Le président du Nicaragua, Daniel Ortega, et sa vice-présidente (et épouse) Rosario Murillo, à Managua, le 16 mai 2018 (Oswaldo Rivas/Reuters).
Repères
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Superficie : 130 000 km².
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Population : environ 6,2 millions d’habitants.
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Capitale : Managua.
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Monnaie : le cordoba.
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Fête nationale : le 15 septembre (commémoration de l’indépendance vis-à-vis de l’Espagne, acquise le 15 septembre 1821. Jusqu’en 1838, le Nicaragua appartiendra à la Confédération des Provinces unies d’Amérique centrale, avant que celle-ci éclate).
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Communautés religieuses : catholiques (44,3 %), protestants (30,7 %), agnostiques et athées (20 %), autres églises et/ou confessions (5 %).
Au Nicaragua, la fin de « l’orteguisme » ?
3 juin 2018
La répression comme arme ultime d’autodéfense. A l’instar de tout autocrate acculé – et saisi par une fièvre obsidionale aiguë –, le président du Nicaragua, Daniel Ortega, 72 ans, use d’une méthode éprouvée : la force. Ces derniers jours, les heurts entre ses partisans et ses opposants, à Managua, la capitale, mais aussi dans plusieurs autres villes du pays (Chinandega, León, Masaya, Matagalpa), ont encore fait une vingtaine de morts.
Depuis la mi-avril, le petit Etat pauvre d'Amérique centrale est le théâtre d’un affrontement inédit entre le pouvoir et ses détracteurs. D’après le Centre nicaraguayen des droits de l’homme (Cenidh), plus d'une centaine de personnes auraient déjà été tuées.
A l’origine de ces tensions se trouve un mouvement de contestation sociale lié à une réforme des retraites, laquelle prévoyait de diminuer de 5 % le montant des pensions afin de réduire le déficit de la Sécurité sociale.
Face au courroux populaire, ladite réforme, imposée sous forme de décret par M. Ortega, a rapidement avorté, mais elle a laissé des traces. Le vent de la colère, loin de retomber, s’est mué en tempête, qui, à présent, menace d’emporter l’ancien guérillero sandiniste – du nom d'Augusto Sandino (1895-1934), un résistant nicaraguayen qui s'opposa avec succès à une intervention américaine dans le pays, en 1933.
Pour beaucoup, le héros de la révolution qui, en 1979, chassa le dictateur Anastasio Somoza Debayle, est allé trop loin. Au point de s’aliéner ceux qui, jusqu’ici, le gratifiaient de leur soutien. Ainsi, les milieux d'affaires, d’ordinaire acquis à sa cause, ont commencé à prendre leurs distances. Quant à la Conférence épiscopale du Nicaragua (CEN), qui s'était proposée comme médiatrice, elle a prévenu, jeudi 31 mai, que le dialogue ne reprendrait pas tant que se poursuivrait la répression.
Alors qu’à l’étranger également, des voix s’élèvent – notamment au sein du Parlement européen et de l’Organisation des Etats américains (OEA, dont le Nicaragua est membre depuis sa création, en 1948) – pour dénoncer la situation et les dérives qui en découlent, chaque camp se renvoie la responsabilité des violences.
Le Cenidh blâme les hommes de main à la solde du gouvernement, considérés comme les véritables « agresseurs ». M. Ortega, quant à lui, évoque « une conspiration » de l’opposition, niant tout recours à des escadrons de la mort. « Il n’existe pas de groupes de choc ou paramilitaires proches du gouvernement. Nous ne pouvons donc pas accepter qu'on nous accuse de faits tragiques et douloureux que nous n’avons pas provoqués et que nous ne provoquerons jamais », a-t-il assuré dans un communiqué.
Faisant fi des récriminations de ses adversaires, le chef de l’Etat, bien que d’une santé fragile du fait de problèmes cardiaques, entend ne pas céder le moindre pouce de terrain. « Le Nicaragua nous appartient à nous tous et nous resterons tous ici », a-t-il clamé. Une fin de non-recevoir sans ambiguïté adressée à ceux de ses contempteurs qui réclament des élections anticipées en vue d’abréger son mandat, prévu pour s’achever en janvier 2022.
Au fil du temps, la gouvernance de Daniel Ortega – revenu à la tête du pays en 2007, après un premier passage à la présidence entre 1985 et 1990 – s’apparente de plus en plus à « une dictature dynastique », selon la formule de Carlos Fernando Chamorro, l'un des journalistes les plus respectés du pays et fils de l’ex-présidente Violeta Barrios de Chamorro (1990-1997). De fait, la coterie formée par le caudillo (le chef) est parvenue à étendre ses tentacules, s’immisçant dans nombre de secteurs : hôtellerie, médias publics et privés, pétrole, sécurité...
Les huit enfants de M. Ortega (Rafael, Laureano, Luciana, Camila, Maurice, Daniel Edmundo, Carlos Enrique et Juan Carlos) contrôlent des pans entiers de l'économie nationale. Et que dire de Rosario Murillo, son épouse, qui exerce aussi la fonction de vice-présidente ?
A 66 ans, celle que d’aucuns surnomment « la chamuca » (la diablesse) ou « la bruja » (la sorcière) en raison de son goût prononcé pour l’ésotérisme, n'a rien d’une femme de l’ombre désintéressée, cantonnée à des activités philanthropiques. « Rosario occupe 50 % de la présidence et Daniel 50 % », avait même avoué en public le chef de l’Etat. Son influence politique de premier plan lui vaut parfois d'être comparée à Elena Ceaucescu, qui fut la femme du conducator (guide) Nicolae Ceaucescu et vice-première ministre de Roumanie de 1980 à 1989. Une femme mégalomane, étroitement liée au destin de son mari.
Pour Carlos Fernando Chamorro, Rosario Murillo, qui terrifie ministres et élus locaux, « a relooké le régime marxiste de son époux en s'attribuant le rôle de grande prêtresse de la famille ». A y regarder de près, le régime, qui se déclare « chrétien, socialiste et solidaire », se situe aux antipodes des idéaux qu’il professait jadis. Il a fait siens la corruption et le népotisme, deux travers qu’il reprochait précisément à Somoza.
En août 2016, trois mois avant la dernière élection présidentielle (remportée par M. Ortega avec plus de 72 % des suffrages), Luis Ayllón, journaliste pour le quotidien conservateur espagnol ABC, établissait déjà un parallèle entre les deux camarillas dans un poste de blog au titre explicite : « Du clan Somoza au clan Ortega-Murillo ». « Le clan Ortega, ou mieux, le clan Ortega-Murillo a déjà atteint sa vitesse de croisière », écrivait-il alors. Ces derniers temps, le rythme des persécutions semble s'être accéléré.
Dans une tribune publiée le 31 mai sur le site nicaraguayen Confidencial, le politologue Silvio Prado l’affirmait sans ambages : « Ce qui, au départ, n’était qu’une rumeur lointaine, est désormais une clameur croissante et largement partagée : l’ère Ortega est finie. » Et d’ajouter, solennel : « Les peuples survivent toujours à ceux qui veulent les exterminer (...) Les menaces des tueurs à gages sont aussi inutiles que leurs balles. »
Pour Mateo Jarquín Chamorro, petit-fils de Pedro Joaquín Chamorro – une ancienne figure de l’opposition à Somoza, assassinée en janvier 1978 –, ce qui se joue en ce moment est « une bataille contre l’autoritarisme ». « Les gens dans la rue ont démontré qu’ils n’étaient plus indifférents », observe-t-il, avant de conclure : « Il n'est pas certain que la crise actuelle sonne le glas du règne de M. Ortega, comme ce fut le cas pour Anastasio Somoza Debayle, ou que ces manifestations marquent le début de la fin. Mais, assurément, il doit faire face à une nouvelle réalité. »