Félicien Kabuga, l’un des derniers fugitifs de premier plan ayant joué un rôle dans le génocide rwandais de 1994, a été arrêté dans la banlieue parisienne, samedi 16 mai 2020 à l’aube (AFP).
Repères
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Superficie : 26 338 km².
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Population : environ 12,5 millions d'habitants.
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Capitale : Kigali.
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Monnaie : le franc rwandais.
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Fête nationale : le 1er juillet [en référence à la proclamation de l’indépendance vis-à-vis de la Belgique, en 1962]. La fête dite « de la Libération » (kwibohora) est, elle, célébrée tous les 4 juillet et marque la fin du génocide de 1994, lorsque le FPR de Paul Kagame a pris Kigali.
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Communautés religieuses : catholiques (56,9 %), protestants (26 %), adventistes (11,1 %), musulmans (4,6 %), animistes (0,1 %), autres (1,3 %).
Rwanda : Félicien Kabuga, la chute du financier génocidaire
17 mai 2020
Vingt-deux ans. Près d’un quart de siècle qu’il trompait – avec une matoiserie et une réussite certaines – la vigilance de ses poursuivants. Finalement, Félicien Kabuga, considéré comme le « financier du génocide rwandais » de 1994 (lequel fit, selon les estimations des Nations unies, au moins 800 000 morts, principalement parmi les Tutsi, mais aussi chez les Hutu modérés ne partageant pas le fanatisme de leurs élites), a été arrêté, samedi 16 mai à l’aube, dans son appartement d’Asnières-sur-Seine (Hauts-de-Seine).
L’homme de 84 ans, qui y vivait sous une fausse identité « depuis plusieurs années, grâce à une mécanique bien rodée et avec la complicité de ses enfants », était fiché par Interpol et traqué sans relâche depuis son inculpation par le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR), en août 1998, pour génocide et crimes contre l’humanité, entre autres. Le département d’Etat américain offrait même une récompense de 5 millions de dollars (4,6 millions d’euros) pour tout renseignement pouvant conduire à sa capture. Il faisait partie des « fugitifs les plus recherchés au monde ».
« C’est une enquête qui a été relancée il y a deux mois » sous l’égide du Mécanisme international (la structure chargée d’achever les travaux du TPIR, créé le 8 novembre 1994 et qui a fermé ses portes le 31 décembre 2015), avec la coopération de la Belgique et du Royaume-Uni, a déclaré à l’Agence France-Presse Eric Emeraux, le chef de l’Office central de lutte contre les crimes contre l’humanité.
Dans un communiqué, le procureur du Mécanisme international, Serge Brammertz, s’est quant à lui félicité de l’opération, qui « rappelle que les responsables du génocide peuvent être poursuivis, même vingt-six ans après leurs crimes ». « Nos premières pensées doivent être avec les victimes et les survivants », a-t-il ajouté.
En 1994, Félicien Kabuga appartenait au cercle rapproché du président (hutu) Juvénal Habyarimana, dont l’assassinat, au soir du 6 avril, servit de déclencheur au génocide. Le Falcon 50 qui le ramenait d’Arusha, en Tanzanie, où il avait participé à un sommet consacré au processus de négociations avec les rebelles du Front patriotique rwandais (FPR, tutsi) de Paul Kagame (aujourd’hui chef de l’Etat), avait été abattu par un missile sol-air, alors qu’il s’apprêtait à se poser à l’aéroport de Kigali. Un attentat pour lequel, à ce jour, aucune responsabilité n’a été clairement établie, d’aucuns évoquant la piste du FPR et d’autres, celle des Hutu extrémistes, aux yeux desquels M. Habyarimana apparaissait comme un traître en puissance.
D’après l’acte d’accusation du TPIR, M. Kabuga présidait la Radio télévision libre des mille collines (RTLM), un organe de propagande qui, sous la houlette de Ferdinand Nahimana, diffusait sans fard (et sans filtre) des messages haineux appelant au meurtre des Tutsi, qualifiés d’inyenzi (cancrelats ou cafards, en kinyarwanda). Il supervisait aussi le Fonds de défense nationale, qui avait pour mission de collecter « des fonds » destinés à financer la logistique et les armes des miliciens interahamwe (« ceux qui luttent ensemble »).
Ces derniers furent les sinistres exécutants des basses œuvres du régime, de véritables escadrons de la mort, semant la terreur à coups de pillages, d’extorsions et de tueries. Derrière leurs rassemblements festifs, marqués par des chants, des danses et des pagnes chamarrés se nichait en réalité une volonté farouche d’exterminer les Tutsi jusqu’au dernier. A l’image des autres mouvements de jeunesse – les inkuba (« la foudre ») pour le Mouvement démocratique républicain, les abakombozi (« les libérateurs ») pour le Parti social-démocrate, et les impuzamugambi (« ceux qui ont un but commun ») pour la Coalition pour la défense de la République –, ils orchestraient les violences politiques et jouissaient de solides appuis au plus haut niveau de l’Etat et de l’armée.
« Début 1994, plusieurs centaines d’entre eux avaient bénéficié d’une formation militaire dans les camps des FAR [Forces armées rwandaises], sans que l’on sache très bien si l’objectif était de prêter main-forte aux soldats dans la guerre contre le FPR ou de préparer l’élimination des opposants politiques et des Tutsi », écrit Florent Piton, doctorant en histoire de l’Afrique, dans son ouvrage « Le génocide des Tutsi du Rwanda » (Editions La Découverte, août 2018). A cet égard, M. Kabuga aurait « ordonné aux employés de sa société d’importer un nombre impressionnants de machettes au Rwanda en 1993 », avant de les faire distribuer en avril 1994 aux interahamwe.
Après avoir fui le Rwanda en juin 1994, tandis que les troupes du FPR gagnaient du terrain, Félicien Kabuga a trouvé successivement refuge en Suisse – d’où il a été expulsé, Berne trouvant le personnage beaucoup trop « encombrant » –, au Zaïre (l’actuelle République démocratique du Congo), puis au Kenya. Il aurait également vécu en Allemagne et en Belgique. Une longue cavale qui aura mis à rude épreuve les nerfs des limiers de la justice internationale.
A présent, il doit être présenté au parquet de Nanterre (Hauts-de-Seine) en vue de son incarcération, puis au parquet général de Paris. S’ensuivra une procédure d’extradition devant la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris, qui décidera de sa remise au Mécanisme international à La Haye (Pays-Bas) pour qu’il y soit jugé.
En attendant, dans son éditorial du 16 mai, le quotidien rwandais de langue anglaise The New Times s’interroge : « Ce n’est pas tant sa capture qui est remarquable que le fait qu’il vivait à Paris depuis qu’il avait quitté le Kenya de manière précipitée. La question qui vient à l’esprit est : les autorités françaises ignoraient-elles vraiment qu’un tel fugitif de premier plan se trouvait sur leur territoire ? Les Français doivent s’en expliquer aux Rwandais, et surtout aux victimes de Kabuga. »
Pour en savoir plus sur le génocide rwandais, lire « Dans le nu de la vie. Récits des marais rwandais », de Jean Hatzfeld (Seuil, 2000), et voir le documentaire « Tuez-les tous ! » (Histoire d’un génocide « sans importance »), réalisé par Raphaël Glucksmann, David Hazan et Pierre Mezerette, et sorti en 2004.