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Entre l’Afghanistan et le Pakistan, une unité de façade ?

 

23 mai 2015

 

Ils auraient pu collaborer en bonne intelligence, mais ils n'ont jamais réussi à s'entendre. L'Afghanistan et le Pakistan, qui partagent plus de 2 400 kilomètres d’une frontière connue pour sa très grande porosité, parviendront-ils à surmonter le mur de défiance qui les sépare depuis des années ? Un premier pas vient peut-être d'être franchi avec la signature, lundi 18 mai, d'un mémorandum en vertu duquel les services de renseignement des deux pays – le NDS afghan et l’ISI pakistanais (1) – s’engagent à échanger des informations et à coordonner leurs opérations contre les talibans. 

 

Cette unité affichée fait suite à la visite, le 12 mai à Kaboul, du premier ministre pakistanais, Nawaz Sharif, flanqué de son chef d’état-major, le général Raheel Sharif, et du patron de l'ISI, le lieutenant général Rizwan Akhtar. Il avait alors affirmé que les ennemis de l'Afghanistan étaient aussi ceux d'Islamabad et que tous les sanctuaires terroristes, une fois débusqués, seraient directement éradiqués. Un geste fort... du moins en apparence.

 

« Nawaz Sharif n'a pas les moyens de peser de manière déterminante sur la politique afghane du Pakistan, qui, depuis des années, demeure la chasse gardée de l'armée. A cette aune, ses déclarations n'ont guère de sens », relativise Malik Siraj Akbar, un analyste pakistanais installé à Washington. « L'ISI s'est seulement servi de lui pour faire croire que le pouvoir militaire et le pouvoir civil parlaient le même langage », ajoute-t-il.       

 

Du côté afghan, l'accord n'a pas suscité le moindre enthousiasme, mais plutôt une volée de critiques. Ainsi, de nombreuses personnalités politiques et médiatiques ont reproché au gouvernement d'être allé à Canossa. A la Wolesi Jirga (2), la chambre basse du Parlement, des voix se sont élevées, souvent avec véhémence, pour dénoncer une initiative « qui ne sert en rien les intérêts du pays ».

 

Les députés subodorent une nouvelle rouerie de la part de l'ISI, qu'ils accusent de longue date d'entretenir secrètement des liens avec les talibans et d'autres groupes gravitant dans leur orbite, à l’image du réseau Haqqani, particulièrement actif, depuis les années 1980, de chaque côté de la ligne Durand, la frontière afghano-pakistanaise (3).     

 

« Les Afghans considèrent le Pakistan comme leur ennemi mortel car ils sont convaincus que les talibans, qui multiplient les attaques sur leur territoire, sont une création de leur voisin. De fait, si Islamabad ne persistait pas à soutenir et à protéger ces islamistes radicaux, sous prétexte de vouloir tenir les Indiens et leur agence de renseignement extérieur [Research and Analysis Wing, RAW] à l'écart du théâtre afghan, Kaboul n'aurait plus d'ennemi », explique M. Akbar.      

 

Pour ne pas souffler un peu plus sur les braises de la contestation, le gouvernement afghan s’est gardé de toute communication formelle sur l’accord et a nié le fait que le Pakistan entraînerait et équiperait ses officiers du renseignement. Mais le feu couve sous la cendre. Des fuites dans la presse ont ainsi fait écho de l’opposition au texte du patron du NDS, Rahmatullah Nabil, lequel, en dépit de formidables pressions, aurait refusé de le signer, laissant ce soin à l’un de ses adjoints... dont le nom n'a pas été dévoilé.   

           

En arrivant au pouvoir en septembre dernier, au terme d’une transition démocratique inédite (comme Nawaz Sharif en juin 2013), Ashraf Ghani, l’ancien économiste de la Banque mondiale, s'était fait le héraut du dégel avec le Pakistan, engageant dans cette cause louable la majeure partie de son crédit politique. Tout le contraire de son prédécesseur, Hamid Karzaï, qui, pour mieux isoler le Pakistan, avait noué en octobre 2011 un partenariat stratégique avec l’Inde couvrant les domaines économique et sécuritaire – le premier du genre que Kaboul ait jamais signé avec un autre Etat.  

           

Rien ne garantit cependant que la politique de la main tendue du nouveau président afghan va produire des résultats. « Soit Ashraf Ghani est naïf, soit il se sent obligé de complaire au Pakistan. Mais, dans un cas comme dans l'autre, rien ne dit que le Pakistan sera plus accommodant envers l'Afghanistan », estime Malik Siraj Akbar.        

Qu'en serait-il si les espoirs de rapprochement se brisaient net ? « Ce n'est pas tant l’échec que la réussite de l'accord qui serait susceptible d’avoir des conséquences désastreuses pour l'Afghanistan. En cas de succès, en effet, le renseignement pakistanais pourrait gangrener l'appareil sécuritaire de l'Afghanistan, ce qui profiterait aux talibans en leur offrant de nouveaux soutiens », prédit M. Akbar. Une perspective qui, à n'en pas douter, installerait un chaos encore plus pernicieux dans une région déjà passablement tourmentée.         

 

Aymeric Janier  

 

* * * 

(1) NDS est l’acronyme de National Directorate of Security ; ISI, celui d’Inter-Services Intelligence. 

(2) La Wolesi Jirga (ou Chambre du peuple) compte 249 sièges. Ses membres sont élus directement par le peuple. La Meshrano Jirga (ou Assemblée des anciens) est la chambre haute du Parlement afghan. Elle compte 102 sièges et ses membres sont, pour certains nommés par le président, pour d’autres choisis par des conseils provinciaux.    

(3) Cette frontière artificielle fut tracée en 1893 par le diplomate britannique Sir Henry Mortimer Durand (1850-1924) pour séparer, à l’époque, l’empire des Indes de l’Afghanistan (qui ne l’a jamais reconnue).

 

Le président afghan, Ashraf Ghani (à droite), et le premier ministre pakistanais, Nawaz Sharif, lors d’une conférence de presse commune, le 12 mai, au palais présidentiel de Kaboul (Shah Marai/AFP).

 

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