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Des femmes de la brigade Al-Khansa de l’organisation djihadiste Etat islamique (EI), à Raqqa, en Syrie (image de propagande non datée).   

« Les femmes d’Al-Khansa veulent un Etat islamique authentique »

25 mars 2017

 

De l’organisation djihadiste Etat islamique (EI), l’observateur extérieur a bien souvent la même image, forgée d’ailleurs par la propagande bien rodée des féaux du « calife » autoproclamé Abou Bakr Al-Baghdadi : celle de jeunes sicaires vêtus de noir, fanatisés à outrance et prêts à mourir en « martyrs » au nom d’Allah.

           

Pour autant, si les hommes forment le noyau dur – et combattant – du mouvement sunnite, celui-ci s’appuie aussi sur les femmes pour d’autres missions. En Syrie, certaines d’entre elles, réunies au sein de la brigade Al-Khansa, veillent ainsi au respect scrupuleux de la charia, la loi islamique, par leurs semblables.

Dans un entretien à « Relations internationales : États critiques », la politologue belgo-syrienne Myrna Nabhan, diplômée de l’Université libre de Bruxelles (ULB) et spécialiste du monde arabe, revient sur le profil, les motivations et le quotidien de ces femmes qui rejoignent la « police des mœurs » de l’EI, laquelle fait régner l’ordre par la terreur.

>> Quel est le profil des femmes recrutées au sein d’Al-Khansa ? Adhèrent-elles vraiment à l’idéologie de l’EI par conviction ?

 

Myrna Nabhan : Les motifs pour lesquels les femmes grossissent les rangs de l’EI sont aussi divers que leurs profils. Celles qui s’enrôlent dans la brigade Al-Khansa sont originaires de Raqqa [la « capitale » autoproclamée de l’EI en Syrie], mais aussi d’autres parties de la Syrie, de la région et du reste du monde. Toutes veulent participer à ce « moment historique » qu’est l’instauration du « califat » en contribuant aux activités locales. Elles le font par conviction.

 

Beaucoup viennent d’Europe et la plupart font ce qu’on appelle l’hijra, elles « émigrent » de pays qu’elles estiment hostiles à l’islam, car elles considèrent qu’elles sont empêchées d’y pratiquer leur religion comme elles le souhaitent. Elles ont développé un certain ressentiment à l’encontre de leur pays d’origine, perçu comme islamophobe. Elles quittent donc l’Occident « corrompu » et « mécréant » pour rejoindre leur « société islamique » idéalisée et participer à l’éventuelle création d’un nouvel Etat islamique « authentique ».

 

Les raisons peuvent également varier selon le pays et le contexte national qui y prévaut. Certaines femmes partent pour épouser un djihadiste en pensant qu’elles s’assureront une place au paradis en tant qu’épouse de « martyr » si ce dernier meurt au combat. D’autres traversent une crise identitaire et ont trouvé du réconfort dans l’islam radical, où elles se sentent encadrées, en sécurité et trouvent des réponses aux angoisses existentielles qui les étreignent.

 

L’aspect « humanitaire » représente également un vecteur d’embrigadement de ces jeunes femmes. Elles sont influencées par toutes les images atroces que l’on voit du conflit et aspirent à venir en aide à leurs « frères » et « sœurs » réprimés. Elles ont le sentiment de servir une cause qu’elles croient juste.

 

Une partie d’entre elles intègrent la brigade Al-Khansa pour des raisons économiques, car cela leur offre un bon moyen de subsistance. En effet, elles touchent environ 200 dollars par mois [environ 185 euros], une somme substantielle dans la Syrie d’aujourd’hui. Faire son djihad, et surtout participer à la violence armée dans certains cas, leur donne l’impression d’être des femmes « émancipées », des « féministes-djihadistes ». Elles ne sont plus des « victimes passives » et tentent de s’affirmer à travers l’idéologie djihadiste et ce nouveau pouvoir.

 

D’autres n’ont tout simplement pas d’autre choix que de se marier avec un djihadiste ou de travailler pour l’organisation afin de survivre et de protéger leur famille. Il est donc difficile et réducteur d’établir un profil type de ces jeunes femmes.

>> Combien la brigade Al-Khansa compte-t-elle de femmes ?

Il est difficile de le savoir, car le groupe terroriste communique peu au sujet de cette brigade. D’après les estimations les plus récentes, elle compterait entre une soixantaine et une centaine de femmes. Mais c’est un phénomène qui évolue assez rapidement étant donné l’ampleur de la propagande numérique de l’EI.

>> Quel est leur rôle au quotidien et de quelle manière appliquent-elles la « justice » de l’EI ?

Peu après la prise de Raqqa par l’EI, en 2014, la nécessité de constituer une brigade exclusivement féminine s’est imposée à l’organisation. En effet, il fallait pouvoir contrôler et fouiller les femmes aux postes de contrôle, dans la mesure où les hommes ne sont pas autorisés à le faire. De nombreux militants s’opposant à l’EI avaient d’ailleurs utilisé cette faille comme stratégie en portant un niqab [voile intégral, souvent de couleur noire, qui ne laisse entrevoir que les yeux] afin de franchir ces barrages sans se faire contrôler. C’est dans ce but initial que cette unité entièrement féminine a été créée.

Au fur et à mesure, les prérogatives des femmes d’Al-Khansa ont évolué. Aujourd’hui, elles patrouillent dans les rues de Raqqa et ont pour mission de sensibiliser les femmes du « califat » à leur vision de la religion. Cela implique d’appréhender et de punir à coups de fouet celles qui ne suivent pas leur interprétation de la charia exigeant, par exemple, que toutes les femmes se couvrent entièrement en public et soient constamment accompagnées d’un chaperon mâle. Elles sont aussi chargées de se rendre à la frontière avec la Turquie afin d’accueillir les nouvelles arrivantes et de les emmener à Raqqa.

>> Certaines de ces femmes sont-elles parfois tentées de fuir et, si oui, pour celles qui y parviennent, quel est le risque ?

Oui, bien sûr, certaines femmes sont tentées de fuir. C’est le cas, en particulier, de celles qui ont été contraintes de collaborer avec l’organisation en travaillant pour elle ou en se mariant avec l’un de ses combattants. Elles sont aussi confrontées à l’ennui, à l’insécurité et beaucoup sont déçues en réalisant qu’elles avaient largement idéalisé la vie dans le « califat » islamique. Il y a eu aussi de nombreux suicides, de femmes qui ont tenté d’en finir. Et il y a constamment des opérations d’exfiltration. Evidemment, le risque de se faire tuer est très grand si l’opération échoue. 

 

Propos recueillis par Aymeric Janier

 

 

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