les ressorts de la fronde anti-Maduro et s’inquiète de la violence instrumentalisée par l’Etat.

 

>> Quels sont les ferments de la contestation contre Nicolás Maduro ?

 

Paula Vasquez : Depuis qu’il a remporté de justesse l’élection présidentielle anticipée du 14 avril 2013 [avec 50,7 % des suffrages exprimés], Nicolás Maduro est confronté à une profonde crise économique. Au fil des mois, celle-ci n’a cessé de s’aggraver du fait de la politique de contrôle des devises menée par les autorités. De fait, le Venezuela se trouve aujourd’hui en situation de pénurie généralisée, notamment sur le plan alimentaire. Faute de moyens suffisants, les importateurs ne sont pas en mesure de procurer aux habitants les biens de consommation basiques dont ils ont besoin, comme le lait ou le papier toilette. Le pays manque également de médicaments pour soigner le diabète et le cancer.

 

Hugo Chávez porte une grande part de responsabilité dans la situation actuelle. Sous sa présidence [de 1999 à 2013], il a préféré redistribuer à la population les recettes issues de la manne pétrolière par le biais d’allocations directes plutôt que de bâtir un appareil productif susceptible de mener le pays vers l’autonomie. Les expropriations massives, couplées aux errements de sa politique agricole, ont rendu le Venezuela totalement dépendant des importations. Le pétrole, dont le pays regorge, est la principale source de devises, mais l’Etat en verrouille l’accès.

 

A cela s’ajoutent des problèmes de corruption endémique, particulièrement prégnante au niveau de l’activité des ports et des douanes, d’insécurité [Caracas est la ville d'Amérique latine ayant le taux d'homicides le plus élevé (79 pour 100 000 habitants en 2013, selon l’Observatoire vénézuélien de la violence)] et d’inflation, proche de 56 %. Cette toile de fond a nourri la contestation et peut expliquer pourquoi des citoyens de toutes conditions ont fini par rejoindre les manifestations étudiantes. Le cercle vicieux de violences que l’on peut observer en ce moment découle également d’une répression accrue, symbolisée par l’action des « collectifs » (colectivos) lors des manifestations du 12 février, à Caracas [au cours desquelles trois personnes, dont un étudiant et un policier, ont trouvé la mort]. Armés par le gouvernement, ces « collectifs » – les tupamaros, les carapaicas et d’autres – incarnent un mélange de guérilla urbaine et de délinquance. Ils agissent en toute impunité, et pas seulement dans la capitale, ce qui suscite un vif sentiment d’exaspération.

 

>> Face à la contestation, Nicolás Maduro prône un « dialogue national ». Peut-il aboutir ou a-t-on déjà franchi le point de non-retour ?

 

Tout dépend des véritables desseins de Maduro. Il y a quelques jours, il affirmait que les « collectifs » – ceux-là même qui, aux côtés des forces de sécurité de l’Etat et de la garde nationale bolivarienne, ont tué des manifestants en leur tirant dans la tête, le visage ou le dos à coups de chevrotines – œuvraient... pour la paix. A présent, il lance une invitation au dialogue. On peut craindre un double discours...

 

>> Quid de l’opposition vénézuélienne ?

 

Elle est globalement très hétérogène. Preuve en est, contrairement à Leopoldo López [fondateur du parti de droite Volonté populaire (Voluntad Popular), arrêté le 18 février] et María Corina Machado [députée indépendante], Henrique Capriles Radonski, dirigeant de la Table de l’unité démocratique, n’a pas appelé à manifester dans la rue.

 

Ce qu'il faut garder à l’esprit, c’est que les événements actuels ne répondent à aucune initiative politique. Je pense d'ailleurs qu'il n'existe pas au Venezuela de formation capable de faire ériger des barricades à travers tout le territoire, surtout dans les Etats andins comme Táchira et Mérida, ou centraux, à l’image de Lara et Carabobo. Il ne s’agit pas d’une opposition bourgeoise. Le spectre des contestataires est beaucoup plus large. Les détracteurs politiques du régime essaient de se positionner par rapport à cela.

 

>> Que peut faire l’opposition à ce stade ?

 

La seule solution qui s'offre à elle est de réunir les signatures nécessaires à la tenue d’un référendum révocatoire contre Maduro en 2015, comme l’autorise la Constitution. Mais cela implique d’attendre, 2014 n’étant pas une année électorale.

 

>> Par rapport à Hugo Chávez, Nicolás Maduro incarne-t-il la rupture ou la continuité ?

 

Entre les deux, la continuité idéologique est totale. L’empreinte de Chávez est d’ailleurs omniprésente au sein du gouvernement. Si vous vous rendez dans un bureau de l’administration publique au Venezuela, ce n'est pas la photo de Maduro que vous verrez, mais celle de Chávez. Cela vaut aussi pour l'ambassade du Venezuela en France...

 

La principale différence est que Maduro est bien moins habile politiquement que son mentor. Il est très loin de jouir de la même aura et du même charisme que Chávez. Sa marge de manœuvre est réduite. Par ailleurs, il souffre d’un grave problème de légitimité et d’autorité. Il donne l’impression de ne pas contrôler les corps de sécurité de l’Etat. On sait à présent que le meurtre de Juan Montoya [membre d'un « collectif » défendant la « révolution bolivarienne »], le 12 février, a été l’œuvre du Sebin, les services de renseignement, qui n’a pas tenu compte des ordres de Maduro.

 

>> Comment la situation actuelle peut-elle évoluer ?

 

L’atmosphère sociale est explosive. L’arrestation de Leopoldo López n’augure rien de bon. Les pouvoirs judiciaires au Venezuela n’existent pas. De fait, le mandat d’arrêt émis à son encontre était un procès en soi. Il n’y a pas eu d'enquête sur les troubles du 12 février. Des versions contradictoires continuent de circuler et certains faits ne sont toujours pas élucidés. Cela révèle toute la défaillance des institutions vénézuéliennes.

 

Pour l’heure, il n’y a pas de guerre civile, mais cela tient essentiellement au fait que l’opposition, qui se manifeste plutôt par la voix des étudiants, n’est pas armée. L'évolution de la situation dépend de deux inconnues : le pouvoir va-t-il désarmer les « collectifs » et, surtout, peut-il encore les contrôler ? En son temps, Chávez y parvenait plus ou moins. Mais, à présent que cette figure forte n’est plus là, il appert que Maduro a du mal à les faire rentrer dans le rang. A cette aune, un bain de sang n’est pas à exclure...

 

Propos recueillis par Aymeric Janier

 

(1) Le chavisme : un militarisme compassionnel, de Paula Vasquez, Editions Maison des Sciences de l'Homme, 138 pages, à paraître le 26 mars 2014.  

 

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